mardi 27 mars 2018


Comment la Bulgarie fabrique de faux (et dangereux) citoyens européens

(Photo d'illustration) ((DR - Flicker))
De hauts responsables bulgares corrompus vendent la nationalité bulgare à des milliers d’étrangers, dont des criminels. De notre envoyé spécial.
Par Jean-Baptiste Naudet source : L'Obs




Présentant son dernier rapport devant l'Assemblée nationale en octobre 2017, Dragomir Dimitrov, le directeur de l'Agence nationale de renseignement, les services extérieurs bulgares, a fait une brutale mise en garde :
“"La diffusion de fausses pièces d'identité bulgares, les schémas frauduleux d'obtention de la nationalité sont de sérieuses menaces pour la sécurité de la Bulgarie."”
Ce trafic de nationalité, par milliers, voire dizaines de milliers, grâce à une corruption qui touche le sommet du gouvernement bulgare, est aussi une menace pour l'Union européenne. Car ces "vrais faux" Bulgares sont aussi des citoyens européens, avec le droit de libre circulation. Et grâce à cette manigance illégale, des criminels étrangers ont acquis la citoyenneté européenne. De plus, certains naturalisés, disposant d'un euro passeport, seraient liés à des réseaux terroristes. Interrogés sur cette affaire, le gouvernement et la présidence bulgares n'ont pas répondu à nos questions.

"Sentiment d'appartenance"
C'est Katia Mateva qui a dénoncé le scandale. Pâle, presque tremblante, elle est encore sous le choc. Juriste de formation, experte en droit de la nationalité, chef de la Direction de la citoyenneté bulgare au ministère de la Justice, elle s'est fait renvoyer en octobre 2017 pour avoir dénoncé ce trafic. Depuis, elle continue de subir des pressions pour se taire. Coups de fil, messages, intimidations... On a même menacé de licencier son mari.
Elle raconte d'une voix faible, dans un restaurant de Sofia : "En tant que directrice, j'avais un avis à donner sur les naturalisations. Je me suis opposée à certaines d'entre elles car rien n'était conforme au droit. Les candidats n'avaient aucune origine bulgare."
“"J'ai aussi fait annuler une soixantaine de naturalisations après avoir découvert grâce à Interpol qu'il s'agissait de criminels. C'est un trafic dangereux car même des terroristes peuvent obtenir la citoyenneté puis un passeport européen."”
Selon la loi, il suffit d'être majeur, de ne pas avoir été condamné en Bulgarie uniquement, et de faire une simple déclaration à l'Agence d'Etat pour les Bulgares de l'étranger de "sentiment d'appartenance à la nation bulgare" pour obtenir ensuite la nationalité. En 2013, le président de l'Agence d'Etat pour les Bulgares de l'étranger avait reconnu par écrit "qu'il n'existe pas de procédure pour contrôler les attestations" émises par son agence.
A Sofia, des avocats spécialisés dans la combine délivrent ces "certificats d'appartenance à la nation bulgare" de complaisance, au rythme de 100 à 200 par jour, contre des sommes variants entre 500 et 3.000 euros, selon de bonnes sources. Cependant, les candidats ayant un passé chargé payeraient même des sommes beaucoup plus élevées.
L'Etat complice
Presque seuls ceux qui ont versé un pot-de-vin voient leur déclaration d'appartenance validée, et reçoivent des papiers bulgares. On en arrive à un paradoxe : certains requérants, qui répondent aux critères, notamment parce qu'ils ont un ancêtre bulgare, voient leur demande de nationalité refusée parce qu'ils n'ont pas payé. Alors que ceux qui ne répondent pas aux critères mais qui ont versé la somme demandée obtiennent la citoyenneté bulgare. Katia Mateva raconte :
“"Les naturalisations se font au rythme de 600 à 700 par mois. Cela dure depuis de nombreuses années et cela continue aujourd'hui."”
Plus de 20.000 demandes de naturalisations sont en attente. Les principaux candidats sont des Macédoniens, puis des Serbes, des Albanais, des Kosovars, des Moldaves.
Ce trafic est couvert au plus haut sommet de l'Etat, affirme Katia Mateva, qui a signalé, sans succès, ce schéma illégal au Procureur général (qui a classé l'affaire) ainsi qu'aux agences de renseignements et même au chef du gouvernement, Boïko Borissov, du parti de centre-droit pro-européen GERB. Selon Katia Kateva, des hauts-fonctionnaires et au moins un ministre et un vice-Premier ministre d'un parti nationaliste seraient impliqués dans la corruption.
Le Premier ministre Boïko Borissov laisserait faire de peur de faire éclater la fragile coalition gouvernementale qui le maintien au pouvoir, explique un connaisseur des arcanes de l'Etat bulgare. Bien que son pays ressemble à une passoire, le chef du gouvernement continue de revendiquer son entrée dans l'espace européen Schengen, où l'on peut circuler sans contrôle.
Jean-Baptiste Naudet

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