mercredi 26 octobre 2016

Adieu à Bella Belbéoch, figure de l’opposition au nucléaire

26 octobre 2016 Jean-Claude Zerbib 

  

    
Bella Belbéoch était ingénieur spécialiste de l’impact des rayonnements ionisants sur le vivant. L’auteur de cette tribune rend hommage à cette grande résistante au nucléaire, morte le 24 septembre, auteure de nombreux ouvrages sur la question, en particulier sur Tchernobyl, dans lesquels elle mettait en lumière les zones d’ombre des discours officiels.
Aujourd’hui à la retraite, Jean-Claude Zerbib était ingénieur en radioprotection au Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

Bella Belbéoch, née Goldsztein en 1928, ingénieur-docteur, a travaillé au Centre d’études nucléaires de Saclay (Commissariat à l’énergie atomique - CEA) où, après la faculté, elle a poursuivi des travaux de recherche, au moyen de rayons X, sur les propriétés des réseaux cristallins. Mais avant cela, quel chemin parcouru par cette jeune femme, née en France de parents immigrés nés en Pologne et qui avaient acquis la nationalité française en 1930.
Le 20 août 1941, son père, ouvrier tailleur à Paris, est arrêté dans le 11e arrondissement lors de la première des rafles menées entre le 20 et le 24 août. Comme les 4.232 hommes appréhendés ce jour-là, il est enfermé à Drancy, plaque tournante de la déportation des Juifs, où les privations dégradent son état de santé. Il ne pèse plus que 36 kg quand il est libéré deux mois et demi plus tard pour raison médicale. Il rejoint ensuite clandestinement la zone Sud. La mère de Bella, qui échappe de peu à la rafle du Vel’ d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942, parvient à franchir la ligne de démarcation avec son plus jeune fils.
Bella avait quitté Paris début juillet 1942, quelques jours avant cette grande rafle où furent parqués près de 13.200 Juifs, enfants inclus. Elle passa la ligne de démarcation dans un train spécial d’écoliers. Les compartiments de sa voiture furent contrôlés par deux soldats allemands. L’un d’eux scruta son visage et sa carte d’écolière… avant de partir. Elle était sauvée et toute la famille s’est ainsi retrouvée, l’été 1942, dans un hameau de l’Indre, près de Saint-Benoît-du-Sault.

« Un complot international des experts officiels pour minimiser l’évaluation des victimes » 

Elle sera très reconnaissante à tous ceux qui l’ont protégée, notamment lors des jours dangereux de la débâcle allemande, comme cette jeune professeure de mathématiques qui lui procura une fausse carte d’identité, cette directrice d’école qui lui fournissait des tickets d’alimentation ou les parents de cette amie qui la cachèrent. Des Justes parmi les nations.
Lors de son doctorat en faculté, Bella Belbéoch réalisait ses recherches au moyen d’un vieux générateur à rayons X qui n’avait jamais connu le moindre contrôle. Le faisceau de rayonnement délivré par ce générateur se transformait en un arrosoir à rayons X sous le plan de travail. Irradiée au niveau du bassin, Bella avait connu une stérilité de plusieurs mois qui avait nourri ses inquiétudes devant les effets des rayonnements. Bella était toujours préoccupée des risques d’accident grave et les victimes de la catastrophe de Tchernobyl ne cesseront de l’angoisser.
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Bella Belbéoch.
Ce qu’elle a écrit dans le journal Écologie, le 1er mai 1986, le jour même où « le nuage de Tchernobyl » survolait la France, a été pour moi, mais avec plusieurs années de recul, véritablement visionnaire : « Il faut s’attendre, dans les jours qui viennent, à un complot international des experts officiels pour minimiser l’évaluation des victimes que causera cette catastrophe. La poursuite des programmes civils et militaires impose à l’ensemble des États une complicité tacite qui dépasse les conflits idéologiques ou économiques. » [1]
Bella voyait bien plus loin que moi et son écoute comme son intuition lui permettaient de distinguer l’essentiel dans la brume des informations contradictoires. Ce 1er mai 1986, la mission de l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA) à Tchernobyl brossait un tableau rassurant : « Le réacteur est à l’arrêt (sic)… Les entreprises, les fermes collectives et institutions d’État fonctionnent normalement… L’état de l’air au-dessus de la région de Kiev et de la ville de Kiev elle-même n’est pas préoccupant. »
Le 28 août 1986, M. Rosen, le directeur de la sûreté nucléaire de l’AIEA, déclarait [2], lors d’une conférence à Vienne (du 25 au 29 août 1986) : « Même s’il y avait un accident de ce type tous les ans (sic), je considérerais le nucléaire comme une énergie intéressante. » Il y aurait bien d’autres citations aussi mensongères et cyniques que ces paroles de hauts responsables de la caste nucléaire internationale, et Bella en avait relevé plusieurs.

« C’est avant l’accident qu’il faut agir » 

En juin 1986, j’avais écrit un texte distribué à Saclay dans lequel je soulignais le risque de cancer de la thyroïde des enfants suite aux rejets d’iodes. J’avais essuyé les sarcasmes des experts du CEA et de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) en particulier. Bella avait fait partie de ceux qui partageaient cette crainte et c’est elle qui m’avait signalé la lettre du courageux médecin K. Baverstock qui, en septembre 1992, avait rendu publiques les données [3], accumulées par les médecins Belarus sur ces cancers thyroïdiens : de deux à trois cancers annuels en Belarus, le nombre était passé à 55 en 1991. Et ce n’était que le début de l’épidémie.
Les préoccupations de Bella Belbéoch portaient sur les cuves et générateurs de vapeur (GV) des réacteurs français. Elle analysait depuis plus de 30 ans leurs anomalies et adressait aux autorités ses analyses détaillées. En 2004, Bella et Roger Belbéoch, son époux, décédé fin 2011, ont quitté le Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN), car ils doutaient de l’utilité qu’il y avait à débattre avec les instances du nucléaire. Ils ont cependant poursuivi leurs combats critiques pour l’arrêt du nucléaire, et tous leurs écrits restent des références.
Les dernières malfaçons camouflées par des rapports de contrôle falsifiés ont accru les inquiétudes de Bella et ses visions de catastrophes à venir. Elle partageait pleinement les inquiétudes de Roger : « Sortir du nucléaire, c’est possible, avant la catastrophe. C’est avant l’accident qu’il faut agir. Après, il n’y a plus qu’à subir. »



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[1Cité par Wladimir Tchertkoff dans Le Crime de Tchernobyl, le goulag nucléaire, (page 24/720), Actes Sud, avril 2006.
[2Le Monde, du 28 août 1986.
[3« Thyroid cancer after Chernobyl », Nature, vol. 359, pages (21-22), 3 septembre 1992.

(De toute façon laisser les centrales se détériorer au point d'imploser coûtera moins cher que les démanteler et tout nettoyer ! C'est ça la vérité vraie que personne ne veut vous dire ! Et, en plus, ils ne savent pas faire. note de rené)

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