mercredi 30 novembre 2016

Idée reçue

L’austérité est le seul remède à la crise

Dans l’Allemagne du chancelier Brüning, le Chili du général Pinochet ou le Portugal de Salazar, partout où elle fut appliquée, l’austérité a produit l’inverse des effets annoncés : loin de relancer la croissance, elle a fragilisé les populations, déstabilisé les sociétés et affaibli les économies. Mais l’Union européenne n’en démord pas : la rigueur est le remède miracle contre la crise des finances publiques.
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Photographie de Stefania Mizara, 2012.

En Grèce, dans la banlieue d’Athènes, le centre médico-social d’Hellinikon permet à des familles privées de couverture sociale de se faire soigner gratuitement.
«Rien ne pourra se faire de crédible sans une coupe dans les dépenses publiques », écrivait en 2011 un éditorialiste du Figaro. Deux ans plus tard, sur Europe 1, un autre commentateur abondait dans ce sens, prônant « la baisse des dépenses de santé, le recul des crédits aux collectivités locales et, surtout, plus de réformes structurelles pour la compétitivité ». Depuis le début de la « grande récession » (lire Naissance de l’économie de spéculation), nombre de journalistes, dirigeants politiques, économistes s’emploient à présenter l’austérité – c’est-à-dire la diminution des dépenses publiques – comme la condition nécessaire du retour à la croissance. La rengaine est connue : le fardeau que la dette ferait peser sur les générations futures obligerait au sacrifice de tous et à l’effort de chacun.
Pourtant, partout où elle est mise en œuvre, l’austérité produit l’inverse des effets annoncés. Elle perpétue la récession, accroît le niveau de dette publique et creuse les déficits. Entre 2008 et la fin de l’année 2013, le produit intérieur brut (PIB) de l’Italie a chuté de 8,3 % ; celui du Portugal, de 7,8 % ; celui de l’Espagne, de 6,1 %. Quant à la dette publique, depuis 2007, elle est passée de 25 % du PIB à 117 % en Irlande ; de 64 % à 103 % en France ; de 105 % à 175 % en Grèce. Tous ces pays sont des adeptes de la rigueur.
La « troïka » a favorisé la mise en place d’un gouvernement technocratique en Italie.
La baisse des prestations sociales, la diminution (relativement à l’inflation) des salaires et le gel des embauches des fonctionnaires – les trois principales formes de l’austérité – ont également contribué à l’augmentation du chômage. Situé autour de 12 % dans l’Union européenne, le taux de chômage s’élève, en Grèce, à 27,9 % en 2013 contre 10 % en 2007 ; en Espagne, à 26,7 % contre 7,3 % ; au Portugal, à 16 % contre 6,1 % ; et en Irlande, à près de 15 % contre 4,7 %. Conséquence : l’austérité grippe la consommation, l’un des principaux moteurs de l’activité, et affecte jusqu’à la santé des peuples : en Grèce, la baisse de 23,7 % du budget du ministère de la santé entre 2009 et 2011 s’est accompagnée d’une recrudescence de certaines maladies – les cas d’infections au virus de l’immunodéficience humaine (VIH/sida) ont par exemple augmenté de 57 % entre 2010 et 2011. Le nombre des suicides s’est envolé, quant à lui, de 22,7 %.
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Photomontage de Boris Séméniako, d’après le tableau de Pérugin « L’Adoration des bergers » (1510).
Les dirigeants ne retiennent pas grand-chose de l’histoire. Dans les années 1930 déjà, les programmes de déflation menés par Pierre Laval en France, Ramsay MacDonald au Royaume-Uni et le chancelier Heinrich Brüning en Allemagne avaient paupérisé les peuples européens. De même, après l’éclatement de l’Union soviétique en 1991, les coupes budgétaires avaient donné lieu à une véritable saignée : l’espérance de vie masculine chuta de 64 à 57 ans entre 1991 et 1994.
D’autres politiques seraient possibles : augmenter les salaires et l’investissement public pour relancer l’investissement (une méthode appliquée, avec un certain succès, dans l’Amérique du New Deal), annuler les « dettes illégitimes », ou encore nationaliser le système bancaire. Mais rares sont les gouvernements qui, en Europe, osent s’aventurer sur ces sentiers inusités : la pression des institutions financières internationales est jugée trop forte.
Jadis imposée par des dictatures, comme dans le Portugal d’António de Oliveira Salazar (1932-1968) ou dans le Chili d’Augusto Pinochet (1973-1990), l’austérité est aujourd’hui orchestrée par le « talon de fer » d’organismes supranationaux non élus. En Grèce et au Portugal, la « troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international [FMI]) a envoyé ses agents dans chaque ministère pour contrôler les dépenses publiques.
En Italie, elle a favorisé la mise en place du gouvernement technique de Mario Monti (2011-2013). En mars 2014 en Ukraine, dans un contexte de très grande instabilité politique, le FMI impose le gel des retraites et la baisse de 10 % des effectifs de la fonction publique. Enfin, l’entrée en vigueur du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en 2013 a soumis les Etats membres de l’Union européenne à un contrôle a priori sur leurs budgets. Limitant à 0,5 % du PIB le déficit budgétaire autorisé pour les Etats – contre 3 % précédemment –, cette « règle d’or » interdit toute politique de relance de l’activité.

MANUEL SCOLAIRE ITALIEN

A l’unisson des principaux médias et commentateurs du pays, ce manuel italien publié en 2008 ne voit d’autre solution que l’austérité pour sortir de la crise.
En réalité, la cure d’austérité financière imposée par le traité de Maastricht n’a fait que révéler (contribuant ainsi à les corriger) quelques caractéristiques qui pénalisent les économies du Vieux Continent depuis longtemps (…) et le rendent peu compétitif par rapport aux marchés asiatiques et nord-américains : l’excès de dépenses publiques (…) ; le caractère non durable, sur le plan financier, des systèmes de sécurité sociale (…) ; la rigidité du marché du travail, davantage guidé par la préservation des acquis que par la volonté de créer de nouvelles possibilités pour les jeunes et les chômeurs.
Allan Popelard
Géographe.
Paul Vannier
Géographe à l’Institut français de géopolitique, université Paris-VIII.

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