(L'union européenne condamne la Turquie pour ses recherches gazières et sa volonté d'exploiter elle aussi le gisement. En fait, même la Syrie peut réclamer sa part. Les européens veulent le gisement pour eux tout seul. erdogan peut lâcher sur l'europe trois millions de réfugiés, sans compter que les européens ne vont pas l'affronter militairement. Alors, on fait quoi ? note de rené)
Par William Engdahl
Ces dernières semaines, a eu lieu une dramatique escalade de la tension causée par la présence d’une plate-forme de forage pétrolier turque au sein de la Zone économique exclusive contestée autour de Chypre, État membre de l’UE. Le Président turc Erdogan affirme que la Turquie a le droit de forer non seulement dans les eaux au large de Chypre-Nord, mais aussi dans des eaux lointaines sur lesquelles les Chypriotes grecs ont revendiqué des droits. Ces actions, qui consistent à transférer les plates-formes turques de forage pétrolier et gazier dans les eaux nord-chypriotes, créent un nouvel et intense conflit dans la Méditerranée orientale, riche en sources d’énergie.
La nature des acteurs en lice constitue un cocktail Molotov politique d’intérêts conflictuels qui risquent de confronter non seulement la Turquie à Chypre et à la Grèce, mais également Israël et les États-Unis, ce à quoi la Russie et la Chine assistent avec un vif intérêt.
Le 20 juin, la Turquie a annoncé qu’elle envoyait un deuxième navire dans les eaux au large de Chypre pour des forages pétroliers et gaziers. Elle prétend qu’elle y a des droits maritimes en raison de sa reconnaissance des Chypriotes turcs dans la partie nord-est de l’île, celle qui fait face à la Turquie. Depuis que l’île a été divisée en 1974, seule la Turquie a officiellement reconnu Chypre-Nord, qui s’appelle la République turque de Chypre du Nord constituée d’environ 36% de la superficie de l’île. Le reste de l’île, désigné sous le nom de République de Chypre, est reconnu comme un État membre souverain de l’UE et est historiquement proche de la Grèce. En juillet 2017, les pourparlers de l’ONU sur l’unification de l’île ont échoué et les tensions énergétiques ont augmenté.
En 2011, de vastes gisements de pétrole et surtout de gaz naturel ont été découverts dans la Méditerranée orientale, près de Chypre, ainsi qu’en Israël, au Liban et potentiellement en Égypte. L’ensemble de la région pourrait contenir plus de 15 000 milliards de pieds cubes de gaz. Depuis lors, la Méditerranée orientale est devenue un foyer de géopolitique énergétique et de tensions croissantes. Ainsi, lorsque Chypre a accordé des droits de forage à ENI en février de l’année dernière, la Turquie a envoyé ses navires de guerre dans la région, obligeant ENI à abandonner ses activités de forage. Puis, en novembre, lorsque Chypre a accordé des droits de forage au géant américain ExxonMobil dans les eaux au sud-ouest de Chypre, Erdogan a exigé qu’ils soient abandonnés, qualifiant au passage la compagnie de « pirates ».
Ces dernières semaines, Erdogan a aggravé la situation en envoyant plusieurs navires de forage turcs dans les eaux revendiquées par la République de Chypre.
En coulisses
Qu’y a-t-il derrière l’actuelle et explicite escalade des revendications turques, pourtant très contestées, de forer au large de Chypre ? Pourquoi maintenant, alors que la question est plus ou moins connue depuis plus de huit ans quand de grandes réserves de gaz ont été découvertes ? Plusieurs facteurs sont susceptibles de l’expliquer.
Il y a d’abord les graves défaites électorales de Erdogan au cours des derniers mois qui, pour la première fois depuis plus d’une décennie, remettent en question son pouvoir. On ne peut exclure qu’il considère que durcir le ton dans les revendications turques sur Chypre pourrait relancer sa popularité chancelante, d’autant plus que l’économie turque est entrée dans une grave récession ces derniers mois. En plus de l’incertitude politique croissante, l’économie turque est frappée par la hausse du chômage, l’effondrement de la demande intérieure et la baisse de la Livre turque. Erdogan est également en lutte avec Washington : Ankara ne démord pas d’acheter les systèmes avancés de défense aérienne S-400 russes plutôt que leur alternative américaine. Le fait que la Turquie soit un pays de l’OTAN, tout comme la Grèce, ajoute à la confusion géopolitique. Le 17 juillet, Washington a annoncé qu’à la suite de l’adoption du système S-400, la Turquie ne sera pas autorisée à acheter le F-35 Joint Strike Fighter.
Turquie et Russie
Depuis des années, et surtout depuis l’échec du coup d’État de juillet 2016 dont Erdogan a accusé Fethullah Gülen, un agent de la CIA exilé en Pennsylvanie, les relations entre Erdogan et Washington sont tendues car Washington refuse d’extrader Gülen.
