528- La Russie vient d’établir sa propre agence de notation, dénommée ACRA
source : Sans à priori
Les implications de l’ACRA
Une nouvelle particulièrement importante et significative a été révélée jeudi dernier. La Russie vient d’établir sa propre agence de notation, dénommée ACRA (Analytical Credit Rating Agency). Cette agence est une compagnie privée, mais dont le capital de 44 millions de Dollars sera fourni par de grandes sociétés russes (la Sberbank, Severstal, mais aussi Raiffeisenbank). Elle sera dirigée par un américain, M. Karl Johansson et par une personnalité bien connue du monde de l’audit en Russie Mme Ekaterina Trofimova. Cette agence a d’ores et déjà recruté 23 auditeurs et analystes (qui travaillaient auparavant pour des agences américaines). Elle devrait commencer à travailler dès la fin du mois de mars, et devrait publier ses premières « notations » vers la fin du 2ème trimestre 2016.
Pourquoi cette nouvelle est-elle significative ? Le rôle des agences de notation est crucial pour le développement d’un marché mondial des dettes, en particulier des dettes privées. Un investisseur souhaitant diversifier son portefeuille ne peut avoir à lui seul les compétences pour évaluer la solvabilité de compagnies très diverses tant dans leurs origines que dans leurs branches d’activité. Il est donc logique qu’il puisse recourir à une « notation » effectuée par une agence indépendante. De fait, le développement des agences (essentiellement américaines) comme Moody’s, Fitch, Standards & Poor’s, a permis le développement d’un marché mondial des dettes. Dès lors, on pourrait croire que l’émergence d’une agence russe (et d’une agence chinoise) correspond à ce que l’on appelle une « saine concurrence », et devrait continuer à stimuler le marché. Il n’en est rien. Car, le développement de cette agence correspond au contraire à une réaction contre les manipulations politiques auquel s’est livré le gouvernement américain depuis environ 18 mois. Ces manipulations politiques ont affecté la notation de la dette souveraine de la Russie, mais aussi de celle des grandes sociétés russes, qu’elles soient publiques ou privées. Or, la valeur de la notation détermine largement le taux d’intérêt auquel un État, ou une grande société, peut emprunter.
En fait, les pressions du gouvernement de Washington ont amené le gouvernement russe à exiger que les filiales russes des agences prennent désormais comme « superviseur » la Banque Centrale de Russie. Les agences, et en particulier Moody’s et Fitch ont décidé de fermer leurs filiales russes, pour ne pas risquer de tomber sous des procédures américaines, suite aux sanctions financières que ce dernier pays a pris contre la Russie. Standard & Poor’s continue de négocier avec la Banque Centrale de Russie, mais il est probable qu’en tout état de cause elle imitera les deux autres agences. Il en résulte que le « marché » de l’audit et de la notation en Russie est perdu pour ces agences, et que celui-ci sera acquis par la nouvelle agence ACRA. De manière moins spectaculaire, le même processus est en train de se produire en Chine. Il implique donc, et c’est une conséquence non-intentionnelle de la décision politique des Etats-Unis d’appliquer des sanctions financières contre la Russie et de faire pression politiquement sur les agences dans leur notation des sociétés russes, que l’on est entré dans une fragmentation de ce fameux « marché mondial » des dettes qui s’était constitué depuis environ une trentaine d’années.
Loin de constituer un signe de « bonne santé » du marché mondial, il faut donc comprendre l’émergence d’une agence russe, et d’une agence chinoise, comme le début d’un processus de fragmentation politique de ce marché. A terme, d’ici quelques années, les dettes russes ou chinoises ne seront plus notées que par une agence russe ou chinoise. La volonté d’un investisseur de diversifier son portefeuille deviendra donc un « choix » politique, en particulier dans la confiance qu’il aura dans ces institutions. De fait, on peut penser que cela va largement interrompre les flux internationaux de capitaux.
De fait, l’internationalisation de ces flux de capitaux n’a pas apporté grand chose au développement économique des pays concernés. L’étude de D. Rodrik et A. Subramanyan, étude qui date de plusieurs années, sur ce point est sans appel[1]. Mais, si la « globalisation financière » n’est pas un facteur de développement de l’investissement, alors il est plus que probable qu’il faut en revenir aux méthodes dites de « répression financière » qui étaient de mises dans les années 1960 et 1970.
L’annonce de l’entrée en opération de l’agence de notation russe pourrait donc bien être le signal d’une « dé-globalisation » de la finance, qui se ferait pour des raisons au départ politiques, mais qui trouverait dans des raisons économiques les raisons de s’enraciner. Et de ce point de vue, il est clair que l’entrée en opération de l’ACRA est bien l’évènement le plus significatif de ces dernières années.
[1] Rodrik D., « Why Did Financial Globalization Disappoint? » (with A. Subramanian), IMF Staff Papers,Volume 56, Number 1, March 2009, 112-138.
source/http://russeurope.hypotheses.org/4804
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