Les industriels seraient-ils en train de gagner la bataille du bio ?
Alors que près de la moitié des produits bio sont vendus en grandes surfaces, le bio industriel se développe de plus en plus autour de variétés hybrides élevées hors-sol et massivement importées hors-saison. Parallèlement, les petits exploitants comptant sur les circuits courts sont peu aidés par l’État.
Allons-nous vers une redéfinition du « bio », en un bio local et un bio industriel ? Derrière le terme « bio » se cachent en effet deux réalités de l’agriculture biologique : d’un côté, des petits exploitants défendant l’idée d’une agriculture vertueuse, de l’autre, des groupes industriels jouant sur les normes européennes. Si un effort a été fait pour réduire la part des pesticides, la bataille n’en reste pas moins prégnante entre ces deux visions du bio en France.
Les chiffres historiques du bio en 2016
Les chiffres du bio sont éloquents ces dernières années en France avec une croissance à deux chiffres. La consommation des produits issus de l’agriculture biologique a progressé de 20 % l’an passé, devenant le secteur le plus dynamique de l’économie française. Le marché a en effet plus que triplé en dix ans, pesant aujourd’hui 6,9 milliards d’euros, selon l’Agence bio.
Fin 2016, 47 185 opérateurs exerçaient des activités bio sur le territoire (+ 11 % par rapport à 2015), dont 32 326 exploitants (+ 12 %, soit 7,3 % des fermes françaises, plaçant l’Hexagone en troisième position dans l’UE), le reste étant des transformateurs, distributeurs, importateurs et exportateurs. Chaque jour, 21 fermes décident de se convertir à l’agriculture bio. Résultat : les surfaces consacrées connaissent « une croissance exceptionnelle ». Fin 2016, plus d’1,5 million d’hectares étaient cultivés en bio (dont 33 % en conversion), soit + 16 % par rapport à 2015. Cela ne représente pourtant que 5,7 % de la Surface agricole utile (SAU) française (4,9 % fin 2015).
« 45 % des produits bio ont été vendus en grandes ou moyennes surfaces en 2015 ».
Mais selon la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab) « en ces temps de crise agricole et de chômage, on s’attendrait à ce que la croissance de ce secteur qui emploie deux fois plus de main-d’œuvre que l’agriculture conventionnelle suscite l’attention des pouvoirs publics. C’est tout le contraire qui se passe ». D’après la Fnab, « à cause d’une gouvernance État-régions totalement défaillante, de nombreux agriculteurs bio sont en grande difficulté financière, malgré la bonne santé de leurs exploitations. » En cause, deux ans de retard pour le versement des aides à la conversion.
La différence entre le bio local et le bio industriel
Le modèle économique de l’agriculture biologique est en tension entre les petites structures de production et l’industrialisation. Près de la moitié des produits bio sont aujourd’hui vendus en grandes surfaces. L’entrée de la grande distribution sur ce marché a entraîné un changement progressif des règles du jeu. Pour obtenir des prix cassés, les supermarchés n’hésitent pas à avoir recours à des importations massives provenant d’exploitations industrielles à l’extérieur du territoire.
Les grandes surfaces commercialisent en effet des tomates, des poivrons, des concombres bio toute l’année. Pendant l’hiver, ces produits viennent des serres industrielles se trouvant en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, au Maroc ou en Israël, où les fruits et légumes poussent hors-sol. Plus de la moitié des fruits et légumes bio consommés en France viennent ainsi de l’importation, la production française étant insuffisante.
Selon l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), un fruit hors-saison bio importé par avion entraînerait la consommation de 10 à 20 fois plus de pétrole que le même fruit produit localement et acheté en pleine saison.
De l’autre côté, des magasins bio spécialisés mettent en avant des produits répondant à des critères plus stricts que ceux fixés par la réglementation européenne. Il s’agit, par exemple, des certifications Nature & Progrès, Demeter, Biosuisse et Naturland. Ces dernières interdisent la culture hors-sol, la possibilité sur une même exploitation de produire simultanément des produits bio et non bio, un temps de transport des animaux supérieur à quatre heures, et prône une absence totale d’OGM y compris dans l’alimentation, etc.
Les valeurs authentiques de l’agriculture biologique sont selon les précurseurs du bio en France (Demeter, Nature&Progrès, Simples, etc.) de respecter le vivant (sol, végétal et animal), la biodiversité sauvage et cultivée ; de refuser l’industrialisation de l’agriculture en prohibant l’utilisation des produits chimiques de synthèse, des nanoparticules, des organismes génétiquement modifiés ; et de développer une agriculture familiale, à taille humaine assurant une vie économique et sociale digne dans les territoires.
Le spectre des industriels derrière le bio
Dans son essai Les tambours de Gaïa se sont réveillés, paru en novembre 2013, Dominique Guillet, fondateur de l’association Kokopelli dénonçait les groupes industriels présents derrière l’agriculture bio : « En Europe et en Amérique du Nord, la plus grande partie des distributeurs d’aliments ‘biologiques’ ont été rachetés par les grands cartels de l’agroalimentaire : Nestlé, Cargill, Coca-Cola, etc. En France, 95 % des légumes bios commercialisés sont produits à partir de semences de variétés hybrides F1 ; ce qui signifie que le consommateur bio a une ‘chance’ sur deux d’acheter un melon bio Monsanto/Bayer/Syngenta puisque ces trois groupes de la chimie possèdent la moitié des 250 variétés de melons inscrites dans le catalogue national du GNIS ».
Si l’agriculture industrielle du bio a fait un effort pour éliminer les pesticides de sa production, on est encore loin d’une agriculture durable, qualitative et biologique – au sens littéral du terme. La solution pour réduire notre impact carbone et promouvoir l’agriculture locale serait de consommer des produits de saison comme ceux proposés par les AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), se renseigner sur les labels bio dans les surfaces spécialisées ou encore avoir un contact direct avec un artisan paysan de la région.
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