Après la presse britannique, c’est désormais la très sérieuse Banque des règlements internationaux (BRI) qui s’inquiète de ce qui pourraient être des « signes avant-coureurs d’une tempête qui couve depuis longtemps ». Une déclaration émanant tout de même d’une institution considérée comme la banque centrale des banques centrales … Pour un peu, cela serait plus qu’inquiétant…
Dans son rapport trimestriel, publié dimanche, l’établissement financier a analysé en détail les secousses qui ont agité les marchés financiers en début d’année, son chef économiste mettant en garde contre le redoutable problème de la dette.
« L’année 2016 a commencé par l’une des pires vagues de liquidation jamais vues », a tout d’abord tenu à rappeler Claudio Borio, le chef du département monétaire et économique de la BRI.
Alors que les investisseurs se remettaient à peine du relèvement du taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine opéré mi-décembre, les marchés ont lourdement chuté deux semaines plus tard face aux signes de ralentissement en Chine, laissant redouter une fragilité globale des économies émergentes.
Cette première phase de turbulences a été par la suite suivie par une seconde vague en février, « plus brève mais peut-être plus préoccupante » selon Claudio Borio. Un phénomène consécutif aux inquiétudes quant à la santé des banques. La tension a une nouvelle fois pris de l’ampleur lorsque la banque du Japon a décidé à son tour d’imposer des taux négatifs, analyse encore le banquier.
« Au plus fort de cette tourmente, c’étaient plus de 6.500 milliards de dollars de titres souverains qui s’échangeaient à des rendements négatifs », a-t-il indiqué, soulignant qu’une fois de plus, « les limites de l’impensable avaient été repoussées« .
Selon lui, l’origine de ces turbulences n’est cependant « pas difficile à trouver », le lourd problème de la dette permettant de faire le lien entre « des évolutions apparemment sans rapport entre elles ».
Il observe ainsi que la dette, qui était à l’origine de la crise financière, n’a pas cessé d’enfler. Si, certes, dans les économies avancées, le secteur privé s’est désendetté, la dette publique a continué de gonfler. Phénomène le plus inquiétant à ses yeux : la situation des entreprises des économies émergentes, ces dernières ayant constitué jusque là le moteur de la croissance depuis la crise. Or, toujours selon lui, un cercle vicieux est en train de se former entre l’appréciation du dollar et le durcissement des conditions financières alors que nombre d’entre elles se sont endettées dans cette devise.
Allant dans le même sens, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales indiquait quant à lui en décembre 2015 que « la position actuelle de l’économie mondiale dans le cycle économique et financier présente des vulnérabilités ». Observant que « d’une part, l’endettement a continué d’augmenter dans les pays avancés, puis dans les pays émergents » et que « d’autre part, le dollar est entré dans un nouveau cycle haussier que la remontée des taux américains devrait accentuer. » Or, le mouvement « a déjà provoqué des fuites de capitaux hors des pays émergents très endettés, déstabilisant leurs taux de change. » poursuivait alors le CEPII.
Or, « le système monétaire international qui reste largement centré sur le dollar, alors même que l’hégémonie de l’économie américaine s’affaiblit, ne peut pas produire les ajustements nécessaires, d’autant moins que la politique monétaire américaine demeure unilatérale » avait-il ajouté. « Si aucune coopération ne vient lever ces contradictions, la globalisation financière pourrait reculer » avait-il d’ores et déjà averti. Poussant même un cri d’alarme en déclarant que « si l’appréciation du dollar s’accélère alors que les niveaux de dettes en dollars sont élevés, la dépréciation des monnaies émergentes peut créer une détresse financière plutôt que stimuler la demande réelle. »
Claudio Borio estime par ailleurs que la dette permet également de comprendre pourquoi les prix du pétrole sont si bas. En effet, malgré la baisse de la demande en Chine, due au ralentissement de la croissance chinoise, les compagnies pétrolières se voient toutefois contraintes de maintenir leur niveau de production afin de pouvoir rembourser leur « énorme dette », phénomène pesant sur les cours, car conduisant à une offre disproportionnée par rapport aux besoins planétaires, qui ne fait qu’accroître le problème en un formidable cercle vicieux. En effet, le maintien de la production ne fait que faire chuter les prix, réduisant ainsi de facto leurs capacités de remboursement de leurs dettes, le problème devenant ainsi proche du supplice de Tantale.
Le banquier de la BRI estime encore que ces turbulences interviennent alors que les banques centrales ont été trop sollicitées. Malgré des conditions monétaires exceptionnellement accommodantes, la croissance n’est pas tant au rendez-vous et l’inflation reste obstinément faible.
Et pour la première fois, les investisseurs « semblent commencer à douter que les banques centrales aient des pouvoirs de guérison », a-t-il mis en garde dès dimanche, quelques jours avant l’annonce annonce de nouvelles mesures d’assouplissement monétaire par la Banque centrale européenne (BCE).
Vendredi, si le marché avait dans un premier temps salué les nouvelles mesures de soutien de la BCE, avec une baisse de ses taux, un renforcement du programme de rachats d’actifs et de nouveaux prêts aux banques, comme le prévoyait le banquier, les investisseurs ont par la suite douté de ses marges de manoeuvre et sur sa capacité à relancer l’économie.
Les statistiques de la BRI ont par ailleurs mis en évidence un ralentissement des flux financiers au niveau mondial. Ainsi, fin septembre, les emprunts en dollars contractés par des établissements non-bancaires se situaient à 3.300 milliards de dollars, un niveau inchangé par rapport à fin juin. La BRI précisant à cet égard qu’il s’agissait de la première fois depuis 2009 que ce niveau n’évoluait pas.
Les créances accordées à la Chine ont quant à elles chuté de 119 milliards de dollars, ramenant les encours à 877 milliards. Les emprunts transfrontaliers ont également chuté de 26 milliards dans le reste de l’Asie émergente, ce qui correspond à une baisse de 5% en valeur glissante annuelle.
Sources : AFP, BCRI, CEPII
Elisabeth Studer – 11mars 2016 – www.leblogfinance.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire