mercredi 27 janvier 2016

Les perturbateurs endocriniens coûtent 157 milliards d'euros par an à l'Europe


source : Sciences et Avenir
Rachel Mulot

Déjà suspectés d’altérer la reproduction humaine et de créer des troubles neurologiques, les perturbateurs endocriniens favoriseraient également le diabète ou encore les troubles immunitaires, selon un colloque à l’Institut Pasteur.

Le coût annuel des perturbateurs endocriniens (en milliards d'euros) © D. HypoliteLe coût annuel des perturbateurs endocriniens (en milliards d'euros) © D. Hypolite
HORMONES. Quels sont les effets des perturbateurs endocriniens (PE) sur la santé ? Trente-trois orateurs se sont succédé 48 heures durant à l’Institut Pasteur le 21 et 22 janvier 2016, pour faire le point sur les recherches en cours. Des Français pour la majorité, mais aussi des spécialistes américains, suédois, belges ou britanniques ont nourri le deuxième colloque dédié à ce sujet controversé, organisé par l'Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et le ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’Energie (MEDDE)… Et au fil de leurs auditions, c’est un tableau préoccupant qui s’est dessiné ou confirmé.
Qu’ils soient naturels ou chimiques, les perturbateurs endocriniens (PE) –parmi lesquels on trouve les pesticides, les phtalates, les perfluorés ou encore les bisphénols A, S, ou F- interfèrent avec l’action des hormones. Ils sont susceptibles d’altérer la reproduction, la croissance, le développement ou le comportement de tous êtres vivants.

Et maintenant, le diabète?

On soupçonnait déjà les PE d’être en lien avec des troubles de la reproduction, des cancers, des troubles neurologiques, mais au fil de ces deux jours, ils ont également été pointés du doigt pour leur lien avec des troubles du système immunitaire ou avec le diabète de type 2. "L'augmentation de la prévalence du diabète suit dans les dernières décennies exactement l'évolution de la production industrielle mondiale de produits chimiques", rappelle Patrick Fenichel, chercheur au CHU de Nice (Alpes-Maritimes). Parmi les travaux présentés, une étude de l'Inserm, portant sur 755 français montre  ainsi un taux de bisphénol A -glucuronide élevé chez les personnes en surpoids susceptibles de développer ce type de diabète. Enfin, "les effets des perturbateurs endocriniens pourraient enfin se transmettre sur plusieurs générations"  a développé l’endocrinologue belge Jean-Pierre Bourguignon, de l’Université Hôpital de Liège, en introduisant les travaux d’épigénétique d’équipes suisse, suédoise ou française sur cette thématique. Au final, les indices s’accumulent, les soupçons s’étayent et non plus seulement chez les poissons zèbres, les souris ou les oiseaux. "Aujourd'hui, nous commençons à avoir des confirmations chez l'homme d'un certain nombre d'effets qui étaient prouvés expérimentalement chez l'animal", résume Gérard Lasfargues, directeur général adjoint de l'Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail(Anses).

Des molécules très présentes

Le hic, c’est que les molécules impliquées sont multiples et très présentes dans notre environnement : on trouve des parabènes dans les cosmétiques et les médicaments, des bisphénols (BP) dans les emballages plastiques ou les boites de conserve, des perfluorés (PFC) dans les tissus imperméables ou transpirants et les revêtements anti- adhésifs des poêles, des phtalates dans les câbles et adhésifs … sans parler des pesticides abondamment répandus. La réglementation suit lentement. Le Bisphénol A (BPA) est interdit en Europe dans les biberons depuis 2011, et en France, depuis 2015 dans les contenants alimentaires. "Mais ses substituts les plus couramment employés, les Bisphénols S et F, sont tout aussi inquiétants",  pointe le professeur René Habert (université Paris Diderot) toxicologue de la reproduction Il appelle aujourd’hui à leur réglementation. "Nous sommes face à une montagne. Il faut raisonner par "classe de produits " et non plus par molécules",  souligne t-il.
aller vers une chimie moins toxique
"Il est urgent de développer des alternatives, d'aller vers une chimie moins toxique",  insiste Joelle Rüegg, spécialiste d’épigénétique au Swedish Toxixology science research center (Swetox). La Suède et la France sont les pays les plus en pointe pour la recherche sur ces sujets, leurs résultats très regardés par la communauté internationale scientifique comme politique. En décembre dernier, la Suède et la France ont fait condamner la Commission européenne pour ses manquements dans l’encadrement des produits biocides. "Les industriels font valoir que la mise au point de molécules de substitution leur coûterait des milliards et ont exigé de l’Union Européenne qu’elle évalue l’impact économique d’une législation restrictive sur ces substances", explique le professeur Andreas Kortenkamp, spécialiste de toxicologie moléculaire humaine à l’Institut pour l’environnement de l’Université Brunel à Londres. C’est ainsi que le dossier s’est enlisé, sous la pression efficace de lobbies, tandis que les tests sont, selon lui, "insuffisamment mis en œuvre".
In fine, Leonardo Trasande, de l’Université de New York a rappelé le coût annuel des perturbateurs endocriniens pour l’Union Européenne. 157 milliards d’euros annuels minimum  (voir infographie), selon ses calculs. "Ce n'est que la partie immergée de l’iceberg, précise le chercheur qui a procédé à cette estimation à partir de 5% environ des PE, faute de données clés sur les autres substances". Selon Trasande et ses 17 collègues américains et européens, l’ardoise pourrait en fait monter jusqu’à 270 milliards d’euros annuels. "L’impact des pesticides -sur le développement cognitif des enfants notamment- est parmi les mieux documentés,reconnait Léonardo Trasande, ce qui explique le coût impressionnant -120 milliards- de ces seules substances sur la santé humaine des Européens".

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