Étiquetage OGM aux États-Unis : partiel et contesté
Depuis le 1er janvier 2022, aux États-Unis, l’étiquetage des OGM est devenu obligatoire, près de six ans après la loi instaurant cette obligation. Pour les associations de consommateurs, l’entrée en vigueur de cette loi est pourtant loin d’être jugée comme une victoire pour la transparence. Le décret d’application de la loi réduit en effet considérablement la portée de l’obligation. La question de la légalité de ce décret reste par ailleurs toujours posée.
L’étiquetage des produits est l’une des composantes essentielles du droit à l’information du consommateur et une traduction concrète de l’obligation de transparence pesant sur le professionnel. Cet étiquetage est d’autant plus important lorsque la mise sur le marché d’un produit donné est encadrée par une réglementation fondée sur l’idée que ce produit n’est pas tout à fait un produit comme un autre. C’est le cas des OGM.
Aux États-Unis, l’un des principaux pays producteurs d’OGM dans le monde, une loi votée en 2016, sous l’administration Obama, a prévu de rendre obligatoire dans tous les états fédérés l’étiquetage des produits destinés à l’alimentation humaine contenant des OGM [1]. Auparavant, une telle obligation n’existait que dans trois états (Connecticut, Maine, Vermont).
Mais, alors que la loi interdit aux états fédérés d’adopter des règles d’étiquetage plus strictes, son décret d’application de 2018 [2], pris par le ministère de l’Agriculture (USDA) sous l’administration Trump, pose des restrictions importantes à l’obligation d’étiquetage et la rend opaque [3]. Ces restrictions ont conduit l’association Center for Food Safety (CFS), rejointe par plusieurs autres parties [4], à introduire un recours contre le décret en juillet 2020 [5]. La procédure judiciaire est toujours en cours. En attendant, les règles posées par le décret doivent obligatoirement être appliquées depuis le 1er janvier 2022.
L’information par « QR code » : discriminatoire mais néanmoins possible
Depuis le 1er janvier 2022, les aliments contenant des OGM doivent être étiquetés sous la forme d’un symbole, d’un texte ou d’un lien numérique, aussi appelé « QR code ».
La possibilité de recourir à un « QR code » suscitait déjà des craintes au moment de l’adoption de la loi. Mais son maintien dans le décret surprend. En effet, une étude réalisée par le ministère de l’Agriculture, conformément à la loi de 2016 [6], concluait que le « QR code » n’était pas un mode d’information adéquat des consommateurs compte tenu d’obstacles majeurs : manque de connaissances techniques, absence d’association faite par le consommateur entre le « QR code » et l’information alimentaire, manque d’infrastructures… Selon cette étude, 23 % des Américains ne possèdent pas de smartphone permettant de scanner ce « QR code ». En milieu rural, ce taux est de 33 %. Le taux de possession d’un smartphone est, par ailleurs, corrélé au niveau de revenus.
La loi de 2016 prévoyait que si l’étude concluait que le « QR code » ne permettait pas une information suffisante des consommateurs, le ministère de l’Agriculture devrait proposer une méthode alternative. C’est l’un des arguments avancés par les opposants au décret, pour lesquels l’option du « QR code » aurait dû être exclue. Caroline Gordon, de Rural Vermont, l’une des parties au recours, proteste : « le fait d’exiger un smartphone est discriminatoire à l’égard d’au moins 20 % de la population adulte américaine - principalement les populations pauvres, âgées, rurales et minoritaires - qui sont moins nombreuses à posséder un smartphone ou qui vivent dans des zones où les épiceries n’ont pas de bande passante Internet ». Si la portée des nouvelles règles ne pourra être mesurée que dans les mois (voire années) à venir, il est certain qu’une grande partie des citoyens étasuniens peut de facto être privée du droit de savoir ce que contient leur alimentation.
Interdiction de dire « génétiquement modifié »
Mais le décret va encore plus loin. Lorsque l’étiquetage prend la forme d’un texte sur l’emballage du produit, il proscrit l’usage des expressions GMO (organisme génétiquement modifié) ou GE (genetically engineered, pour produit issu du génie génétique), pourtant largement utilisées et bien connues des consommateurs. À la place, seul le terme de « bioengineered », qui pourrait être traduit par « issu de la bio-ingénierie », peut être utilisé.
La loi de 2016 ne prévoyant pas une telle restriction sémantique, le Center for Food Safety y voit une volonté délibérée de créer de la confusion chez le consommateur. Or, selon une enquête réalisée en 2018, près de la moitié des étasuniens éviteraient les aliments contenant des OGM [7]. Changer le nom d’une chose est une stratégie politique et commerciale bien connue lorsqu’il s’agit d’effacer une image peu avantageuse… Elle n’est pas inconnue de la Commission européenne et de l’industrie des biotechnologies, lesquelles ont remplacé l’expression de « modification génétique » par celles de « édition du génome » ou « édition génomique ».
En réponse aux critiques et préoccupations émises à ce sujet lors d’une consultation publique organisée avant la parution du décret, le ministère de l’Agriculture s’est contenté de répondre que la formulation " décrit clairement et précisément la technologie et fournit aux consommateurs les informations qu’ils souhaitent ".
La majorité des aliments contenant des OGM échappent à l’étiquetage
Enfin, la majorité des aliments contenant des OGM en vente aux États-Unis ne seront pas étiquetés parce qu’ils contiennent des ingrédients hautement raffinés (sucre, bonbons, huiles de cuisine, sodas...). Le ministère de l’Agriculture a en effet exclu ces produits de l’obligation d’étiquetage, à moins que le matériel génétiquement modifié soit détectable par des méthodes de détection communément utilisées (test PCR) [8].
Le ministère de l’Agriculture justifie cette exclusion par l’approche basée sur les caractéristiques du produit final. Il affirme ainsi que pour définir un aliment contenant un OGM « il faut se concentrer sur les caractéristiques du produit biotechnologique et non pas sur le processus par lequel il a été créé ». En clair, pour le ministère de l’Agriculture, les aliments dans lesquels le matériel génétiquement modifié n’est pas détectable ne répondent pas à la définition d’un aliment génétiquement modifié et ne sont donc pas soumis à l’obligation d’étiquetage [9].
Une restriction qui, là non plus, n’est pas prévue dans la loi votée en 2016. Lors de la discussion de la loi au Congrès, le ministère de l’Agriculture ne paraissait d’ailleurs pas envisager de l’introduire ultérieurement dans le décret [10].
Certes, le décret permet aux opérateurs économiques d’étiqueter de manière volontaire les aliments contenant des ingrédients génétiquement modifiés non détectables (et donc non soumis à l’obligation d’étiquetage). Mais ce n’est pas suffisant pour Tara Cook Littman, de GMO Labelling, l’une des parties au recours contre le décret. Elle estime ainsi qu’ « une loi sur l’étiquetage qui exclut 70 % des aliments qu’elle est censée couvrir n’est pas une loi sur l’étiquetage digne de ce nom : c’est une tromperie et cela autorise les producteurs à garder le secret sur leurs ingrédients génétiquement modifiés ».
La juridiction devrait rendre sa décision d’ici la fin de l’été ou le début de l’automne 2022.
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