mercredi 24 février 2016

Nouvelle alerte sur les dangers des nanomatériaux

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Nanotubes de platine à la surface de l'électrode d'un prototype de pile à combustible.
Nanotubes de platine à la surface de l'électrode d'un prototype de pile à combustible. DR

Les nanomatériaux, faits de particules « lilliputiennes » dont la taille se mesure en milliardième de mètre (50 000 fois moins que l’épaisseur d’un cheveu), sont de plus en plus présents dans notre univers quotidien. Y compris dans les déchets où ils terminent leur vie, avant de retourner dans la nature. Cela, sans que leurs dangers soient encore bien connus.

C’est sur cette menace invisible qu’alerte un nouveau rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publié lundi 22 février (Nanomaterials in waste streams : current knowledge on risks and impacts).
« Des recherches doivent être menées de toute urgence pour évaluer les risques éventuels pour la santé humaine et les écosystèmes liés à la présence de quantités toujours plus importantes de nanomatériaux manufacturés dans les déchets ménagers, qui finissent rejetées dans l’environnement », résument les auteurs du rapport.

Présents dans mille trois cents produits

A notre insu, les nanomatériaux ont, depuis plus d’une décennie, envahi notre espace de tous les jours. On en trouve partout ou presque : dans les produits cosmétiques et de soins corporels (crèmes solaires, dentifrices ou après-shampoings), les aliments (sucre en poudre ou sel de table), les textiles antibactériens, les articles de sport, les matériaux de construction, les peintures, les pneus, les carburants, les appareils électroniques, les panneaux solaires…
Selon l’OCDE, le nombre de produits contenant des nanoparticules a été multiplié par cinq entre 2006 et 2011. Il en existe aujourd’hui plus de 1 300, et le marché mondial des nanomatériaux était estimé, en 2012, à un volume de 11 millions de tonnes, pour une valeur de 20 milliards d’euros.
La France n’est pas en reste. Elle est le premier pays européen à avoir mis en place, depuis le 1er janvier 2013, un registre des nanomatériaux produits, importés ou distribués sur le territoire national. Le dernier inventaire, qui vient d’être publié par le ministère de l’environnement, révèle que, de janvier à mai 2015, « plus de 14 000 déclarations ont été effectuées par des entreprises françaises [fabricants, importateurs ou distributeurs], ce qui représente une augmentation de 40 % par rapport à 2014 et de 500 % par rapport à 2013 ».

Dangers encore très mal évalués

Que deviennent ces nanomatériaux une fois qu’ils ont été utilisés ? En bout de course, ils finissent dans des décharges, des incinérateurs ou des stations d’épuration des eaux usées. Or, note le rapport, « si les installations de traitement des déchets les plus modernes sont capables de retenir une grande partie des nanomatériaux, les procédés moins efficients, largement utilisés dans le monde, font que de grandes quantités sont probablement rejetées dans l’environnement, via les effluents gazeux issus des incinérateurs, les cendres appliquées sur la voirie, les eaux épurées ou les lixiviats [liquides résiduels] pénétrant dans le sol et les sédiments aqueux ».
Cette dissémination constitue, pour les auteurs, une menace sérieuse. En effet, la taille des nanoparticules, donnant aux matériaux qui les contiennent des propriétés remarquables (résistance, élasticité, adhérence, conductivité, etc.), les rend aussi extrêmement réactives avec leur environnement. En outre, elle leur permet de pénétrer dans les organismes vivants et, chez l’homme, de s’insinuer sous la peau, dans les poumons ou dans le sang. Et les dangers sont encore très mal évalués. « Les nanomatériaux révolutionnent les produits de tous les jours, au bénéfice de la société, mais beaucoup de questions demeurent sans réponse quant aux risques que pourraient présenter certains d’entre eux pour notre santé et pour l’environnement », commente Simon Upton, directeur de l’environnement à l’OCDE.

Boues issues des stations d’épuration

Des menaces possibles ont déjà été dénoncées par certains travaux, rappelle l’OCDE, comme « un risque cancérigène au niveau pulmonaire, des effets toxiques sur le système nerveux et des propriétés antibactériennes potentiellement nuisibles pour les écosystèmes ». Pourtant, note l’organisation, « des déchets contenant des nanomatériaux manufacturés sont évacués dans les flux de déchets classiques, sans précaution ni traitement particulier ».
Un motif particulier d’inquiétude est la présence de nanomatériaux dans les boues issues des stations d’épuration. Ces résidus, une fois séchés, sont souvent épandus pour fertiliser les terres agricoles. A l’échelle des pays de l’OCDE, un tiers des boues d’épuration est ainsi utilisé comme engrais, une proportion qui monte à près de 40 % en France. « La possible transformation des nanomatériaux dans le sol, leurs interactions avec les plantes et les bactéries, et leur transfert dans les eaux superficielles n’ont jamais été étudiés en profondeur », souligne le rapport.
« Dans les eaux collectées par les stations d’épuration, on mesure aujourd’hui, à l’état de traces, de faibles concentrations de nanomatériaux, comme des nanoparticules d’argent présentes par exemple dans certains pansements, ou du dioxyde de titane incorporé aux cosmétiques, décrit Jean-Yves Bottero, chercheur au Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (Cerege), qui a participé à la rédaction de ce rapport. Ces nanoparticules se retrouvent ensuite, à 80 % ou plus, dans les boues d’épuration. Or certaines réagissent avec d’autres éléments et se transforment, sans que l’on connaisse la toxicité de ces recombinaisons. »
De façon générale, les auteurs préconisent donc de mener des études « sur les types et quantité de nanomatériaux entrant dans les flux de déchets, ce qu’ils deviennent dans les installations de traitement et leurs impacts potentiels ». Ils recommandent aussi de « renforcer les mesures de sécurité pour protéger les employés des installations de recyclage ». Dans un avis rendu en mai 2014, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), mettant en avant le principe de précaution, avait prôné un « encadrement réglementaire renforcé » des nanomatériaux.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/02/23/nouvelle-alerte-sur-les-dangers-des-nanomateriaux_4870463_3244.html#vQPpyluwzRkDItla.99

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