mercredi 27 janvier 2016

La décision du tribunal sur Notre-Dame-des-Landes suscite tristesse et détermination

26 janvier 2016 Henri Le Roux (Reporterre) 

  

    
S’il a confirmé l’expulsion des occupants « historiques » de Notre-Dame-des-Landes, le tribunal de Nantes a refusé de soumettre les paysans à la contrainte financière. Il a aussi condamné Vinci à payer les frais de la défense. Les paysans sont décidés à rester, soutenus par une forte mobilisation.
- Nantes, correspondance
Lundi 25 janvier, en début d’après-midi, le tribunal de grande instance (TGI) de Nantes, a prononcé, par la voix du juge de l’expropriation Pierre Gramaize, l’expulsion de quatre paysans et de onze familles de la zone du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Toujours présents dans leurs fermes et leurs habitations, ces historiques de la lutte ne se voient cependant pas imposer d’astreinte financière, comme le demandait la société Aéroport du Grand Ouest (AGO), filiale du groupe Vinci, à l’origine de la demande. Huit des onze familles disposent d’un délai de deux mois pour quitter leur domicile, les autres sont supposées partir sans délai. La question prioritaire de constitutionnalité, déposée lors de l’audience du 13 janvier dernier, n’a pas non plus été retenue.
Plus d’un millier de personnes étaient venues montrer leur soutien aux paysans et aux familles concernées lors de cette audience le 13 janvier, mais le juge avait alors décidé de mettre son jugement en délibéré au 25 janvier. Verdict : le tribunal a rejeté les Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et confirmé toutes les expulsions réclamées par AGO, concessionnaire du terrain où doit être construit l’aéroport.
Pour les occupants concernés, le choc est difficile à encaisser. « Qu’on nous prenne nous, c’est déjà inadmissible, mais les animaux c’est encore pire », s’indigne Sylvain Fresneau, l’un des agriculteurs expropriés, en quittant la salle d’audience. « On prend vraiment l’agriculture pour moins que rien, poursuit-il devant la foule des journalistes. Là, tout d’un coup, le juge vient de rayer cinq générations de Fresneau. C’est trop. »
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Sylvain Fresneau : « On prend l’agriculture pour moins que rien. »
« On va augmenter le nombre de squatteurs à Notre-Dame-des-Landes », raille Dominique Fresneau, coprésident de l’Acipa, dont le père, âgé de 84 ans, doit maintenant déménager.
Leurs avocats se disent pourtant satisfaits. Selon Me Erwan Le Moigne, un des avocats des paysans, le juge « a fait preuve d’humanité » en accordant à huit des onze familles expropriées un délai de deux mois, courant jusqu’au 26 mars. « C’est la première fois en France pour ce type de procédure », relève l’avocat des expropriés. « Ça laisse aux personnes menacées d’expulsion du temps, ce temps-là nous allons le mettre à profit pour nous opposer, faire pression sur l’État pour être certains que ce projet ne se fera pas. »
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Me Le Moigne à la sortie du tribunal.

« Le combat continue »

