Deux jours après la pendaison de cinq Kurdes iraniens à Téhéran, une manifestation a eu lieu, le 11 mai, de l’autre côté de la frontière, en Irak, dans la ville de Souleimanieh. Des milliers de personnes se sont réunies dans le parc de la Liberté, où Javad Alizadeh, un célèbre prisonnier politique iranien [récemment libéré] qui s’est réfugié au Kurdistan irakien, s’est adressé à la foule. Il a affirmé que la république islamique d’Iran “ne suit ni les principes d’une république ni les règles de l’islam. Les dirigeants de la République islamique ont montré, ces trente dernières années, qu’ils ne s’intéressaient qu’à la survie de leur régime et qu’ils étaient prêts à tout pour le maintenir en place.”
Cette manifestation était l’une des plus importantes, ces dernières années, de l’opposition kurde au régime iranien. De nombreux autres rassemblements et grèves de la faim – silencieuses en Iran, plus bruyantes dans la région kurde d’Irak où les Kurdes ont été persécutés mais jouissent maintenant d’une liberté relative – s’y déroulent depuis l’exécution du 9 mai. Selon les autorités iraniennes, les victimes étaient des militants pour l’autonomie kurde. Deux d’entre eux ont été accusés d’appartenir au Parti pour une vie libre au Kurdistan [PJAK, la branche iranienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)], un groupe nationaliste kurde que l’Iran considère comme une organisation terroriste. La colère des populations kurdes a été avivée par le refus de Téhéran de permettre aux familles d’enterrer publiquement les cinq victimes, par crainte de débordements. Les exécutions et la répression sous ses diverses formes ont placé les Kurdes d’Iran devant un dilemme. Ils craignent de plus en plus que le prix du militantisme politique en Iran soit la mort ou l’emprisonnement. Ils redoutent aussi que leurs moyens de pression sur le régime soient plus faibles s’ils fuient au Kurdistan irakien. Depuis que le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, est arrivé au pouvoir, en 2005, les minorités religieuses et ethniques sont confrontées à des pratiques discriminatoires. Les Kurdes, qui sont de plus des sunnites dans un pays largement chiite, en sont les premières victimes [7 millions de Kurdes (sur une population de 70 millions de personnes) vivent en Iran, majoritairement dans le nord-ouest du pays]. Lorsque les militants des droits de l’homme ont dénoncé cette inégalité de traitement, la République islamique a arrêté nombre d’entre eux. En février, par exemple, Kaveh Ghassemi-Kermanshahi, membre du comité central de l’organisation des droits de l’homme au Kurdistan iranien, a été interpellé après avoir parlé aux médias étrangers. Il est toujours détenu.
Les manifestants kurdes irakiens souhaitent que leur mobilisation incite les Kurdes d’Iran à se soulever, malgré leur peur des forces de sécurité iraniennes. Ils ont réussi en partie, puisque les Kurdes iraniens ont répondu en organisant, le 13 mai, une grève générale. Salaheddin Mohtadi, un Kurde iranien exilé à Souleimanieh, affirme que les actions récentes en Iran pourraient être le déclencheur nécessaire pour que les Kurdes s’unissent et créent un mouvement dépassant les frontières et les rivalités politiques. Lors d’une autre manifestation, des centaines de Kurdes iraniens et irakiens se sont réunis, le 10 mai, au parc Shneh Dari à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. Farhad Pirbal, un auteur kurde dissident, s’y est exprimé. Il a comparé ce qui se passe en Iran à la répression des Kurdes irakiens sous Saddam Hussein. “Il fut un temps où les agents du parti Baas exécutaient de jeunes Kurdes ici simplement parce qu’ils possédaient des cassettes de musique kurde. Mais, maintenant, c’est à ce même endroit qu’ils manifestent contre un régime qui tue les Kurdes qui n’ont commis comme seul crime que celui de défendre leurs droits. Aucune dictature ne peut durer éternellement. Il fut un temps où la chute du régime Baas semblait impossible. Je suis sûr qu’un jour le peuple iranien sera libéré de la dictature et gagnera sa liberté.”
La vie dans les provinces kurdes en Iran demeure tendue. Les forces de sécurité ont été renforcées dans plusieurs villes, à Kamyaran, Sanandaj, Mahabad et Saghez. Selon les médias kurdes locaux, une quinzaine d’étudiants ont été arrêtés à Merivan. La grève du 13 mai a été la plus importante depuis plusieurs années. Les bazars sont restés vides, et les étudiants chez eux. Même les agences gouvernementales ont été fermées. Les cinq exécutions et les manifestations qui ont suivi marquent le début d’une nouvelle ère au cours de laquelle le gouvernement iranien devra répondre de ses actes.
Kaveh Qoraishy

(Aux kurdes iraniens, il faut rajouter les baloutches, eux aussi sunnites et eux aussi pas très bien traité par le régime (Mardi 5 mai à 23h (heure locale), des affrontements ont eu lieu au poste-frontière de Sardasht dans la province de Sistan-et-Baloutchistan, au sud-est de l'Iran. Deux gardes-frontières ont été tués. source : Press TV, Mercredi 6 juin 2018). note de rené)