Alimenter la guerre en Ukraine provoquera une plus grande effusion de sang dans un théâtre où les États-Unis sont désavantagés
Par ALEXANDER MERCOURIS
La décision américaine de fournir des armes à l’Ukraine est une erreur monumentale, mais elle s’inscrit dans la lignée de décisions politiques contradictoires à court terme, qui sont devenues la norme aux États-Unis depuis que l’armée américaine a pris la tête du gouvernement américain en été.
Toute politique dont le raisonnement est difficile à expliquer est presque par définition imparfaite, et celle-là ne fait pas exception. Voici quelques explications possibles sur cette initiative.
 (1) les armes américaines sont fournies pour faciliter une offensive ukrainienne planifiée pour la conquête du Donbass;
(2) les armes américaines sont fournies comme un geste de soutien politique à l’Ukraine dans sa confrontation continue avec les deux républiques populaires et avec la Russie;
(3) les armes américaines sont fournies pour permettre aux Etats-Unis d’obtenir un poids politique sur la Russie dans les négociations en cours pour régler la crise ukrainienne;
(4) les armes américaines sont fournies pour aider politiquement Donald Trump chez lui en étouffant les critiques l’accusant «d’abandonner» l’Ukraine, et il montre ainsi qu’il «durcit» le ton avec la Russie.
La seule explication qui puisse être exclue est l’explication que les États-Unis ont donnée pour leur décision : les armes américaines fournies sont des armes purement défensives destinées à empêcher une attaque russe contre l’Ukraine.
Les Etats-Unis doivent savoir maintenant qu’aucune attaque russe contre l’Ukraine n’est en perspective ou prévue donc cette explication ne peut pas être vraie.
Toutes ces explications ne s’excluent pas mutuellement et il se peut que plusieurs d’entre elles s’appliquent. Cependant, comme avec tant d’autres décisions de politique étrangère récemment prises par les États-Unis, il ne semble pas que cela ait été correctement discuté au sein du gouvernement des États-Unis ou bien réfléchi.
Brièvement, je suppose que l’explication la plus souvent citée par le gouvernement américain pour justifier cette décision est la proposition N° 3, c’est-à-dire la fourniture d’armes servirait à donner aux Etats-Unis un moyen de pression dans les négociations en cours avec les Russes afin de forcer la Russie à un règlement de la crise ukrainienne aux conditions américaines.
Au cours des dernières semaines, il était de plus en plus clair que les États-Unis avaient mal compris l’accord du président Poutine selon lequel les soldats de la paix des Nations Unies devaient être envoyés aux observateurs de l’OSCE le long de la ligne de contact dans le Donbass, et avaient vu un signe que les Russes venaient à l’idée ukrainienne d’une force de maintien de la paix des Nations Unies déployée dans tout le Donbass pour faciliter le rétablissement du contrôle ukrainien dans ce pays.
Les négociations de ces dernières semaines ont montré qu’il s’agissait d’une illusion et que les Russes étaient loin d’accepter cette proposition dont ils disent qu’elle est (à juste titre) contraire aux accords de Minsk.
La décision d’envoyer un nombre limité d’armes à l’Ukraine semble donc destinée à faire pression sur les Russes pour qu’ils acceptent cette proposition ukrainienne de maintien de la paix.
Si tel est le cas, la décision est mauvaise puisque, au lieu de forcer les Russes à accepter le type de force de maintien de la paix que proposent les Ukrainiens, il est presque certain qu’elle ne fera que raffermir les Russes davantage dans leur position.
Déjà, les Russes affirment que les États-Unis ne peuvent pas servir de médiateur dans le conflit lorsqu’ils arment une partie contre l’autre, et ils laissent déjà entendre que leur réponse consistera à accroître leurs propres livraisons d’armes aux républiques populaires.
La proposition américaine aura donc pour effet de rendre les deux parties du conflit plus lourdement armées que jamais.
Ce n’est cependant que le début des difficultés.
Bien que les États-Unis n’aient pas dit publiquement quelles armes ils ont l’intention de fournir, il est probable que ces armes comprendront des missiles antichar Javelin.
Il s’agit d’armes sophistiquées qui sont difficiles à utiliser et qui nécessitent un haut niveau de formation si elles doivent être utilisées correctement.
Si tel est le cas, cela indique qu’une mission de formation américaine a été envoyée en Ukraine pour former les troupes ukrainiennes à leur utilisation. Cela amène les troupes américaines encore plus directement dans le théâtre militaire ukrainien qu’elles ne le sont déjà, ce qui crée un sérieux risque qu’elles soient directement impliquées dans les combats actuels, avec toutes les conséquences politiques catastrophiques qui en découlent.
Ce combat va maintenant s’intensifier. Indépendamment de ce que les États-Unis ont l’intention de faire en envoyant ces armes, les Ukrainiens sont obligés de voir leur approvisionnement comme un encouragement à prendre de nouvelles mesures militaires.
Dans ce cas, le plus probable n’est pas seulement que les Russes accroîtront leurs livraisons d’armes aux deux républiques populaires, mais dans un théâtre où l’ancien président américain Barack Obama avait admis une fois que les Russes possédaient une  » immense dominance « , ils le feront à une échelle qui éclipsera toutes les armes que les États-Unis pourraient fournir à l’Ukraine.
C’est une erreur monumentale de voir les missiles antichars Javelin comme une sorte de « balle magique » qui renversera définitivement l’équilibre des combats en faveur des Ukrainiens.
Cette idée trouve probablement son origine dans la mythologie entourant la fourniture par les États-Unis de missiles antiaériens Stinger aux moudjahidines en Afghanistan dans les années 1980.  La décision soviétique de se retirer d’Afghanistan est souvent attribuée à l’arrivée des Stingers, alors qu’en réalité cette décision avait déjà été prise bien avant leur arrivée. En réalité, bien que les Stingers eussent eu un bref impact après leur introduction, au moment de leur retrait, les Soviétiques étaient en bonne voie d’élaborer des contre-mesures efficaces et leur effet réel sur les combats était minime.
Le point culminant de la supériorité militaire et matérielle de l’armée ukrainienne sur les milices du Donbass a été en juillet 2014, lorsque l’Ukraine a déployé une force entièrement équipée de 60 000 hommes appuyée par des chars, des véhicules blindés, de l’artillerie et des avions contre quelques milliers de miliciens légèrement armés.
L’armée ukrainienne avait alors été incapable de l’emporter malgré un avantage apparemment écrasant, et aujourd’hui, quand on dit que les deux républiques populaires possèdent des forces armées et entraînées comptant 35 000 hommes, il est presque impossible de voir comment elles pourraient l’emporter maintenant. La fourniture d’un lot de missiles antichar Javelin – ou même d’un grand nombre de missiles antichar Javelin – ne peut pas changer le tableau.
Les conditions économiques en Ukraine risquant de se détériorer au cours des prochains mois, la pression à l’intérieur de l’Ukraine pour une frappe militaire contre le Donbass est de toute façon susceptible d’augmenter. Les États-Unis l’encouragent à présent davantage.
D’autres combats plus âpres suivront en Ukraine, avec une forte probabilité que l’Ukraine se ruine et que le pays et les États-Unis finissent par connaître une autre débâcle.
Traduction : Avic– Réseau International