USA: Qui l’eût cru ? C’est sur les OGM qu’on s’engueule | Nature to Share | Scoop.it
Au prix de certaines acrobaties politiques, ça bouge sur le front américain des organismes génétiquement modifiés. On croyait le sujet démodé puisque l’essentiel de la nourriture du pays en est déjà farcie. Mais les anti-OGM n’ont jamais désarmé, et ils commencent à engranger des victoires.

Début janvier, on apprenait que les céréales Cheerios, une marque très populaire au petit-déjeuner, n’allaient plus contenir d’ingrédients OGM. Plus important encore : que cette spécificité allait être mentionnée sur la boîte : « Ne contient pas d’OGM. » Pour un aliment non-bio, c’est une première aux Etats-Unis.

Quasi au même moment, le Connecticut et le Maine, deux Etats politiquement opposés, ont voté en faveur de la mention obligatoire « OGM » sur les aliments qui en contiennent.

Un bémol cependant : ces Etats étant très petits, ils ne pourront appliquer cette clause que si cinq Etats voisins font de même. La raison est surprenante : les législateurs savent que les fabricants vont les attaquer en justice, ils ne veulent pas être seuls à supporter le coût des procès.

Une partie d’Hawaï devenue « OGM free »

Enfin, la plus grande île d’Hawaï, à l’issue d’un débat populaire passionné, a décidé en décembre d’interdire leur culture et leur élevage sur son territoire, tous plantes et animaux confondus.

Au total, 26 Etats américains ont inscrit à leur agenda législatif de 2013 des propositions de loi obligeant les fabricants à mentionner la présence d’OGM sur les emballages.

Avant que la Californie ne passe au vote sur le sujet en novembre 2012, j’avais raconté la croisade affolée des fabricants d’OGM, pesticides et céréaliers, tous unis pour faire capoter l’obligation d’étiquetage. A grands coups de millions de dollars, ils ont finalement réussi à convaincre les Californiens de voter contre le projet de loi.

L’histoire s’est répétée en novembre dernier dans l’Etat de Washington : en dépit de la popularité initiale de la proposition, portée par un très fort mouvement écologiste local qui n’avait cependant pas réussi à lever plus de 8,4 millions de dollars, les multinationales ont encore gagné grâce aux 22 millions injectés dans la bataille.

Les sucres et graisses ajoutés aux Cheerios

L’industrie agro-alimentaire se défonce spécialement pour empêcher l’étiquetage dans les Etats à forte sensibilité environnementale. Elle craint la contagion. Elle ne veut pas courir le risque à terme d’une législation fédérale, qui l’obligerait à étiqueter « OGM » l’ensemble de ses produits.

En effet, toutes catégories d’aliments confondues, près de 80% de la nourriture américaine non-bio contient des OGM. Le maïs OGM, le soja OGM, les betteraves à sucre OGM, le coton OGM (cultivé pour son huile) sont à la base des sucres, graisses et additifs dont sont enrobés les aliments nationaux.

Les céréales du petit-déjeuner, certains pains et farines, des aliments comme le tofu, les épis de maïs doux, certains saumons d’élevage, pour ne citer que quelques exemples, sont de purs aliments OGM.

Il y a aussi les produits a priori non-OGM au départ, comme les fameux Cheerios confectionnés à partir d’avoine, une graine encore non modifiée. Mais ces produits « naturels » sont mélangés à du sucre et des graisses issus d’OGM, et deviennent de ce fait des aliments qui mériteraient un étiquetage.

Les Américains moins concernés que nous

Ils sont bien rares, les consommateurs qui traquent la mention « ne contient pas d’OGM » sur les bouteilles de lait de soja ou d’amande, sur les paquets de Granola, sur les boîtes de conserve ou sur les plats surgelés. L’immense majorité des Américains n’est pas au courant de cette invasion.

Tout de même, selon un sondage datant de décembre 2013, 20% des adultes se disent « très concernés » par le sujet. Par rapport à l’implication des consommateurs français, c’est peu : en septembre 2012, selon un sondage Ifop/Ouest-France, 79% des Français se disaient « plutôt » ou « très inquiets ». Mais le nombre des Américains s’intéressant au sujet a tout de même doublé en dix ans.

En tout cas, au courant ou pas, à moins de s’approvisionner uniquement en nourriture bio, il est bien difficile aux Etats-Unis d’acheter autre chose que des aliments OGM. L’argument principal des pro-étiquetage est par conséquent le suivant :

« Vous avez le droit d’être informé de ce que vous mangez. »

Des alliances politiques étonnantes


L’idée fait son chemin, comme l’ont montré les scrutins du Connecticut et du Maine, où on a assisté à des alliances politiques étonnantes, notamment entre des ultradroitistes des Tea Parties et certains démocrates et écolos.

Reste que la question des OGM est compliquée, et que les élus en situation de voter une loi aux lourdes conséquences économiques sont souvent noyés et déboussolés par les arguments agités de chaque côté.

Le New York Times l’a magistralement démontré dans le très long article qu’il a consacré le 5 janvier au débat public hawaïen. La journaliste Amy Harmon a suivi pas à pas un élu local dans sa quête d’information, avant que celui-ci ne se décide à voter pour ou contre l’interdiction des cultures et élevages d’OGM.

Elu d’une région agricole où la culture des papayes contribue fortement à l’économie de l’île, le jeune homme savait que ce fruit avait failli disparaître des plantations de l’île, dévasté par une maladie mortelle véhiculée par un insecte.

La culture de la papayes sauvée

Grâce à une variété OGM conçue pour résister à cet insecte, la culture du fruit a pu reprendre. Par voie de conséquence, la quantité des pesticides utilisés pour cultiver les papayes a considérablement diminué.

« Le conseiller régional avait prévenu son équipe : “Vous tapez OGM sur un moteur de recherche, et tout ce qui sort est négatif.” S’opposer à l’interdiction, c’était la garantie de n’être pas réélu. Pourtant, des doutes taraudaient le jeune élu, dont c’était le premier mandat. [...]

M. Ilagan a fait sa propre enquête. Comme tant de citoyens et de décideurs dans le monde, il a jonglé avec un sujet où les croyances populaires ne reflètent pas toujours les évidences scientifiques. »

L’article du NYT est bien trop long pour être résumé ici. Il ne prend position ni pour, ni contre les OGM ; il raconte simplement le déroulement et les implications politiques d’un grand débat populaire, lequel, je le rappelle, a débouché sur le bannissement définitif des OGM de l’île. Sauf pour la papaye modifiée, déjà en place.

« Ce sont mes potes, ça fait mal ! »

Mais j’y ai trouvé le passage suivant, qui reflète exactement la nature très politique des débats de ce type aux Etats-Unis :

« Les scientifiques, qui ont pris l’habitude de compter sur la gauche dans les batailles politiques sur la recherche des cellules souches, le changement climatique et l’enseignement de l’évolution, ont été consternés de se trouver en contradiction avec leurs alliés traditionnels sur cette question des OGM.

Certains comparent l’hostilité envers les OGM au rejet des évidences scientifiques sur les changements climatiques, sauf que, cette fois, les opposants se trouvent à gauche au lieu d’être du côté des conservateurs. »

Et le NYT de citer un phytopathologiste de l’université d’Hawaï, un professeur de botanique qui s’est opposé aux partisans de l’interdiction penda