samedi 25 juin 2016

(La pourriture des élus de tout bord. Pour eux, la justice ou la guillotine ? note de rené)

Maïssa, la "bougnoule" bannie pour avoir été agressée sexuellement par le maire

 Par François Koch, publié le 25/06/2016 à 09:17 , mis à jour à 16:31

  • François Koch
La lingère d'une commune de la banlieue de Dijon a été reconnue victime d'agressions sexuelles par son maire, mais elle est toujours hospitalisée pour dépression, contrainte de quitter sa ville.
Une double peine. Maïssa* a été victime d'agressions sexuelles par son employeur, le maire LR de la commune, Michel Rotger, 66 ans. Si l'homme a été condamné par la justice début juin, c'est elle qui est bannie de la ville. En arrêt maladie depuis le 30 janvier 2014, date de la dernière agression sexuelle devant témoins, la veille de son dépôt de plainte, cette lingère d'une cantine communale a fini par accepter son "exfiltration" dans un hôpital psychiatrique de Dijon en janvier 2016. "J'étais enfermée chez moi comme dans une prison", confie-t-elle. En raison de la violente hostilité contre elle, Maïssa ne pouvait plus sortir dans les rues de Chevigny-Saint-Sauveur, commune de 10 000 habitants dans la banlieue est de Dijon où elle réside depuis dix-huit ans. 
"Cette affaire m'obsède, je vis avec elle à chaque instant"

Depuis l'audience correctionnelle de Dijon, le 11 mai, Maïssa va un peu mieux. Elle a réussi, grâce aux médicaments, à la présence d'un psy et d'infirmiers et au soutien comme partie civile de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), à faire face à son agresseur pendant les six heures d'audience. La condamnation à un an d'emprisonnement avec sursis de son agresseur lui a mis du baume au coeur. Un peu seulement, car elle sait qu'elle devra affronter à nouveau un procès, devant la Cour d'appel de Dijon cette fois.  

"Cette affaire m'obsède, je vis avec elle à chaque instant." Les agressions sexuelles lui reviennent en mémoire comme des flashs, avec un sentiment de dégoût. Il y aussi tout ce qu'elle a dû subir après. 
Tentative de suicide en mars 2014
En jean et veste de cuir noir, Maïssa, 45 ans, reçoit L'Express dans un Centre hospitalier spécialisé de Dijon, un environnement très verdoyant. Toujours sous antidépresseurs, elle accepte de raconter son calvaire depuis deux ans et demi. A commencer par ce 9 mars 2014, où elle a fait une tentative de suicide par médicaments, suivie de deux jours d'hospitalisation. C'était quelques heures après une altercation avec le maire sur le marché. "Il a foncé sur moi en me tendant la main, comme si de rien n'était. Il me niait!" Elle a hurlé: "Vous m'avez pris pour un objet sexuel!" Et elle a agité une photocopie de sa plainte. Selon son souvenir, il lui a répondu qu'il la chasserait de la ville. Ce qu'il a nié devant la juge d'instruction. Le lendemain de cet incident du marché, il a porté plainte contre elle pour "dénonciation calomnieuse et diffamation". 

Dix jours plus tard, Michel Rotger est placé en garde à vue et mis en examen pour agressions et harcèlement sexuels. Lorsqu'il est libéré, il prend la tête d'une manifestation de soutien forte de 350 personnes avec pour slogans: "Halte à la calomnie!", "Soutien à notre maire". Un frère de Maïssa et des amis organisent une contre-manifestation, avec une soixantaine de participants, des femmes surtout, portant des pancartes: "Quand une femme dit non, c'est non!", "Rendons sa place à la victime!" 
"Putain!", "bougnoule!"
Ces soutiens ont apporté un peu de réconfort pour Maïssa. Mais c'est bien insuffisant pour supporter les insultes. "En allant chercher des clopes dans un café à deux pas de chez moi, j'ai entendu dans mon dos: 'Putain!' Puis, en sortant de la boulangerie, je passe devant un autre bistrot, et un client me lance: 'Bougnoule!'" En parler lui fait monter les larmes aux yeux. "Être renvoyée à ma condition de bougnoule! Je suis née à Langres, en Haute-Marne, et j'ai toujours vécu sans souci à Chevigny depuis près de deux décennies." 
Maïssa ne parvient pas à comprendre que, victime d'agressions sexuelles, elle doit aussi subir du racisme, du simple fait qu'elle est née de parents algériens. Propos de comptoir, entendus dix fois par des amis: "Cette Arabe a voulu draguer le maire et comme il n'en a pas voulu, elle se venge pour gagner de l'argent." Sa plainte a manifestement ulcéré certains de ses voisins, dont les réactions subtiles lui sont rapportées: "C'est le maire tout de même! Pour qui elle se prend?" Comme s'il était inconvenant qu'une petite employée municipale saisisse la justice contre le patron de la commune. 
"Tu aurais dû accepter de coucher avec le maire"
Si ce n'était que des ragots de bistrots, elle n'en souffrirait pas trop, mais Maïssa a dû aussi lire des dépositions de collègues qui l'on fait passer pour aguicheuse, avec de soi-disant tenues provocantes et des talons de 13 cm. Elle se souvient qu'à l'audience correctionnelle de mai dernier, la procureure de la République s'est moquée de l'invraisemblance de ces témoignages. "Comme si on pouvait bosser dans une cantine avec des talons de 13 centimètres!" Difficile d'entendre de ses oreilles une collègue lui confier le plus sérieusement du monde: "Tu aurais dû accepter de coucher avec le maire, tu aurais eu la promotion que tu voulais." 
Maïssa était assommée par tous ces propos, plus sordides les uns que les autres, certains relayés par la force des réseaux sociaux. Le 22 mai 2015, devant la juge d'instruction, elle déclare: "Je ne pensais pas qu'il parviendrait à retourner la moitié de la population contre moi, ni à se faire passer pour la victime. Avec le recul, je me dis que je n'aurai jamais dû déposer plainte et si j'ai un message à faire passer aux femmes, c'est qu'il ne faut pas déposer plainte, partir et se murer dans le silence." 
En procédure de divorce, elle cherche un appartement
Aujourd'hui, treize mois plus tard, elle juge terrible sa déclaration devant la juge. Elle n'a changé d'avis qu'après le procès, où elle a enfin pu dire: "J'ai bien fait de porter plainte." Et pourtant, sa situation n'est pas devenue rose. Hospitalisée en psychiatrie depuis cinq mois, elle est en procédure de divorce. "Mon mari ne voulait pas que je saisisse la justice, il aurait préféré régler lui-même son compte au maire. Et il n'a pas supporté l'étalage public de notre sphère intime." A cause de son état de santé et de sa séparation avec leur père, ses relations avec ses deux fils, âgés de 15 et 18 ans, se sont dégradées.  
Quels sont ses projets d'avenir? Sortir de l'hôpital le plus vite possible, trouver un appartement dans la région mais surtout pas à Chevigny. Retravailler? Elle l'envisage, pour l'instant, avec difficulté. Elle sait qu'elle devra changer d'employeur. "Mon agresseur a été condamné, mais, grâce à l'appel, il peut vivre comme si de rien n'était. Mais moi, j'ai réellement été condamnée à l'exil." 

(*) Prénom d'emprunt. 

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