lundi 26 février 2018


Pour éradiquer les espèces invasives, l’Australie n’a pas peur de jouer à l’apprenti-sorcier
Céline Deluzarche source : Usbek et Rica


Injection de virus, déploiement de robots tueurs, empoisonnement de masse… Depuis plusieurs années déjà, l’Australie a recours à différentes techniques radicales pour tenter de venir à bout des espèces invasives qui menacent la biodiversité locale. Un parti pris audacieux pour les uns, irresponsable pour d’autres, puisque ces méthodes pourraient avoir des effets secondaires potentiellement désastreux.
L’introduction d’espèces invasives en dehors de leur milieu d’origine peut avoir des conséquences écologiques désastreuses. Souvent, ces espèces invasives prolifèrent au détriment des animaux et plantes autochtones, consommant des ressources et véhiculant maladies et parasites. À tel point qu’il s’agit de la deuxième cause la plus importante de disparition d’espèces, juste derrière la destruction des habitats naturels, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).


Chaque pays essaye de lutter contre ce fléau avec ses moyens. La France, par exemple, mène des campagnes pour piéger les ragondins, arracher la jussie (une plante aquatique invasive) ou chasser le cormoran dans certains départements. Mais d’autres pays emploient des méthodes bien plus radicales. C’est le cas, notamment, de l’Australie, confrontée dès le milieu du XIXe siècle à une invasion massive avec le débarquement des premiers colons.
23,5 millions de cochons retournés à l’état sauvage causent des ravages à la biodiversité locale

Les 27 lapins « libérés » en 1859 sur place ont donné naissance à une population estimée, six ans plus tard, à 22 millions d’individus… Les dromadaires, abandonnés avec le développement du rail, sont aujourd’hui plus de 500 000 à errer dans l’arrière-pays. Et 23,5 millions de cochons retournés à l’état sauvage causent des ravages à la biodiversité locale. Pour lutter contre cette surpopulation, le gouvernement australien a décidé d’employer la manière forte : chasse au buffle en hélicoptère, pièges creusés dans les points de ravitaillement en eau, construction de barrières sur des milliers de kilomètres… Passage en revue de ces méthodes radicales, dont les conséquences à long terme sont encore difficiles à anticiper.
Les lapins décimés par la myxomatose
Dans les années 1950, l’Australie a fait figure de pays pionnier en matière d’armement biologique, avec l’introduction sur son territoire de la myxomatose, un virus originaire du Brésil. Efficace, puisque 90% des lapins présents sur le territoire australien ont été décimés en l’espace de deux ans. En 1995, un second virus originaire de Chine est diffusé, avec là encore 10 millions de bâtes tuées en quelques semaines. Mais à chaque fois, les quelques survivants deviennent résistants au virus... En 2017, c’est encore une nouvelle souche (RHDV1 K5), cette fois importée de Corée du Sud, qui est introduite. L’Espagne a beau s’inquiéter publiquement, craignant que ce virus « hautement contagieux » n’atteigne ses lapins domestiques et d’élevage, l’Australie juge son action terriblement efficace et rentable. Elle ne prévoit donc pas de s’arrêter là dans le maniement de virus tueurs… 

Un « carpageddon » pour nettoyer le fleuve Murray
En 2019, le virus de l’herpès est répandu dans les rivières et les fleuves de la province australienne de Nouvelle-Galles du Sud afin de venir à bout de la carpe européenne. Un agent biologique jugé « complètement inoffensif » pour l’écosystème et les autres espèces, garantit le responsable fédéral du projet. « Ce sera la plus grande intervention écologique de notre génération », s’enthousiasme-t-il, dans un article publié par ABC News. Ce « carpageddon » annoncé souffre toutefois d’un inconvénient majeur : étant donné que les carpes représentent 85% de l’ensemble des poissons présents dans le fleuve Murray, cette intervention risque d’entraîner l’asphyxie totale des cours d’eau, tuant au passage plusieurs autres espèces aquatiques. Sans compter la pollution et les nuisances engendrées par la décomposition des cadavres flottants. Des scientifiques s’inquiètent aussi d’une possible mutation du virus : « Des expériences en laboratoire ne garantissent en rien son évolution en milieu naturel », soulignent deux chercheurs dans la revue Nature Ecology and Evolution.
Implants toxiques et épandages hasardeux
Jamais à court d’idées, l’Australie a lancé en 2017 une campagne massive d’empoisonnement afin se débarrasser de deux millions de chats domestiques, qui tueraient chacun plus d’un millier d’animaux chaque année. Des implants contenant une substance toxique sont injectés dans les proies habituelles du chat (petits mammifères, oiseaux, etc.), qui meurt quand il croque dedans. « Pour chaque animal dévoré par le chat, on en sauve des centaines d’autres », assure le biologiste David Peacock.
Des robots détectent les chats et pulvérisent sur eux un poison en attendant que ces derniers lèchent leur pelage

