jeudi 31 mai 2018

La Chine contre-attaque

Chère lectrice, cher lecteur,
Voici une nouvelle qui n’a pas mieux passé la torpeur pascale que la ferveur syndicale.
Dommage.
Juste avant le week-end, l’agence de presse américaine Reuters a dévoilé que la Chine allait se mettre à payer ses importations de pétrole dans sa monnaie : le Yuan. [1]
Et ce, dès le second semestre 2018.
Ah.
Aujourd’hui, 99% des échanges internationaux d’hydrocarbures sont libellés en dollars… C’est un marché de 2 200 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de la France.
Le pétrole est de ce fait la marchandise la plus échangée au monde, la colonne vertébrale des 40 000 milliards d’échanges mondiaux de biens et services, le fer de lance de la mondialisation.
À la fin de l’année dernière, la Chine avait déjà lancé des produits dérivés sur le pétrole en Yuan mais ils ne donnaient pas lieu à des échanges physique, c’était une première étape et une manière pour les Chinois de couvrir un risque de change.
Aujourd’hui tout s’accélère.

Boule de neige

Puisque le pétrole s’achète en dollars, si vous voulez en importer, vous avez besoin d’avoir des… dollars.
Pour cela, rien de plus facile, il vous suffit par exemple de vendre une autre marchandise ou des services en dollars.
Vous allez donc libeller vos exportations en dollars pour pouvoir à votre tour acheter du pétrole et ainsi de suite, par effet boule de neige, c’est 50% du commerce mondial qui se fait en dollars, soit 20 000 milliards$.
Tous ces dollars doivent d’abord sortir des États-Unis. Et pour cela, il faut commencer par :
  • Acheter des biens et services à des entreprises américaines ou bien ;
  • Attirer des investissements américains chez vous ou encore ;
  • Installer une succursale aux États-Unis (en espérant qu’ils vous laisseront rapatrier vos dollars).
Dans tous les cas, il faut payer la taxe, ce que De Gaulle appelait le privilège exorbitant du dollar.
C’est comme cela que le monde subventionne l’hégémonie américaine depuis 70 ans. 

La contestation s’étend

Les grands pays sont tellement dépendants du dollar qu’ils sont de facto à la merci de Washington susceptible de les asphyxier en quelques mois à peine en coupant l’accès aux liquidités en dollars.
C’est pour cela que le mouvement de Pékin est si important.
Cela veut dire qu’ils se sentent suffisamment puissants pour braver les menaces américaines : qu’ils ont suffisamment de dollars en réserve (on le savait déjà) et surtout qu’ils ont auparavant persuadé un certain nombre de partenaires clés de les suivre dans cette aventure
Car pour acheter leur pétrole en Yuan, il faut encore que quelqu’un soit près à le leur vendre.
Bien sûr, leur position de premier importateur de pétrole mondial est un atout pour les Chinois.
Il semble que l’Arabie Saoudite et l’Angola sont prêts à vendre leur pétrole en yuans, et bien sûr la Russie.
Il va alors se passer le même procédé en sens inverse : les Saoudiens, les Russes, les Angolais vont se retrouver avec des yuans qu’il faudra bien qu’ils utilisent pour acheter d’autres marchandises à la Chine d’abord puis entre les pays qui disposeront de liquidités en yuans.
C’est une révolution dans l’équilibre des forces.
Jusqu’à présent, le Yuan évoluait en circuit presque fermé sur le territoire chinois que les communistes avaient bien pris garde de ne pas ouvrir aux 4 vents. Dans cette nouvelle phase, toute l’économie chinoise va s’ouvrir petit à petit pour fournir des débouchés à ses partenaires qu’elle paiera en yuans.
Mais il reste encore un problème : le Yuan est très loin d’avoir la stature d’une monnaie d’échange ou de réserve pour le monde.
Il n’est pas assez stable pour être réserve. Pas assez liquide pour être monnaie d’échange.

Le plan secret de la Chine

Il va falloir beaucoup de temps pour qu’il acquiert cette stature, ce qui risquerait d’affaiblir considérablement le mouvement audacieux de Pékin… à moins qu’ils n’adossent leur monnaie sur un actif stable et liquide, l’actif pur par excellence : l’or.
Vous vous souvenez peut-être que c’est l’analyse que faisait Olivier Delamarche dès le mois de janvier.
Ce scénario est difficile à imaginer tant il propulserait l’or à des niveau stratosphériques.
Mais il existe des indices :
  • Il y a quelques années, les Chinois communiquaient encore sur leur objectif de rétablir un étalon-or. Leur silence actuel et leurs achats massifs de métal jaune laisse à penser qu’ils mettent leur plan à exécution ;
  • Historiquement, toutes les expériences de monnaies de papier se sont soldées par des déroutes suivies du retour à un étalon-or. Il n’y a pas de raison que cela change cette fois-ci. Cela fait moins de 50 ans que nous avons abandonné l’Étalon-or et l’on ne peut pas dire que le monde s’en porte mieux ;
  • Les Chinois ont créé leur propre standard de qualité et de format pour l’or : tout l’or qu’ils achètent est fondu pour frapper de nouvelles pièces, barres et lingots… Et ce n’est pas pour jouer à la dinette.

La place de l’Europe

Dans ce jeu géostratégique, l’Europe tient une place inconfortable entre :
  • la Russie qui serait un partenaire naturel tant nous dépendons de son gaz et ;
  •  les États-Unis qui sont un partenaire historique qui ne veut surtout pas d’un bloc eurasiatique qui aurait tous les attributs d’un concurrent à l’hégémonie ou en tout cas, le poids pour faire basculer notre monde unipolaire vers un équilibre multipolaire.
D’ailleurs la dernière loi budgétaire aux États-Unis affecte 218 millions de dollars à la promotion de la démocratie en Europe [2]. Cela en serait amusant si ce n’était aussi déplaisant  : voyez derrière cette noble cause de la déstabilisation en Ukraine et en Europe de l’Est ainsi que de la « promotion » des technocrates hors-sol de Bruxelles dont plus personne ne veut… Sauf les Américains pour négocier leur grand traité de libre échange transatlantique dans le plus grand secret.
Mais qu’ils le veuillent ou non, leur hégémonie est attaquée et leur temps est compté.
C’est un grand mouvement tellurique de rééquilibrage du monde. Des débouchés vont se fermer, d’autres s’ouvrir. Des fortunes vont se faire et d’autres se défaire.
L’aveuglement européen en ce sens n’est pas pour me rassurer, d’autant qu’il n’est pas nouveau.
Vous ne pouvez compter que sur vous pour vous protéger.
À votre bonne fortune,
Olivier Perrin
PS : Derrière les portes closes des tractations politiques, une guerre se mène actuellement, dans laquelle transparaît à tout moment le « fédérateur de l’extérieur » que combattait tant le général De Gaulle, déjà à son époque.
J’avais enregistrée cette vidéo au moment des élections françaises l’année dernière, elle est plus que j’amais d’actualité : 

Aucun commentaire: