L’année qui précède une élection présidentielle en Afrique subsaharienne est toujours particulièrement tendue. C’est la raison pour laquelle, à partir de la rentrée 2019, les Etats concernés par un scrutin présidentiel en 2020, soient le Togo, le Burkina-Faso, le Niger, la Guinée Conakry et la Côte d’Ivoire seront à scruter à la loupe. La situation sera d’autant plus volatile que la situation régionale est chaotique et que tous les pays cités marchent déjà sur la corde raide. Dans l’index annuel des Etats fragiles du think tank Fund for Peace, le Togo et le Burkina-Faso sont sous haute surveillance, les trois autres ont déjà atteint la cote d’alerte. La Côte d’Ivoire se place un cran au-dessus de la Libye, c’est dire, la Guinée, elle, se trouve deux marches avant l’Afghanistan ! En général, ce type de classement ne présente pas grand intérêt, il faut les lire de manière extrêmement mesurée. Néanmoins, l’indice de Fund for Peace mérite attention puisque dans la longue liste de ces généreux donateurs figurent des institutions bien informées : AFRICOM, OTAN, Département de la Défense américaine, Agence Américaine de Renseignement de Défense, etc.
Connaissant le terreau inflammable sur lequel ils évoluent, les chefs des Etats concernés devraient donc prendre le minimum de risques. Cela ne semble pas être le cas dans nombre des Etats cités, notamment en Côte d’Ivoire, où son président cumule les défis en superposant les crises à venir.
Entre tous les périls qui guettent une élection présidentielle en Afrique subsaharienne, trois éléments majeurs sont susceptibles d’exacerber les tensions : la modification de la constitution aux fins de convenance personnelle pour le chef de l’Etat sortant ; la composition des commissions électorales avec lesquelles il serait sage d’en finir puisqu’elles n’ont d’indépendance que le nom et sont un formidable instrument de corruption ; la mise à jour des listes électorales, dans des pays où il n’y a pas de véritables recensements et où une partie de la population ne possède pas de carte d’identité.
Le 6 août dernier, dans une interview à la télévision nationale, à la veille de la fête de l’indépendance, Alassane Ouattara a laissé entrevoir des velléités de modifier, une nouvelle fois, la constitution. S’il n’a pas évoqué les points qu’il souhaitait revoir, ses opposants supposent qu’il pourrait s’attaquer à la limite d’âge afin d’empêcher son ex-allié, devenu principal rival, le président du PDCI, Henri Konan Bédié, de se présenter.
Toujours lors de cette prise de parole, il a adressé une fin de non-recevoir à tous les partis politiques qui demandaient une réforme de la Commission électorale indépendante (CEI). Le 20 août, à la surprise générale, l’Union Africaine, dont la Cour des droits de l’homme avait pourtant attesté, lors d’un jugement en 2016, de la mainmise du camp présidentiel sur la CEI, a brusquement revu son jugement. Par la voix de son président, Moussa Faki Mahamat, elle a adoubé la CEI version Alassane Ouatarra. Le PDCI et ses alliés ont d’ores et déjà indiqué qu’ils ne siégeraient pas à cette Commission, le FPI de Laurent Gbagbo est sur la même ligne. « On va à l’affrontement » a déjà annoncé Anaky Kobena, dirigeant du MFA, un parti d’opposition.
Enfin troisième enjeu crucial d’une élection : la liste électorale. Selon Mamadou Koulibaly, président du parti d’opposition Lider et candidat en 2020 : « Si en 2010, il y a eu du grabuge, c’est aussi parce que la liste électorale n’était pas bien établie. Tous les jeunes majeurs n’avaient pas été recensés.»
Pour constituer une liste électorale fiable, encore faut-il que l’état civil le soit aussi. Or, à 13 mois de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, il n’en est rien, c’est un vaste chantier auquel le Gouvernement s’est attelé avec le concours de tous les bailleurs de fonds : Banque Mondiale, FMI, UNICEF, UE, AFD… La Banque mondiale a déjà accordé, en 2016, un prêt de 67,4 millions de dollars.
