mardi 27 février 2018

Face aux pesticides chimiques, les biopesticides tracent leur chemin

26 février 2018 Baptiste Giraud (Reporterre) 

     
Se passer des pesticides de synthèse : l’idée fait son chemin. Le « biocontrôle » a le vent en poupe, mais l’utilisation de produits d’origine naturelle suppose un changement du mode d’exploitation agricole.
Alors que l’interdiction de certains pesticides de synthèse fait son chemin - et - notamment celle du glyphosate -, industriels, agriculteurs et autres utilisateurs se demandent par quoi les remplacer. Beaucoup misent sur les produits de biocontrôle : des pesticides d’origine naturelle, réputés propres. Du plan Ecophyto aux états généraux de l’alimentation, c’est l’une des réponses mises en avant par le ministère de l’Agriculture pour se passer des pesticides. Au même moment, gros et petits industriels s’affairent pour mettre sur le marché des solutions « propres » de « protection des plantes ».
Des « produits de biocontrôle » (aussi appelés « biopesticides ») sont commercialisés depuis les années 1970. Mais leur développement s’est accéléré ces dernières années en raison du retrait progressif de certains pesticides de synthèse. Par exemple, les néonicotinoïdes, ces fameux pesticides « tueurs d’abeilles », doivent être interdits à partir du 1er septembre prochain, tandis que l’ensemble des produits phytopharmaceutiques de synthèse sont désormais prohibés dans les espaces publics, et bientôt pour les jardiniers amateurs (au 1er janvier 2019).
« L’élimination des substances les plus préoccupantes va ouvrir des perspectives pour d’autres produits ou d’autres méthodes, et notamment le biocontrôle, qui bénéficie de très nombreux atouts », déclarait le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, lors d’un récent colloque consacré à ce sujet. Il était organisé par IBMA France (l’association française des entreprises de biocontrôle), dont Denis Longevialle est le secrétaire général. « Aujourd’hui, le biocontrôle représente 5 % du marché de la protection des plantes, mais il est en forte dynamique : + 25 % entre 2015 et 2016, affirme-t-il. Notre ambition est d’atteindre 15 % du marché, afin d’installer ces solutions et qu’elles deviennent incontournables. »

« Produits utilisant des mécanismes naturels dans la lutte intégrée contre les ennemis des cultures » 

IBMA France, association créée en 1999, regroupe aujourd’hui une quarantaine d’entreprises. Des start-up… et des géants phytopharmaceutiques, comme Bayer, BASF, Syngenta ou Dow Agrosciences. « Les premières solutions de biocontrôle, dans les années 1970, ont été développées pour protéger les cultures de concombre face à certains insectes qui étaient devenus résistants aux solutions conventionnelles », reconnaît Denis Longevialle, avant d’ajouter que les préoccupations environnementales n’étaient « probablement » pas absentes de la démarche.
Mais le cadre réglementaire des produits de biocontrôle n’a été fixé qu’en 2014, par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Ces produits y sont définis comme des « agents et produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures », et déclinés en quatre catégories :
  • les macroorganismes (des insectes, par exemple les coccinelles, prédatrices naturelles des pucerons) ;
  • les microorganismes (des bactéries comme le bacille de Thuringe, l’insecticide le plus utilisé en bio) ;
  • les médiateurs chimiques (phéromones ou kairomones, des hormones sexuelles qui désorientent les insectes ou les attirent dans des pièges) ;
  • les substances naturelles d’origine végétale, animale ou minérale (par exemple le soufre, qui a des propriétés fongicides).
Se repaissant d’insectes, dont les pucerons, la coccinelle est un auxiliaire des paysans.
Le ministère de l’Agriculture met régulièrement à jour une liste des produits autorisés. La dernière, datée du 22 janvier 2018, recense plus de 400 « biopesticides » (plusieurs utilisent les mêmes substances actives). La majorité des produits utilisés aujourd’hui sont des insecticides.
Mais qu’en est-il de la toxicité de ces produits pour les humains et l’environnement « Tout ce qui est naturel n’est pas forcément dépourvu de toxicité, avertit Françoise Weber, du pôle produits réglementés de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Prenez les champignons. Ou bien les extraits de chrysanthème, les pyréthrines : ce sont des neurotoxiques. »

« Tout ce qui peut réduire l’utilisation des saloperies actuelles est bon à prendre » 