En 2016, c’est une autre technique high tech qui a été testée : des robots qui détectent les chats et pulvérisent sur eux un poison en attendant que ces derniers lèchent leur pelage. Problème : malgré un système de reconnaissance pour éviter d’asperger d’autres animaux non visés, le biologiste à l’origine de cette trouvaille a reconnu un « taux d’erreur » relativement élevé : un animal sauvage tué pour trois chats morts.
Des animaux génétiquement modifiés qui s’autodétruisent
Autre pays en pointe dans la lutte contre les espèces envahissantes, la Nouvelle-Zélande s’est lancée le défi d’éradiquer tous les mammifères prédateurs introduits sur son territoire avant 2050 afin de protéger ses oiseaux indigènes, dont le kiwi, son emblème national. Pour parvenir à ses fins, l’État néo-zélandais s’est déjà essayé à des techniques controversées, comme l’épandage par hélicoptère de fluoroacétate de sodium, un pesticide qui provoque une insuffisance respiratoire ou cardiaque chez les mammifères. 

Mais les scientifiques planchent aujourd’hui plutôt sur la piste génétique. Leur projet consiste à modifier l’ADN d’une espèce pour l’amener à se saboter elle-même en transmettant un gène tueur ou qui rend stérile. Une technique déjà testée au Brésil et en Californie sur le moustique, afin de lutter contre la transmission de différents virus (Zika, dengue, paludisme). Sauf que cette fois, il ne s’agit pas de moustiques mais de mammifères : rats, hermines, souris et opossums. Or le biologiste à l’origine de l’étude qui a inspiré ce projet, Kevin Esvelt, est lui-même intervenu pour s’opposer à cette idée : « La propagation génétique est si puissante qu’elle ne doit pas être testée, même à petite échelle », confie-t-il dans un article à lire sur le site de The Atlantic.
Combattre le mal par le mal ?
Pour lutter contre les espèces invasives, d’autres pistes, encore plus farfelues, sont avancées. Parmi elles, l’introduction… de nouvelles espèces. Le biologiste australien David Bowman suggère ainsi d’amener sur le continent des éléphants, des rhinocéros et des dragons de Komodo afin de venir à bout de l’herbe de Gambie, une plante très inflammable, mais aussi des petits mammifères trop nombreux. « L’expérience montre qu’introduire volontairement des espèces pour venir à bout d’autres espèces invasives, neuf fois sur dix, se traduit par une catastrophe ! », s’alarmait pourtant dès 2012 Franck Courchamp, chercheur au Laboratoire d'écologie systématique et évolution du CNRS.
« Peut-on transformer tous nos rats en OGM sans demander aux autres nations ce qu’elles en pensent ? »

Tous ces efforts risquent pourtant d’être vains, car la difficulté à endiguer la propagation d’espèces invasives résulte en grande partie de la mondialisation. « Chaque pays ne peut pas développer sa propre politique dans son coin », s’énerve Kevin EsveltPeut-on transformer tous nos rats en OGM sans demander aux autres nations ce qu’elles en pensent ? ». Après tout, nous avons bien été capables de lancer des actions volontaristes pour le réchauffement climatique à l’échelle internationale. La protection de la biodiversité ne mérite-t-elle pas la même attention ?

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Image à la une : L'opposum fait partie des mammifères ciblés pour subir une manipulation génétique les rendant stériles / © Brisbane City Council-Wikimedia


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