mercredi 6 mars 2019

A Beyrouth, sous une pluie battante, un « non » massif au mariage des mineur(e)s

SOCIÉTÉ
La députée Paula Yacoubian dénonce la « peur des hommes de religion et la crainte de toucher au statut personnel ».
Zeina ANTONIOS | OLJ  source : L'Orient le jour
04/03/2019
Les mauvaises conditions météorologiques n’ont pas empêché des centaines de manifestants de descendre dans la rue samedi dernier pour demander l’adoption d’une législation interdisant les unions avant l’âge de 18 ans. Une demande qui se fait pressante, dans un pays où l’âge minimal du mariage varie d’une confession religieuse à l’autre et soumet les jeunes, et notamment les filles, au danger de contracter des mariages précoces aux conséquences souvent désastreuses.
Le sit-in s’est tenu à Beyrouth, à l’appel du Rassemblement démocratique des femmes au Liban (RDFL), en présence des députés Paula Yacoubian (société civile), Élias Hankache (Kataëb), Eddy Abillama (Forces libanaises), Bilal Abdallah et Fayçal Sayegh (Parti socialiste progressiste). Il a également réuni des activistes et des figures artistiques, ainsi que de nombreuses femmes, dont certaines ont été victimes de mariages précoces.
Des fillettes vêtues de robes de mariée et coiffées d’un voile de tulle blanc ont pris part au cortège, brandissant une pancarte sur laquelle était écrit : « La fin du mariage des enfants commence par leur éducation ». « Ils ont marié des fillettes, ils les ont conduites vers la mort », « Législateurs, une fille a droit à la sécurité », ont notamment scandé les manifestantes. Certains ont brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Pas avant 18 ans » et « Stop au mariage précoce ».
Ironie du sort, le corps sans vie d’une jeune Syrienne de 15 ans avait été retrouvé le jour même à côté de Baalbeck, déposé au bord de la route. Les services de sécurité ont arrêté l’époux de la jeune femme, un ressortissant syrien qu’ils soupçonnent de l’avoir tuée en lui assénant un coup violent sur la tête. Un incident tragique de plus qui est venu accroître les demandes de mettre un terme aux mariages précoces sur le territoire national. Selon un rapport de l’Unicef publié en 2017, le pourcentage de réfugiées syriennes au Liban, âgées entre 20 et 24 ans et ayant été mariées avant 18 ans, était de 40,5 %. Un chiffre qui s’expliquerait, selon le document, par l’amalgame en situation de conflit « entre la protection des jeunes filles et la violence sexuelle ». Du côté des Libanaises, le pourcentage varie entre les régions, tout en se positionnant en moyenne autour de 6 %. Certaines communautés religieuses autorisent les jeunes Libanaises à se marier dès 14-15 ans, voire dès 9 ans dans certains cas. Le Hezbollah fait partie des opposants les plus farouches à un changement de la législation.


Dans l’attente d’une loi...
Contactée par L’Orient-Le Jour, Hayat Mirchad, responsable au sein du RDFL, a indiqué que le collectif allait « continuer à faire pression » afin qu’une loi interdisant le mariage aux moins de 18 ans soit promulguée. Il existerait pour l’heure trois projets de loi sur la question qui ont été présentés au Parlement. Le premier est celui de l’ancien député Ghassan Moukheiber, le second a été présenté par le RDFL et le troisième par l’ex-ministre d’État pour les Droits de l’homme, Ayman Choucair. Trois lois qui auraient été réunies en une seule et actuellement à l’étude au sein de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice.
« Ce dossier n’a pas été mis à l’ordre du jour depuis les législatives (mai 2018). Voilà pourquoi nous faisons pression aujourd’hui », a révélé Mme Mirchad. « En décembre dernier, un débat autour du mariage précoce avait été organisé au Parlement. Le courant du Futur n’avait pas affiché de position claire, tandis que le député du Hezbollah Nawaf Moussaoui avait déclaré avoir besoin de se référer aux autorités religieuses chiites », a-t-elle souligné.
Questionnée par L’OLJ sur le refus affiché par certains parlementaires, la députée Paula Yacoubian a estimé que ces derniers « ont peur des hommes de religion et peur de toucher à ce qui a trait au statut personnel. C’est une mafia. Les organisations religieuses et politiques s’entraident », a-t-elle lancé. « Une loi qui régirait le mariage précoce pourrait aider à protéger les familles pauvres, car ce sont elles qui en premier pensent à marier des mineurs, surtout des filles. Quand on marie une de ses filles, on a une bouche de moins à nourrir. Mais c’est sans compter avec les problèmes qui peuvent en découler, a précisé Mme Yacoubian. Le Parlement se doit de protéger les personnes marginalisées et les pauvres avant toute chose. »
Même son de cloche du côté d’Élias Hankache. « Nous travaillons de pair avec toutes les organisations qui s’occupent des droits de la femme, notamment le RDFL, et nous les soutenons sur toute la ligne », a-t-il confié à L’OLJ. Concernant le projet de loi actuellement à l’étude, les dissensions concernent surtout les exceptions accordées dans le cadre de la loi et les pénalités si cette loi n’est pas respectée. « Nous penchons pour une exception dans le cas des mineures qui tombent enceintes », a-t-il souligné, tout en mettant l’accent sur le besoin de sensibiliser les jeunes et leurs familles.
Le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt a affirmé pour sa part qu’il était contre le mariage des mineures, soulignant que son parti réclamait une législation interdisant le mariage aux moins de 18 ans. « Le Parti socialiste progressiste demande au Parlement d’adopter une loi sur l’interdiction du mariage avant 18 ans », a-t-il écrit hier sur Twitter.

Aucun commentaire: