Ni «savoir juridique notable», ni «réputation irréprochable». Pour ses détracteurs, Alexandre de Moraes ne réunit pas les critères principaux, exigés par la Constitution du Brésil, pour siéger à la Cour suprême du pays, où le Sénat devait malgré tout entériner sa nomination mardi. Et la liste de leurs accusations contre le candidat du président Michel Temer, dont il est le ministre sortant de la Justice et de la Sécurité publique, est longue : plagiat, corruption, violation des droits de l’homme du temps où ce juriste, auteur d’ouvrages de droit, occupait de hautes fonctions à São Paulo.
Michel Temer peut espérer imposer son candidat grâce à une solide majorité parlementaire, soudée autour d’un seul objectif : entraver la tentaculaire enquête dite Lava Jato («lavage express»), sur les détournements de fonds au sein du groupe pétrolier Petrobras. Le secteur du BTP est accusé d’avoir surfacturé ses contrats avec Petrobras pour remplir les caisses des principaux partis. D’abord centrée sur le Parti des travailleurs (PT), l’affaire a provoqué la destitution, fin août, de la présidente Dilma Rousseff, mettant fin à treize ans de pouvoir du PT. Or, Lava Jato a rattrapé le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) de Michel Temer, ainsi que son principal allié, le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), formation… de Moraes lui-même, qu’il vient de quitter pour assumer ses nouvelles fonctions.

Accident d’avion

La panique s’est donc emparée de Brasília, alors que le leader du BTP, le groupe Odebrecht, a décidé de collaborer avec la justice. Plus d’une centaine de politiques de tous bords, dont Temer lui-même, seraient en cause, et la Cour suprême est la juridiction compétente pour les juger. La mort, dans un accident d’avion le 19 janvier, de Teori Zavascki, le juge rapporteur de Lava Jato au sein de la Cour, a ouvert une brèche. Moraes ne sera certes pas rapporteur mais «réviseur» de l’enquête, ce qui lui confère un droit de regard sur le dossier.
Cette tentative d’entraver la plus grande opération «mains propres» jamais menée au Brésil était déjà à l’origine du retournement d’alliances qui a renversé Dilma Rousseff, accusée d’avoir été incapable de freiner l’enquête. Temer de son côté semble avoir les mains libres. Finies les manifs géantes contre la corruption du PT, qui ont abouti à la destitution de la présidente. La droite qui mobilisait alors la population ne semble pas gênée par la corruption de son propre camp.

A l’abri des poursuites

La Cour suprême joue elle-même un jeu trouble. Il y a quelques jours, un de ses membres a permis à Michel Temer ce qui n’avait pas été autorisé à Dilma Rousseff : il a endossé la nomination au gouvernement du bras droit du chef de l’Etat, Moreira Franco, cité 34 fois par un cadre d’Odebrecht passé aux aveux. Le but était de le soustraire à l’implacable juge Sérgio Moro, chargé de l’enquête dans la justice de droit commun. La Cour suprême qui juge les ministres est plus lente et moins sévère. Or l’octroi, en mars 2016, d’un portefeuille à l’ancien président Lula, également mouillé dans le scandale, avait été suspendu, au motif qu’il visait à le mettre à l’abri de Moro.
Chantal Rayes Correspondante à São Paulo