Long démantèlement pour une petite centrale italienne
Comment démantèle-t-on une centrale nucléaire, en France, en Allemagne ou en Italie? Premier volet de notre tour d'Europe dans l’une des plus vieilles centrales au monde en cours de déconstruction et décontamination: celle de Garigliano, en Campanie.
LA CENTRALE DE GARIGLIANO , EN ITALIE DU SUD, L'UNE DES PLUS VIEILLES CENTRALES AU MONDE EN COURS DE DÉMANTÈLEMENT.
RACHEL MULOT
Avec sa sphère blanche, un bijou de l'architecture industrielle, ses arcades de béton dessinées par Riccardo Morandi, sa salle des machines vintage (voir photos ci dessous), la petite centrale nucléaire de Garigliano, bordée par la mer tyrrhénienne et les oliveraies de Campanie, semble tout droit sortie d'un James Bond des années 1960.
La centrale, dessinée par l'architecte Riccardo Morandi,a été construite entre 1959 et 1964. Crédit Philippe Dubreuil, IRSN.
La salle des machines est restée dans son jus. Crédit IRSN Philippe Dubreuil.
La deuxième des quatre centrales nucléaires d'Italie, dotée d'un unique réacteur à eau bouillante d'une capacité de 150 mégawatts, n'a majoritairement produit d'électricité qu'entre 1964 et 1978 et a été fermée (pour des raisons de sécurité sismique et de rentabilité) avant même que le pays ne décide, par référendum en 1987, de sortir du nucléaire après la catastrophe de Tchernobyl. Les combustibles ont été retirés du cœur au début des années 2000 puis envoyés dans les usines de la Hague, en France, et de Sellafield, en Grande-Bretagne pour être retraités.
En chiffres. 15 ans de fonctionnement environ, 34 ans d'arrêt sous surveillance, 23 ans de démantèlement prévus auquel s'ajouteront certainement 10 ans de contrôles a posteriori. Coût 400 millions d'euros minimum. L'Italie compte 8 sites nucléaires dont quatre centrales et quatre installations du cycle du combustibles, tous de technologies différentes. Le démantèlement des sites du pays est estimé à 7,2 milliards d'euros, stockage des déchets inclus, financés via une taxe sur l'électricité qui coûterait 6 euros par consommateur et par an.
Réveiller la centrale dormante
Mais le démantèlement complet de Garigliano a été différé jusqu'en 2012, le temps d'obtenir un décret ministériel et de laisser la radioactivité décroitre sur le site. Le hic aujourd'hui, c'est que pour la déconstruire, il faut réveiller la centrale dormante à grands coups de frais : autrement dit, "il a fallu restaurer le système électrique, refaire des circuits de ventilation pour pouvoir opérer dans les bâtiments, installer des systèmes informatiques de capteurs et de surveillance", explique Maio Valentino, responsable de la centrale, en guidant des experts français de l'Institut de Radioprotection et de sûreté nucléaire.
Le hall où machines et turbines attendent la découpe.
L'aimant de cuivre au premier plan, décontaminé, sera revendu à des industriels.
Crédit Philippe Dubreuil, IRSN.
Autre écueil : les travailleurs du nucléaire qui ont connu la centrale en fonctionnement ont disparu… et leur mémoire avec. Il n'en reste que deux sur les 70 personnes désormais employées sur le site. "Ces difficultés expliquent que la doctrine ait changé, souligne Patrice François, expert en démantèlement de l'IRSN. Désormais, on recommande de démanteler immédiatement ". Les Allemands qui déconstruisent la mega centrale de Greiswald depuis une décennie, en Poméranie pensent qu'intervenir rapidement leur a permis d'économiser 20% du coût du chantier (A suivre, notre reportage en Poméranie).
La plupart des bâtiments auxiliaires ont été abattus. L'une des hautes cheminées de 90m est en cours de démolition, pour faire place à une neuve qui permettra de filtrer toutes les particules rejetées dans l'air environnant. Mais avant de raser l'édifice, il a fallu le décontaminer de l'intérieur. "L'opération a pris six mois, soixante jours de plus que prévu, calcule Emanuele Fontani, de la SOGIN, chargée des opérations de démantèlement, un œil sur les ouvriers qui grimpent le long de l'édifice via un ascenseur. Un robot ponceur de 1500 kg, coûtant plus d'1,5 million d'euros, a été mis au point tout exprès pour décaper le béton irradié sur quelques millimètres, et piloté par téléopération. Les poussières, aspirées, ont ensuite été traitées et stockées dans des fûts.
"Garigliano n'a pas été pensée pour être démantelée"
"Le plus délicat reste à faire : remettre la piscine du réacteur en eau, pour permettre le démantèlement des éléments les plus radioactifs -comme les internes de cuve et la cuve- en toute sécurité", explique Fabrizio Scolamacchia, directeur de la centrale de Garigliano. Sous le dôme blanc qui abrite le réacteur, il se peut que pompes et tuyaux soient abimés et que leur réparation ou remplacement ne retarde encore le chantier.
Les différentes pièces de la centrale sont découpées et décontaminées sur place avant d'être recyclées -quand c'est possible- ou stockées dans des centres provisoires, toujours in situ. "La centrale n'a pas été pensée pour être démantelée. Pour déconstruire, il a fallu construire et notamment des ateliers de découpage dans l'ancien hall des machines et des sites d'entreposage ", résume Lamberto Matteocci, de l'ISPRA, l'homologue italien de notre Autorité de sûreté nucléaire.
Les déchets radioactifs sont stockés sur place en attendant la création de sites d'entreposage.
Crédit Philippe Dubreuil, IRSN.
Le site de Garigliano abrite déjà 1490 colis de déchets et devrait en accueillir jusqu'à 2000, soit plusieurs dizaines de milliers de m3 de rebuts radioactifs. L'Italie a fait le choix d'un stockage géologique profond pour ses déchets les plus radioactifs, et notamment les combustibles usés qui reviendront de la Hague en 2025 sous forme vitrifiée. Mais contrairement à la France, elle n'a pas encore décidé où ce dernier serait implanté. Des sites propices ont été cartographiés, mais l'information n'a pas été rendue publique pour ne pas enflammer la prochaine campagne électorale. "La question n'est pas technique ou géologique, elle est politique", conviennent tous nos interlocuteurs, qui ignorent quand les autorités s'attaqueront de front au sujet.
Seule certitude : une fois les déchets évacués, d'ici peut-être 2045, les bâtiments exceptionnels de Riccardo Morandi seront préservés et la petite centrale de Garigliano, pourrait devenir… le musée italien du nucléaire. La boucle sera ainsi bouclée.
A suivre : "Le méga chantier de Greifswald: comment démantèlent nos voisins Allemands".
NDLR: Ce reportage a été organisé et pris en charge par l'IRSN, à l'occasion de la visite de leurs experts dans les centrales italienne, allemande et française.
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