mercredi 25 juillet 2018

BANQUES : LE CHEMIN DE CROIX DES ENTREPRENEURS LIÉS AUX CRYPTOMONNAIES

GREGORY RAYMOND  PUBLIÉ LE 24/07/2018 À 12H37  MIS À JOUR LE 25/07/2018 À 14H57 source : Capital




La blockchain a beau être présentée comme une formidable opportunité pour la France, les start-up du secteur sont nombreuses à voir les portes des banques se fermer. Ces dernières refusent de prendre le risque.

Le problème n’est pas nouveau, mais il a trouvé un écho particulier dans la tribune de François-Xavier Thoorens, le cofondateur de la start-up Ark, publiée le 10 juillet dans La Tribune. “Les sociétés qui développent la blockchain, les futurs champions de demain qui pourront (...) donner à la France sa place de leader, n'ont aucune chance de se développer” écrit l’entrepreneur. L’une des principales causes serait, selon lui, la frilosité des banques. Il explique comment les établissements français lui refusent systématiquement ses virements en euros convertis à partir des cryptomonnaies. “Quand l'ouverture du compte n'est pas impossible, le compte qui a été ouvert est clôturé après quelques jours ou quelques semaines d'exercice”, s’alarme-t-il.
Ark est un projet relativement ancien dans l’écosystème français. Il a réalisé son ICO (Initial coin offering), une technique de levée de fonds qui utilise les cryptomonnaies, à la fin de l’année 2016. Ark dispose bien d’un compte en France, mais sa banque (dont l’entreprise ne souhaite pas divulguer le nom) l’a averti que le prochain virement depuis une plateforme d’échange entraînerait sa fermeture. Nous avons consulté les deux principales adresses cryptographiques appartenant à la société : l’équivalent de 50 millions d’euros y sont “bloqués” (la moitié en bitcoins et l’autre en arks, la cryptomonnaie maison). “C’est extrêmement frustrant car on demande de l’argent à personne”, déplore auprès de Capital François-Xavier Thoorens. Combien de temps de trésorerie reste-t-il pour faire tourner la boutique ? “Environ trois mois, mais on va s’accrocher”, prévient-il.
L’ouverture d’un compte bancaire, qu’il soit professionnel ou non, reste à la discrétion des banques. Et si la procédure dite de “droit au compte” permet de contraindre les établissements récalcitrants à en ouvrir un, ces derniers auront toujours la main pour refuser une transaction jugée risquée. “Les banquiers sont littéralement terrorisés par le sujet, souligne François-Xavier Thoorens, la loi désigne le directeur d’agence comme pénalement responsable. Aucune agence ne souhaite prendre de risque.” Cette notion de risque est liée au relatif anonymat des échanges en cryptomonnaies. Bien qu’il est possible de retracer l’historique des transactions sur la blockchain, les agences bancaires n’ont pas les ressources pour authentifier les flux. Or, la plupart des start-up de l’univers blockchain ont besoin de manipuler des cryptomonnaies pour faire tourner leurs systèmes.

LE MOT “BLOCKCHAIN” BLACKLISTÉ

Nous avons reçu le témoignage de dizaines de sociétés confrontées à la quasi-impossibilité de poursuivre leur activité. À chaque fois, leurs dirigeants nous assurent avoir tout mis en oeuvre pour convaincre les banquiers, en vain. La plupart des établissements français sont évoqués, mais aucun patron ne veut publiquement les mettre en cause de peur de signer leur arrêt de mort pour de bon. Certains craignent également de voir clôturer leur compte personnel en guise de rétorsion… À Chain Accelerator, le programme d’accompagnement de start-up blockchain installé dans le Station F de Xavier Niel, son cofondateur Michael Amar déplore avoir trois jeunes pousses (sur 14) en cessation de paiement alors qu’elles disposent de l’équivalent “d’un à deux millions d’euros stockés dans la cryptomonnaie ether”. Michael Amar raconte également une anecdote personnelle malheureuse : “Nous avons voulu ouvrir un compte pour Chain Accelerator avec pour statut “Conseils pour entreprises dans la blockchain”, or ça nous a été refusé car le mot blockchain est blacklisté. Pourtant nous ne sommes pas amenés à manipuler des cryptomonnaies, nous faisons seulement de l’accompagnement.”
Les acteurs historiques sont également confrontés à des difficultés. C’est le cas de Coinhouse (ex-Maison du Bitcoin), fondé en 2014, qui n’a pas réussi à trouver de banque en France. Le courtier a été contraint de se tourner vers l’Allemagne et le groupe Fidor. D’autres alternatives existent outre-Rhin et au Luxembourg. “La situation est grave et pose un vrai problème de souveraineté”, s’inquiète Pierre Noizat, à la tête de Paymium, l’unique bourse d’échange de bitcoins installée en France depuis 2011. “Nous sommes en train de déménager nos comptes ailleurs en Europe mais je ne tiens pas à révéler où car la Banque de France pourrait exercer des pressions”, souffle-t-il. Que ce soient Paymium ou Coinhouse, leur profil est particulier : leur métier est justement de convertir les cryptomonnaies en euros. Ce sont eux qui inquiètent le plus la Banque de France et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, son organisme de supervision. Coinhouse multiplie dès lors les initiatives pour rassurer : “Nous avons une équipe de 5 personnes dédiées à la conformité et nous travaillons en étroite collaboration avec les régulateurs pour s’assurer que nos procédures sont de qualité et toujours cohérentes avec les évolutions réglementaires”, insiste Brian O’Hagan, en charge de la stratégie marketing chez Coinhouse.