Même les produits utilisés en agriculture biologique (comme le cuivre, un métal lourd qui s’accumule dans les sols et appauvrit leur vie) peuvent avoir des effets négatifs, rappelle Emmanuel Aze, arboriculteur dans le Lot-et-Garonne et membre du secrétariat national de la Confédération paysanne. « Régulièrement, on remet en cause certaines familles de pesticides. On pourrait en trouver d’autres, qui seraient moins toxiques et tout aussi efficaces, jusqu’à ce qu’on découvre que le nouveau produit a lui aussi des effets néfastes, et ainsi de suite. »
Pour lui, « le biocontrôle est une famille d’alternatives aux pesticides de synthèse, mais issue de la même logique industrielle que les pesticides de synthèse. Cela dit, entre les néonicotinoïdes et les diffuseurs de phéromones, y’a pas photo ! Tout ce qui peut réduire l’utilisation des saloperies actuelles est bon à prendre », nuance-t-il.
Christophe Brandy, viticulteur en conventionnel dans le cognac depuis une trentaine d’années, croit dur comme fer à ce que peuvent apporter ces nouveaux produits. Il a toujours utilisé la chimie agricole, notamment contre le mildiou, un champignon qui parasite les feuilles de vigne. « Je me disais quand même, ça coûte cher, est-ce si efficace que ça ? » Il a alors commencé à se renseigner et à faire des tests. « Finalement, j’ai trouvé deux produits avec lesquels j’arrive à avoir la même productivité qu’en utilisant la chimie de synthèse, mais qui ne polluent pas. »
L’envers d’une feuille de vigne parasitée par le mildiou.
À l’entendre, beaucoup d’agriculteurs sont en attente de nouveaux produits, moins nocifs pour l’environnement et leur propre santé. « Dès que la presse parle de moi et de mes expérimentations, plein de gens m’appellent ! Il y a un besoin énorme de la base, qui se remet en cause, cherche des solutions. Mais ces gens-là sont tous seuls », affirme-t-il.
En réalité, le domaine du biocontrôle est en effervescence. « Il y a un foisonnement en matière de recherche et d’innovation, car le secteur est jeune, représente de gros enjeux, et que les besoins sont très forts », commente Denis Longevialle. « Beaucoup de projets sont en cours, mais tellement dans le secret qu’on n’en sait pas grand-chose », dit Cédric Bertrand, professeur à l’université de Perpignan et président de l’Académie du biocontrôle et de la protection biologique intégrée.

« Changer le mode de réflexion de la production agricole » 

La recherche se fait notamment attendre sur les fongicides (pour éliminer les champignons parasites) : huiles essentielles, oligo-éléments, extraits d’algues sont étudiés et testés sur différentes cultures et maladies. « Pour l’instant, ce genre de produits a une efficacité plus ou moins grande selon les nombreux facteurs en jeu (variété de plante, année…). On ne peut pas les utiliser de manière systématique », explique Cédric Bertrand.
« L’industrie comprend bien que la mise en cause des pesticides ne va pas s’arrêter, donc il leur faut trouver une sortie, se diversifier : c’est cela que prépare le biocontrôle », dit Jean Sabench. Selon cet ancien apiculteur, membre de la commission pesticides de la Confédération paysanne, la solution consisterait à « changer le mode de réflexion de la production agricole ».
Justement, une partie des jeunes acteurs du biocontrôle semble avoir compris cela. Comme la start-up bretonne Gaïago, qui conçoit et produit des biopesticides et « biostimulants » depuis 2011. « Pour avoir une plante en bonne santé, il faut qu’elle pousse dans un sol lui-même en bonne santé, et alors vous n’aurez plus besoin de chimie traditionnelle », explique Samuel Marquet, l’un de ses cofondateurs. Cette démarche rappelle l’approche globale portée par la bio et la biodynamie : « Il faut aller au bout de ces systèmes-là, chercher l’élément le plus actif, et proposer les produits les plus concentrés », dit-il.
Gaïago dit s’appuyer sur la littérature scientifique, notamment en microbiologie des sols, et sur « un réseau d’agronomes internationaux » pour formuler ses produits. « Nous utilisons des bactéries qui fixent l’azote de l’air à la place des engrais minéraux, des huiles essentielles et des extraits de plantes pour éloigner les insectes, ou encore des produits qui augmentent l’immunité de la plante, appelés stimulateurs de défenses naturelles. »

Dépendance « aux rendements permis par la chimie » 

Autre élément de débat : la question de l’autonomie et de la capacité d’autoproduction des paysans. « Même s’il a un intérêt du point de vue de la protection de la santé et de l’environnement, le biocontrôle vient de l’industrie, et donc il maintient une dépendance des paysans », explique Emmanuel Aze. Voilà pourquoi la Confédération paysanne préfère dépenser son énergie à défendre les « préparations naturelles peu préoccupantes » (PNPP) — ce sont des tisanes et purins réalisés à partir de plantes communes —, plutôt que le biocontrôle.
« Ce serait une vraie victoire si les agriculteurs n’avaient plus besoin de nous, et pouvaient se débrouiller avec leurs préparations de purin d’ortie, répond Samuel Marquet. Mais aujourd’hui, les situations agronomiques sont tellement préoccupantes que ce n’est pas avec des PNPP qu’on va résoudre les problèmes. »
La grande ortie est utilisée pour préparer du purin, utile notamment contre les insectes.
Se contenter des tisanes de plantes et d’un peu de cuivre pour se protéger du mildiou « Certains y arrivent, mais c’est très compliqué et les rendements chutent », déplore Christophe Brandy, qui avoue s’être « habitué aux rendements permis par la chimie ». En somme, remettre en cause d’un même mouvement les pesticides et le productivisme agricole serait trop compliqué, et il faudrait tolérer une baisse du second pour aller plus vite vers le « zéro phyto ».
Laurent de Crasto est à la tête d’une start-up bordelaise qui développe un biopesticide à base d’algue, ImmunRise. « La difficulté consiste à faire accepter des changements de pratique à 20, 50, 100 % des utilisateurs de produits phytos, et pas juste à 5 %. Si on veut y arriver, il faut que ce changement ne soit pas trop contraignant, y compris en matière de pratiques, de formation, de temps, d’investissement, etc. » argumente-t-il.
« Je ne pense pas qu’on puisse justifier l’absence de recherche de solutions nouvelles, poursuit Laurent de Crasto. L’agriculture française, depuis qu’elle existe, n’a été qu’innovation. Maintenant, innovation d’accord, mais sur quel modèle ? »

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