Si les trois autres familles et leurs exploitations agricoles sont expulsables sans délai, par un jeu de procédure, elles bénéficient de la protection du domicile puisque les paysans habitent sur leur lieu de travail. « La décision qui vient d’être rendue ne permet pas à l’État de prendre possession de quoi que ce soit, donc pas d’expulsion aujourd’hui et l’expulsion, ça implique le matériel agricole et les cheptels », explique Étienne Boittin, également avocat de la défense.
Deuxième victoire pour la défense, le juge a débouté AGO de sa demande d’une astreinte financière de 200 à 1.000 euros par jour. « Le juge met l’État face à ses responsabilités », analyse Erwan Le Moigne. Enfin, la société AGO est également condamnée à payer les frais de défense des expropriés, le juge ayant retenu un principe d’équité. « AGO succombe et le combat continue », conclut Me Le Moigne
Devant le tribunal, quelques centaines de personnes, militants et sympathisants du mouvement contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ont fait le déplacement. Charlotte est déterminée à poursuivre la lutte. « On est en train de se demander ce qu’on va raconter à mon fils de 4 ans à propos de la République qui va détruire la maison de ses grands-parents », confie la fille aînée de Sylvain et Brigitte Fresneau, qui est venue avec sa fille et son frère Justin, tout autant révolté. Sur la poussette face aux policiers, on peut lire : « Oui aux oisillons, non aux avions. »
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Seuls les avions à vitesse lente et à nez rouge peuvent se poser sur la ZAD.
Un peu plus loin, leur père, les yeux rougis à l’idée de quitter la ferme familiale et d’abandonner ses animaux, exprime clairement sa volonté de s’opposer à une éventuelle intervention policière après le 26 mars : « De toute façon, on ne partira pas. » Selon lui, « avant d’expulser les fermes, il faudrait déjà que Vinci ait un calendrier ». Le juge a en effet pointé du doigt qu’aucune décision claire n’a encore été prise sur l’effectivité et sur l’engagement des travaux.
« Il est évident que Vinci ne peut pas être satisfait de cette décision puisque [...] l’astreinte était le moyen de nous mettre dehors sans la force policière », note Marcel Thébault, l’un des paysans expropriés. « Et bien, non, le juge ne donne pas ce moyen-là à l’État », ajoute-t-il.
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Marcel Thébault : « Vinci ne peut pas être satisfait »
Les occupants expropriés de Notre-Dame-des-Landes peuvent donc pour le moment rester chez eux et continuer à travailler. Ils disposent aussi d’un délai d’un mois pour faire appel du jugement. Sans pression économique sur les agriculteurs, reste maintenant à savoir quelle sera la réaction de l’État et de Vinci. La fenêtre permettant de démarrer les travaux par la force devrait se refermer à la fin du mois de mars avec les contraintes liées à la protection de l’environnement.
Par ailleurs, toute intervention policière ferait prendre le risque au gouvernement de devoir assumer la violence qui ne manquerait pas d’éclater en cas de retour de la police à Notre-Dame-des-Landes. Rémi Fraisse, un jeune manifestant pacifiste de 21 ans, avait été tué par la gendarmerie lors d’une intervention similaire à Sivens, dans le Tarn, en octobre 2014.

PARIS : « À LA ZADILS PEUVENT COMPTER SUR NOUS »

- Paris, reportage
A la sortie du métro de Belleville, une banderole estampillée "Tout est Vincible" accueille les passants. Une petite foule compacte d’environ 150 personnes se presse autour d’un mégaphone, encerclée par trois camions de police. Une assemblée de rue s’improvise, sous l’impulsion de Jean-Pierre, qui promet une "bataille frontale contre le pouvoir". A ses côtés, Gilles fulmine : "Cette décision, on s’y attendait sans vouloir y croire". La plupart des manifestants appartiennent au Collectif francilien de soutien à Notre-Dame-des-Landes, à l’image de Naomi, très remontée contre le gouvernement. "Nous irons jusqu’au bout pour empêcher ce projet d’aéroport". Occupation de lieux, manifestation, convoi vers la ZAD... "Nous attendons de voir ce qui se décide là-bas, mais ils peuvent compter sur nous !"
- Lyon
Rassemblement aussi à Lyon, en fin d’après-midi (source : Benjamin Granjon

ACTIONS : DES ACTES EN CONTRADICTION COMPLÈTE AVEC LA COP 21

- José Bové : « Nous serons nombreux sur le terrain à les soutenir en cas d’expulsion et les autorités doivent bien avoir conscience que si elles veulent éviter les troubles à l’ordre public, mieux vaut ne pas appliquer cette décision d’injustice. »
- Yannick Jadot : « Quelques semaines après la fin de la COP 21, le message de la France soutenant un projet d’infrastructure datant de l’ère pompidolienne est plus que ridicule. La décision est désormais dans les mains de François Hollande : veut-il être le président d’un projet pensé à l’origine pour accueillir le Concorde ou le président de la cohérence avec la COP 21 ? »
- Benoît Hartmann, porte-parole de France nature environnement : « Nous nous désolons de cette décision qui entérine l’expulsion inutile de plusieurs familles. On aurait aimé la même sévérité avec les bonnets rouges. »
- Réseau action climat : « Quelques semaines après la COP21, le gouvernement français doit prendre ses responsabilités pour concrétiser cet engagement en annonçant l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes qui date du siècle dernier. Inutile et coûteux, ce nouvel aéroport alimenterait le mythe d’une croissance constante du trafic aérien alors que celle-ci est incompatible avec une baisse forte et nécessaire des émissions de gaz à effet de serre. »

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