mardi 21 février 2017

Ceuta: derrière les passages de migrants, une manoeuvre du Maroc ? (Espagne)

source : L'Express

 Catherine Gouëset, avec AFP, publié le 20/02/2017 à 18:25

Plus de 850 migrants ont franchi la frontière entre le Maroc et l'enclave espagnole de Ceuta en Afrique du Nord. En arrière-plan, un différend entre Rabat et Bruxelles sur le Sahara occidental.

Rabat avait prévenu. Début février, le Maroc a adressé une sévère mise en garde à Bruxelles à propos d'un accord agricole avec le royaume, mis à mal par la question du Sahara occidental
Le même jour, dix-huit migrants franchissaient la clôture frontalière du Maroc à Melilla, l'une des deux enclaves espagnoles, en Afrique du Nord. Et au cours des quatre derniers jours, ce sont 850 migrants qui ont pénétré dans l'autre enclave, Ceuta. Les territoires de Ceuta et Melilla constituent la seule frontière terrestre entre le continent africain et l'UE et un point de passage pour l'immigration clandestine venue d'Afrique noire et du Maghreb. La frontière entre le Maroc et Melilla est matérialisée par une triple clôture d'une longueur d'environ 12 km. Comme celle de Ceuta, elle dispose de caméras vidéo et de miradors.  
Ces entrées massives sont parmi les plus importantes depuis que la barrière a été rehaussée à 6 mètres de haut en 2005. Auparavant, en deux jours au cours de l'été 2014, 1200 migrants avaient franchi la frontière vers les deux enclaves, après un différend entre Madrid et Rabat, rappelle le spécialiste du Maroc Ignacio Cembrero sur le site El Confidencial

Le conflit du Sahara occidental

L'objet du courroux de Rabat? La décision de la justice européenne, le 21 décembre dernier, selon laquelle l'accord de libre-échange conclu en 2012 entre Bruxelles et le Maroc sur les produits agricoles et de la pêche n'est pas applicable au Sahara Occidental.  
Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental, immense étendue désertique, est sous contrôle du Maroc depuis 1975. Soutenu par l'Algérie, le Polisario réclame un référendum d'autodétermination alors que Rabat, qui considère le Sahara comme une "cause nationale", propose une autonomie sous sa souveraineté. 
Pour faire plier Bruxelles, Rabat dispose d'un levier déterminant. Fort du sentiment de panique que représente la pression migratoire en Europe, le Maroc n'hésite pas à menacer les Européens d'ouvrir les vannes. Le ministère marocain de l'Agriculture avait ouvertement prévenu, le 6 février, que l'Europe s'exposait à un "véritable risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d'un effort soutenu, a réussi à gérer et à contenir".  
"Il faut maintenant que les choses soient claires, sincères, sur l'avenir que nous voulons développer entre le Maroc et l'UE", avait alors déclaré le ministre de l'Agriculture et de la pêche marocain, Aziz Akhannouch. "Le problème de l'immigration est très coûteux pour le Maroc et l'Europe devrait l'apprécier à sa juste valeur", a ajouté ce proche du roi Mohammed VI, selon Ignacio Cembrero. 

"L'Europe agit comme si nous étions son sujet"

Rabat va même jusqu'à menacer de tourner le dos aux 28: "Nous avions fait le choix d'un partenariat privilégié [avec l'UE]. Nous n'en subissons aujourd'hui que des conséquences négatives. Sous prétexte de cette relation privilégiée, l'Europe agit comme si nous étions dans son giron, ou même son sujet. Elle agit avec une vision moralisatrice et s'arroge le droit de juger", expliquait le à l'AFP une source diplomatique marocaine, le 5 février.  
Rabat va jusqu'à menacer de se troquer ses relations privilégiées avec les 28 par un rapprochement avec la Russie, la Chine, l'Inde ou le japon. Cette deuxième menace tardera peut-être à être activée alors que le Maroc effectue 70% de ses échanges commerciaux avec l'UE. Le levier des migrants, lui, est plus immédiat. 

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