Début juin, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié un rapport compilant l’ensemble des recherches et études épidémiologiques et toxicologiques sur les pesticides publiés depuis trente ans. Une synthèse qui a permis à l’Inserm de mettre en avant le lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et certaines pathologies. Alexis Elbaz, directeur de recherche à l’Inserm, qui a participé à ce rapport revient sur ses conclusions.
L’Inserm a mené une expertise collective concernant les effets sur la santé de l’exposition aux pesticides, y avait-il un manque de données épidémiologiques dans ce domaine ?
Non au contraire, il y a beaucoup d’études éparses sur le sujet, mais en revanche il était nécessaire d’en faire une synthèse et de l’interpréter. Nous avons expertisé des centaines de données épidémiologiques et toxicologiques. Nous nous sommes notamment basés sur une étude américaine, Agricultural Health study qui a étudié les effets des pesticides sur la santé de 90 000 agriculteurs et le lien avec certaines pathologies.
De nombreuses associations de victimes de pesticides dénoncent pourtant le fait qu’il n’y ait pas assez d’études en France ?
Les études sont nombreuses dans ce domaine. Il y a actuellement une grande étude Agrican en cours sur la population agricole française. Près de 500 000 agriculteurs ainsi que leur famille sont suivi régulièrement par des chercheurs, notamment sur leur utilisation de pesticides.
Le rapport entre l’exposition professionnelle aux substances chimiques et l’apparition de certaines pathologies est-il avéré?
Oui, il existe un rapport entre les pesticides et certaines pathologies. Nous avons pu identifier trois maladies liées à l’exposition professionnelles aux pesticides : le cancer de la prostate, le cancer hématopoïétique et la maladie de Parkinson. Sur ces trois cas, on peut dire que les maladies peuvent être liées à une exposition aux pesticides, mais sans pouvoir incriminer des produits spécifiques.
Pourtant, vous restez très prudent en évoquant une «association positive» entre exposition professionnelle et pathologies ?
L’une des difficultés dans les études sur les pesticides, c’est que l’exposition est très difficile à évoluer. Car les agriculteurs n’utilisent pas un seul type de pesticides, très souvent il s’agit de dizaines de produits, souvent mis en association. Nous parlons de «présomption» car il nous est impossible d’identifier les molécules chimiques responsables. Dans des situations comme l’amiante ou le tabac, on peut plus facilement faire le lien.
Les agriculteurs sont-ils plus concernés que d’autres ?
Oui, pour ces trois types de maladies. Normalement, les agriculteurs sont moins exposés au risque de cancer que le reste de la population. En effet, leur niveau de tabagisme est beaucoup plus faible. Quand on regarde tous les cancers confondus, on ne voit pas de spécificité. Mais ce risque apparaît quand on se focalise sur un type de cancer bien précis, là nous atteignons des taux bien plus élevés que la moyenne.
Quels sont les risques pour les populations exposées aux pesticides notamment dans le voisinage des exploitations agricoles ?
Plusieurs études font état d’un impact sur les populations situées dans le voisinage de zone agricole, notamment chez les femmes enceintes. La littérature scientifique montre une augmentation du risque de malformations chez les enfants, des problèmes de développement et une augmentation des risques de leucémies.
Existe-t-il un scandale des pesticides comme il a existé un scandale de l’amiante ?
Ce que je peux vous dire c’est que nous n’avons aucun moyen de mesurer l’ampleur du phénomène.
Recueilli par Geoffrey Livolsi