COMMENT FONT CEUX QUI Y PARVIENNENT ?

Pourtant, d’autres acteurs arrivent à développer une activité. BTU Protocol, dont l’ambition est de décentraliser la réservation en ligne, n’a pas connu autant de péripéties. Comme Ark, la société s’est financée via une ICO en levant l’équivalent de 5,5 millions d’euros dont 45% en cryptomonnaies. “Nous avons ouvert avec succès trois comptes dans des établissements différents, j’imagine que c’est grâce à notre processus de conformité draconien”, souligne Vidal Chriqui, l’un des cofondateurs. La société a également étroitement collaboré avec l’AMF, ce qui contribue à rassurer les banques. Ark, par exemple, n’a pas réalisé de procédure de KYC (Know Your Customer, soit “connaître son consommateur”) au moment de son ICO. “À l’époque l’AMF n’avait pas encore émis de recommandation et on ne pensait pas aller en France, se justifie son patron François-Xavier Thoorens, c’est un peu notre talon d’Achille mais on a réussi à justifier la majeure partie des fonds a posteriori”. Selon Vidal Chriqui, il faut essayer de se mettre à la place des banques : “Je peux comprendre leur frilosité, pourquoi prendraient-elles un risque pour 29 euros par mois (ndlr : le coût moyen mensuel d’un compte bancaire professionnel) si elles estiment avoir un doute ?”
De ce que nous avons constaté au cours de notre enquête, les sociétés qui parviennent à nouer des relations bancaires sont celles qui présentent le plus de références rassurantes. Havas Blockchain, une filiale du groupe Vivendi qui offre un accompagnement des entreprises du secteur, en est une. Aucun projet sous sa gestion n’a eu de mal à trouver une banque. "La bancarisation en France des entreprises de l'écosystème blockchain a été un vrai enjeu de ces derniers mois”, confirme Fabien Aufrechter, responsable d’Havas Blockchain. “Mais aujourd'hui, les processus de traçabilité des investisseurs se sont renforcés et - sauf exception - les projets d'ICO travaillant avec des partenaires responsables et auto-régulés ne sont pour ainsi dire plus confrontés à cette problématique", juge-t-il. Pour bénéficier du “tampon” Havas Blockchain, les projets doivent notamment fournir un niveau de transparence et de conformité élevé.

ON NE PRÊTE QU’AUX RICHES ?

“Les projets qui ont les moyens de se payer des partenaires prestigieux n’auront pas de mal à nouer des relations bancaires, en revanche les entrepreneurs plus isolés continueront à souffrir, c’est finalement similaire au milieu traditionnel”, souligne un bon connaisseur du secteur. Quand on pose la question à la Fédération bancaire française (FBF), l’organisation professionnelle qui représente les établissements du pays, sa directrice générale Marie-Anne Barbat-Layani répond sur Twitter qu'il faudrait avant tout définir la nature des cryptomonnaies et créer un régime de protection des investisseurs pour que les banques commerciales suivent. Un acteur blockchain en relation avec la FBF nous a toutefois expliqué que les banques veulent à tout prix éviter “un effet de mauvaise réputation”. Les agences qui acceptent certains projets ne veulent surtout pas l’afficher sur la place publique. Du coup, les bonnes adresses se refilent sous le manteau, tout comme le nom des conseillers bancaires les plus “crypto-friendly”. Il se murmure que l’un d’eux travaillerait dans un Crédit agricole parisien...
Le problème de la bancarisation du secteur blockchain a été soulevé par le rapport Landau remis à Bruno Le Maire début juillet. “L’accès des acteurs de marché aux services de comptes de paiement, conditionne le développement de leur activité”, peut-on lire. “Il est paradoxal que, pour les entrepreneurs français, cet accès soit relativement plus aisé quand ils s’adressent à des banques étrangères”, avance le texte. Une recommandation de la FBF “publiée à la fin de l’été 2018 devrait parvenir à lever tout obstacle”, juge-t-il. En ce qui concerne le cas spécifique les courtiers cryptomonnaies/euros, la Banque de France milite pour un statut spécial à l’égard de ces sociétés qui seraient chargées de vérifier l’origine des fonds a priori. Coinhouse y est très favorable et espère être en bonne position pour être le premier à le recevoir. “Cela permettra de créer de la confiance entre tous les partenaires, notamment bancaires”, veut croire Brian O’Hagan. Pierre Noizat de Paymium tempère ce propos : “Lorsque la BitLicence a été introduite en 2014 à New York, toutes les sociétés sont parties s’installer en Californie...”
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(Les très grandes banques américaines qui nous ont provoqué la dernière crise financière, ont verrouillé le bitcoin pour en faire leur fameuse monnaie unique, Pour que ça marche. Ils peuvent provoquer des alertes en faisant comprendre que ceux qui ont des bitcoins seront épargnés. Après, ça, ça ira très vite, une masse adhérera et tant pis pour les autres puisque les états ne les protégeront plus. note de rené)

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