Le gouvernement ivoirien a également fait appel au Fonds européen d’urgence pour l’Afrique ( EU Emergency trust Fund for Africa). Il a obtenu 25 millions d’euros sur trois ans, 2019, 2020, 2021, pour appuyer cette réforme qu’il appelle de ses vœux. Dans la fiche action du contrat passé entre le gouvernement de Côte d’Ivoire, son partenaire français, CIVIPOL, et l’Union Européenne, document officiel et public, (voir le document ici) l’état des lieux dressé est particulièrement inquiétant. Dès les premières pages les auteurs soulignent : « la difficulté à établir une liste électorale fiable et légitime, garante d’un déroulement pacifique de l’élection présidentielle d’octobre 2020. ».
Malgré les déclarations de Alassane Ouattara pour rassurer ses concitoyens comme ses partenaires internationaux, ce document est une reconnaissance explicite de toutes les difficultés auxquelles est confronté l’Etat ivoirien pour aller vers des élections apaisées en 2020 :
Extraits :
« L’absence d’un système d’état civil fiable et sécurisé altère la capacité de l’Etat à permettre à ses citoyens l’exercice de leurs droits sociaux, économiques et politiques »
« En dépit des efforts du Gouvernement et d’une réelle volonté de moderniser le système d’état civil, la performance de ce dernier n’est pas à la hauteur de l’ambition que le pays se donne en matière de stabilité et de développement économique et social durables. Le développement des services publics et des missions régaliennes de l’État par conséquent est limité par l’absence de données fiables et actualisées sur la population qui réside sur le territoire national et sur les Ivoiriens de l’extérieur. »
« … sur une population totale estimée à 22 671 331 habitants, plus d’une naissance sur deux n’est pas déclarée dans le délai légal (3 mois après la naissance) et une sur trois jamais déclarée. Environ 110 naissances masculines sont déclarées pour 100 naissances féminines. La situation se dégrade ces dernières années : le taux d’enregistrement des naissances dans les délais est passé de 70% en 2014 à 54% en 2017. »
« … moins d’un décès sur cinq est déclaré sur le territoire ivoirien. »
«… seulement 3,9% des personnes inscrites sur la liste électorale actuelle appartiennent à la population âgée de 18 à 24 ans, cela signifie que près de 90% des jeunes ne peuvent pas voter. »
« La fraude documentaire est endémique et structurelle en Côte d’Ivoire. Plus généralement, la confection de faux documents est largement répandue et permet la délivrance de vrais documents mais sur une base de fausses pièces justificatives. »
Comment, en neuf mois, à partir de la signature de ce document, l’Etat de Côte d’Ivoire a-t-il pu résoudre les problèmes « structurels et endémiques » du système de l’état civil ? Quelle liste proposera-t-il pour les élections de 2020 ? Lors des dernières municipales, seuls 6,5 millions d’Ivoiriens ont été appelés aux urnes alors qu’ils devraient être plus de 14 millions, selon Mamadou Koulibaly. Et surtout quelles mesures a-t-il prises pour juguler la fraude documentaire ? C’est un des grands enjeux de la période qui s’ouvre.
Leslie Varenne
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(1) indice des Etats Fragiles Fund for Peace : https://fundforpeace.org/wp-content/uploads/2019/04/9511904-fragilestatesindex.pdf
Liste des donateurs : https://fundforpeace.org/who-we-are/partners/
Liste des donateurs : https://fundforpeace.org/who-we-are/partners/
Interview d’Alassane Ouattara du 6 août dernier : https://www.youtube.com/watch?v=l8Bw-hz0l-4
Interview d’Anaky Kobena du 23 août dernier : https://www.youtube.com/watch?v=mogGZMsGSlc
Entretien dans Sputnik de Mamadou Koulibay : https://fr.sputniknews.com/afrique/201905201041185732-presidentielle-de-2020-en-cote-divoire-il-y-a-encore-des-risques-de-conflit/
Document de l’EU Emergency trust Fund for Africa : https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/region/sahel-lake-chad/cote-divoire/contrat-de-reforme-sectorielle-appui-la-reforme-de-letat-civil_en
(L'Afrique francophone dans la tourmente, les djihadistes aux frontière et les dissenssions internes qui minent les pays. note de rené)
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