Comment la Russie lutte-t-elle contre les antivax ?
LIFESTYLE01 DÉC 2021RUSSIA BEYOND
Une visite de la «zone rouge» Covid d'un grand service hospitalier, des menaces de poursuites pénales et des boîtes entières de données de malades en guise d'arguments – hélas, certains de ces moyens de persuasion des opposants au vaccin aboutissent à des scandales.
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Dans un couloir d'hôpital, des dizaines de journalistes entourent un homme vêtu d'une chemise à carreaux et d'une cagoule noire, tandis que la police l'escorte vers la sortie.
« La position a été annoncée à l'avance que nous entrerions [dans la zone rouge – ndlr] sans équipement de protection individuelle, mais là on nous oblige à en enfiler ! », se plaint le blogueur Sergueï Mitiouchine, qui a filmé tout ce qui se passait.
C'est ainsi qu'a commencé la première excursion pour antivax en Russie dans un service hospitalier consacré au coronavirus.
Dans la messagerie Telegram et d'autres réseaux sociaux, on peut compter plus d'une dizaine de groupes et de canaux russophones pour les antivax, avec des dizaines de milliers de personnes dans chacun d'eux. Par ailleurs, certains politiciens et célébrités russes, dont l'audience sur les réseaux sociaux se compte en centaines de milliers, appellent ouvertement à rejeter la vaccination. Des rassemblements contre la vaccination obligatoire et les codes QR pour personnes vaccinées ou ayant guéri ont eu lieu à Moscou, Ekaterinbourg et d'autres villes russes en 2021.
Selon l’Institut panrusse d’étude de l’opinion publique (VTsIOM), 27% des Russes interrogés ne croient pas qu'un appel au rejet de la vaccination puisse mettre en danger la vie et la santé de la population, tandis que le pourcentage global des antivax en Russie s’élève environ à 15%. C'est pourquoi les médecins organisent des excursions, afin que ces individus changent d'avis et cessent de répandre de fausses informations sur le coronavirus.
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Déni de la réalité
Personnel médical dans la zone rouge de l'hôpital Filatov n°15 de Moscou, en mai 2020
Le 24 novembre 2021, des médecins de 11 hôpitaux russes ont publié une lettre ouverte invitant les militants anti-vaccins – parmi lesquels des politiciens, des personnalités publiques et des stars du showbiz – à visiter les zones rouges des hôpitaux et à voir de leurs propres yeux les patients atteints de la Covid-19. La plupart des personnalités médiatiques invitées ont décliné l’offre en déclarant qu'elles avaient déjà « vu tout cela » et qu'elles militent contre les vaccins non vérifiés, la vaccination obligatoire et l'introduction des codes QR.
En conséquence, pas plus d'une dizaine de blogueurs Instagram se sont inscrits pour une visite de l'hôpital clinique Filatov n°15 de Moscou. Parmi eux, Maria Stepanova, dont la mère est décédée à l'hôtel Kommounarka à cause du coronavirus, Sergueï Mitiouchine, qui pense que l’incitation à la vaccination se fait pour les intérêts financiers de l'industrie pharmaceutique, et Anton Tarassov, convaincu que le coronavirus n’existe pas et que les patients dans les hôpitaux ont souffert d’inflammations des poumons après que des substances toxiques aient été diffusées dans l'atmosphère.
Anton Tarassov
Tous ont refusé de porter des combinaisons, des masques et des gants de protection avant d'entrer dans la zone rouge, arguant que les médecins leur avaient promis de les laisser passer sans équipement de protection lorsqu'ils s'étaient inscrits, ainsi que de signer le contrat de consentement obligatoire pour visiter le service où sont soignés les patients gravement atteints de la Covid-19. Seul Tarassov s'est armé de chlorhexidine et d'antiseptique au cas où – il pensait que cela suffirait. Au final, seules deux personnes, Stepanova et Mitiouchine, ont respecté toutes les règles et ont pu approcher les patients. Tous deux n'ont cependant pas changé d'avis sur la vaccination après l’excursion.
« Après avoir visité moi-même la zone rouge, j'ai exprimé mon opinion aux médecins [...] que tout cela prendra fin lorsqu'ils cesseront de vous (les médecins) distribuer de l'argent spécial Covid provenant du budget des contribuables et annuleront les vaccins et que ce coronavirus disparaîtra alors aussitôt », a écrit Mitiouchine sur son Instagram.