Une rupture des liens turco-russes avait eu lieu après qu’un jet turc avait abattu un avion russe à l’intérieur de l’espace aérien syrien. Or maintenant, la Russie fait une percée majeure en Turquie au grand dam de Washington. En plus d’acheter les systèmes de défense russes S-400, Erdogan a rejoint la Russie dans la construction du gazoduc Turkish Stream courant de la Mer noire russe à la Turquie. En novembre 2018, Poutine s’est rendu à Istanbul pour célébrer l’achèvement de la première partie sous-marine des 910 kilomètres de gazoduc atteignant les terres turques. Une seconde ligne parallèle amènerait le gaz russe par la Turquie vers la Grèce et potentiellement vers la Serbie, la Hongrie et d’autres marchés européens.
Poutine et Erdogan ont également tenu des pourparlers lors du récent sommet du G20 à Osaka sur une augmentation significative du commerce mutuel.
Cependant, la récente décision turque d’envoyer des navires de forage dans les eaux chypriotes ne fait rien pour assurer que la Grèce acceptera d’acheter le gaz provenant du Turkish Stream. En outre, le fait que la Turquie ait positionné ses nouvelles batteries de missiles S-400 dans le sud-ouest de la Turquie, couvrant ainsi l’espace aérien ainsi que les eaux territoriales de Chypre et de la Grèce, n’ajoute rien à la tiédeur des relations avec la Turquie ou la Russie du point de vue grec.
Le 16 juillet, alors que l’UE annonçait des sanctions contre la Turquie pour ses navires de forage non autorisés au large de Chypre, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a répondu ainsi : « Qualifier les sanctions de décision de l’UE signifie les prendre au sérieux. Ce n’est pas ce que vous devriez faire : la décision a été prise pour satisfaire les Chypriotes grecs. Ces choses n’ont [donc] aucun effet sur nous. » Au moment où il parlait, Ankara a annoncé l’envoi d’un quatrième navire d’exploration vers la Méditerranée orientale. Pour ne pas être en reste, le Ministre des affaires étrangères de Erdogan prétend que la Turquie a les mêmes droits que le gouvernement chypriote grec à forer, y compris dans les eaux à 200 miles de la côte chypriote, et affirme même son droit sur une partie de la Méditerranée qui entaille la Zone économique exclusive de la Grèce. [Consulter une carte ici.] Elle appuie ce droit avec des drones, des chasseurs F-16 et des navires de guerre pour escorter les navires de forage au large de Chypre.
L’avenir de l’OTAN
Tout cela soulève la question de savoir si Erdogan ouvre actuellement un nouveau chapitre majeur de la géopolitique turque et se prépare à quitter l’OTAN en faveur de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) dirigée par la Chine et la Russie.
Non seulement la Turquie semble prête à approfondir ses liens militaires avec Moscou. Lors d’un récent voyage à Pékin, le 2 juillet, Erdogan a refusé de critiquer les Chinois pour leur supposé internement de plus d’un million d’Ouïghours musulmans dans la province du Xinjiang. Auparavant, la Turquie, qui considère les Ouïghours comme des Turcs ethniques, se référait au Xinjiang comme Turkestan oriental, et était l’un des seuls pays musulmans à dénoncer le traitement que la Chine réserve aux Ouïghours. Cette fois-ci, Erdogan a adopté un ton étonnamment doux en déclarant aux médias chinois : « Je crois que nous pouvons trouver une solution au problème en tenant compte des sensibilités des deux parties. » L’objectif clair du voyage deErdogan à Pékin était d’obtenir un soutien économique pour lutter contre l’affaissement de l’économie turque, durement touchée ces derniers mois par les sanctions américaines. Des entreprises chinoises sont déjà engagées dans la construction d’une partie de la nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse Istanbul-Ankara ainsi que d’un nouvel aéroport à Istanbul.
La Turquie a souvent fait double jeu, entre est et ouest, dans un effort pour obtenir le meilleur avantage. La question est de savoir si dorénavant Erdogan se dirige vers une alliance explicite avec la Chine et la Russie, mettant en jeu son statut au sein de l’OTAN. Si tel est le cas, le différent actuel sur le forage pétrolier et gazier à Chypre pourrait être une affaire mineure montrant la voie d’un profond changement géopolitique qui poserait des défis majeurs non seulement à l’UE, mais aussi à Washington.
F. William Engdahl est consultant et conférencier en risques stratégiques, diplômé en politique de l’Université de Princeton et auteur de best-sellers sur le pétrole et la géopolitique, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
Source William Engdahl
Traduit par Stünzi, relu par Hervé pour le Saker francophone
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