Ils ne s’étaient plus réunis depuis dix-neuf ans et jamais en aussi grand nombre. A Rangoun, dans la vaste pagode Kaba Aye, tout en dorures et tentures mêlées, 2 558 moines bouddhistes de toute la Birmanie se sont rassemblés entre le 11 et 13 mai. Ce concile, qui a convié en grande pompe tous les ordres et chapelles du pays, a d’abord cherché à réformer le Maya Sangha Nayaka, le Conseil des grands maîtres du Sangha (l’assemblée des moines), pour renforcer ses pouvoirs, rappeler ses principes et afficher un message d’unité. Au moment où le pays connaît de vivres tensions religieuses qui ont déjà fait au moins 240 morts et déplacé plus de 150 000 personnes (en majorité musulmane), cette réunion historique visait à réaffirmer la centralité du bouddhisme, creuset de la «birmanité», et de souligner le poids politique des bonzes dans la transition.
Signe de l’importance de cette force, c’est le dictateur Ne Win qui avait créé en 1980 le Maya Sangha Nayaka en nommant 47 vénérables bouddhistes. Dix-huit ans après le coup d’Etat de 1962, l’homme fort de la Birmanie entendait mettre au pas les moines qui, historiquement, ont toujours joué un rôle de premier plan au sein du pouvoir birman, pour le légitimer ou le contester. En 2007, les bonzes ont été à la pointe de la contestation contre la hausse des prix. Mais ce mouvement bouddhiste est loin d’être uniforme. Il est tiraillé entre les modérés et les radicaux, qui ont le vent en poupe en ce moment. Le 13 mai, lors de la conférence de Rangoun, la seule proposition du vénérable Bhadanda Wimala de discuter de solutions pacifiques pour les problèmes religieux a été rejetée. «Je n’aime pas les moines en ce moment, on dirait des talibans», résume un journaliste birman bouddhiste qui tient à rester anonyme.
Plus grave, un projet de loi bannissant les mariages interreligieux jette un trouble croissant en Birmanie et à l’étranger. Porté depuis un an par les extrémistes du Mouvement 969 de U Wirathu et de l’Association pour la protection de la race et de la religion, qui s’estiment menacés par les musulmans, le texte a reçu le soutien des hautes autorités. En mars, le président birman, Thein Sein, a créé un comité de 12 experts qui devrait rendre ses conclusions d’ici le 30 juin. En l’état, la loi obligerait les femmes désirant se marier avec un non-bouddhiste à demander une autorisation. Selon Human Rights Watch, le texte prévoirait aussi une peine de dix ans de prison à toute personne enfreignant la loi. Une centaine d’ONG ont condamné ces «initiatives basées sur la religion [qui] entravent la mise en œuvre de la solidarité nationale et la consolidation du processus de paix». Le moine U Wirathu a déjà qualifié de «traîtres» les activistes qui s’opposent à la loi.
Augustin SEUREL