jeudi 12 novembre 2015


Ces menaces nouvelles qui planent sur les banques

EDOUARD LEDERER / JOURNALISTE AU SERVICE FINANCE | 

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Menacées par les start-up de la finance et le « crowdfunding », les banques courent un risque majeur : celui de la marginalisation. Autre source d'inquiétude : les exceptions au « monopole bancaire » en vertu duquel seules les banques peuvent accorder des prêts se multiplient.

Au lendemain de la faillite de Lehman Brothers, en 2008, beaucoup prédisaient leur chute. Sept ans plus tard, les banques mondiales ont certes perdu de leur superbe et révisé à la baisse leurs objectifs de rentabilité, mais elles ont survécu. En France, les grands groupes bancaires viennent de publier de bons résultats pour le troisième trimestre 2015, en dépit de conditions économiques encore incertaines. Pourtant, certains voient se former - une fois encore - de lourds nuages à l'horizon. A les entendre, ce ne serait pas une nouvelle tornade financière qui les menacerait, mais un danger bien plus pernicieux : celui de la marginalisation. De nouveaux entrants - start-up de la finance, plates-formes de financement participatif, géants de l'Internet - rêvent de récupérer les parties les plus visibles du métier de banquier (la relation au client, les moyens de paiement et, bien sûr, l'octroi de crédit…). Ces FinTech se font fort de proposer une « expérience client » plus sympathique et fluide que les banques, et - parfois mais pas toujours - à un coût plus faible. S'ils prenaient totalement le pouvoir, ces nouveaux acteurs pourraient reléguer les banques au rang de simple prestataire technique, chargé de la tenue de compte, de l'exécution d'ordre, restant invisible du client final. Les ambitions récemment annoncées par Orange dans les services financiers vont dans ce sens - même si l'opérateur historique cherche justement un partenaire bancaire - et risquent de marquer les esprits. Avec la crise de 2008, le public a compris que les banques étaient mortelles. Il comprend désormais qu'à l'avenir, elles ne seront pas incontournables.
Cette banalisation s'observe déjà dans ce qui constitue l'une des clefs de voûte du système financier français : le « monopole bancaire ». A elle seule, l'expression fait surgir des photos jaunies d'économie administrée et de corporatisme. Comme son nom ne l'indique pas, elle ne renvoie pas à des pratiques anticoncurrentielles. En réalité, ce principe est inscrit dans un article du Code monétaire et financier qui stipule qu'en France, seuls les banques et les établissements de crédit peuvent réaliser, « à titre habituel et à titre onéreux, des opérations de crédit ». Il existe de larges dérogations, mais, avec le temps, les exceptions se sont multipliées. Parmi les lézardes les plus récentes, les particuliers ont gagné le droit d'accorder des prêts aux PME au travers de plates-formes de financement participatif (« crowdfunding »). La loi Macron participe elle aussi de ce mouvement, puisque - sous réserve de conditions à préciser dans un décret - une entreprise pourra désormais accorder un prêt sur deux ans à une autre entreprise.
Objectivement, ces dernières exceptions écornent à peine le rôle central des banques dans le crédit : l'encours total des prêts accordés aux ménages et aux entreprises représente 2.000 milliards d'euros. En comparaison, sous ces différentes formes, la finance participative a collecté 133 millions d'euros au premier semestre 2015... De même les crédits accordés par les assureurs n'ont pas vocation à atteindre les volumes des banques. Au royaume du crédit, ces dernières restent bien reines. Ces innovations ne remettent pas plus en question la place des banques, solide pilier du financement de l'économie aux côtés des sources de marché (obligations, actions…), et des 600 milliards d'euros du crédit interentreprises.
Pourtant, la menace est prise au sérieux. En coulisses, chaque nouvelle exception au « monopole « est âprement discutée. Deux philosophies s'affrontent. D'un côté, le camp « conservateur » estime que, à mesure que l'on érode le monopole bancaire, on ouvre peu à peu la boîte de Pandore : un prêteur non bancaire échappant par nature aux contraintes de sécurité d'une banque prendrait trop de risques… ce qui n'est pas démontré. De l'autre, ceux qui se considèrent comme les « modernes » s'agacent d'une réglementation qui ne favorise pas l'innovation. Ainsi quelques plates-formes participatives se sont développées hors statut spécifique, avant que l'Etat ne crée un cadre précis, en octobre 2014. Et depuis que les règles du jeu sont claires, le « crowdfunding » s'est débridé, et les acteurs se comptent désormais par dizaines, même si peu - sans doute - survivront.
Ce n'est toutefois pas l'existence du « monopole bancaire » qui sauvera à lui seul les banques de la banalisation. Pas plus que les licences de taxi n'ont empêché les chauffeurs d'Uber de rouler dans les rues de nos villes. La réponse de fond, les banques l'esquissent déjà. Elles mettent en avant ce qui pourrait passer à première vue pour un simple slogan : elles ne se présentent plus en simples prêteurs, mais en « tiers de confiance ». Le message peut sembler à contre-courant, tant l'image des banques s'est dégradée dans l'opinion publique. Pourtant les déposants font acte de confiance tous les jours, en laissant dormir leurs économies à la banque. A peine cette confiance disparaît-elle - comme en Grèce ces derniers mois - que la panique bancaire menace. Autre indice, dans un récent sondage, les PME, par ailleurs très critiques à l'égard des banques, reconnaissent qu'elles n'ont pas encore totalement confiance dans les nouveaux moyens de financement non bancaires. En matière financière, la confiance est un capital précieux, difficile à acquérir, et dont ne jouissent pas encore les FinTech. Sur cette base, les banques pourraient bâtir de nouveaux services et approfondir leurs relations client (davantage de conseil en agence, lien plus fort entre le crédit et les autres formes d'accompagnement, coffre-fort virtuel, dématérialisation de factures…). Une fois encore, il n'est pas exclu que les banques déjouent les pronostics. 
Edouard Lederer
Journaliste au service Finance

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