Stepanova a quant à elle déclaré que tous les patients qui leur avaient été présentés étaient rasés de près et bien coiffés, et ressemblaient donc à des acteurs engagés. Elle a également estimé qu'il y avait trop peu de patients dans la zone rouge, de sorte que, selon elle, la pandémie n’existe tout simplement pas.
Maria Stepanova
Pour sa part, le médecin-chef de l'hôpital, Valeri Vetchorko, a confié qu’aucun dialogue n'avait pu être établi – les antivax riaient et insultaient les patients, et proposaient même de les traiter avec de la pénicilline.
« Nous avons visité l'unité de soins intensifs, vu des patients qui étaient à la fois sous respirateur artificiel et sous ECMO. À ce moment, nous effectuions deux opérations majeures et nous avons montré comment nos chirurgiens travaillent... Ils [les antivax – ndlr] ne veulent absolument pas connaître la vérité », assure-t-il.
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Statistiques officielles vs. pétition des antivax
Passagers à la station Tsvetnoï boulvar du métro de Moscou
Le gouvernement a également utilisé les statistiques pour tenter de faire changer d'avis les antivax. Le 26 novembre, à l'assemblée législative de la région de Rostov-sur-le-Don (sud de la Russie), lors de la discussion du projet de loi sur l'introduction des codes QR dans les lieux et transports publics, la députée du Parti communiste russe Irina Poliakova a apporté une boîte contenant 5 118 signatures contre l’adoption du texte. Les signatures avaient été collectées en trois jours à Rostov-sur-le-Don, écrit 161.RU.
« Nous devons entendre les citoyens [...] Je ne suis pas contre la vaccination, je suis pour une campagne de vaccination raisonnable et intelligente », a-t-elle affirmé.
En réponse, Alexandre Ichtchenko, président de l’assemblée en question et membre du parti Russie Unie, a demandé d’apporter trois boîtes avec les données sur les décès de tous les habitants de la région pendant l’an et demi qu’a duré la pandémie.
« Ces personnes [les défunts – ndlr] ne pourront plus signer de recours. Je pense qu'il n'y en aurait guère un parmi eux qui signerait votre recours [...] Évidemment, ces mesures [restrictives] ont été élaborées par des spécialistes. Peu de gens les aimeront, elles limitent d'une certaine manière les droits », a-t-il ajouté.
Finalement, les députés ont soutenu le projet de loi.
Blocage des fake news et menaces de poursuites pénales
Personnel médical dans la zone rouge de l'hôpital Filatov n°15 de Moscou, en mai 2020
Une autre méthode pour lutter contre le mouvement antivax en Russie consiste à bloquer les fausses informations quant au coronavirus sur Internet et à identifier les militants de cette cause.
Par exemple, à la demande de Roskomnadzor, l'agence chargée de l'application de la loi sur les médias et Internet, 3 500 pages web contenant des fake news sur la Covid-19 ont été supprimées du segment russe de la Toile depuis le début de l'année 2021.
Le 1er novembre 2021 également, le Service fédéral de surveillance en charge de la santé, Roszdravnadzor, a demandé aux régions de trouver les participants aux campagnes anti-vaccination et de les signaler au parquet et aux autorités d’investigation. Une attention particulière a été demandée concernant les travailleurs médicaux « diffusant activement des informations délibérément fausses sur les dommages causés par la vaccination contre la nouvelle infection à coronavirus ».
En un mois, le parquet a ainsi reçu les données de 37 citoyens qui s'étaient engagés dans une propagande anti-vaccination sur les réseaux sociaux.
« Nous avons transmis des déclarations de faits lorsque des personnes défendaient activement auprès d’autrui la position de ne pas se faire vacciner. Mais l'évaluation juridique sera faite par le parquet », a expliqué Irina Batchkova, chef de la branche de Roszdravnadzor pour la région de Volgograd.
Les personnes faisant campagne contre la vaccination seront sanctionnées en vertu des articles 207.1 et 207.2 du Code pénal de la Fédération de Russie. Le premier article prévoit des sanctions pour la diffusion publique d'informations délibérément fausses dans des circonstances susceptibles de menacer la sécurité des citoyens – dans ce cas, la sanction est une amende de 300 000 à 700 000 roubles (3 579 – 8 350 euros), ou un emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans. Si les fausses informations entraînent la mort d'une personne ou d'autres conséquences graves, l'auteur peut être condamné à une amende de 1,5 à 2 millions de roubles (17 893 – 23 858 euros) ou à une peine de prison pouvant aller jusqu'à cinq ans.
Dans cet autre article, nous nous intéressions à l’émergence, en Russie, d’un marché noir des certificats de vaccination.
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