Par : Pierre Verhas
Publié le : 3/03/16
- source : Afrique Asie
Le « Huffington Post » que l’on ne peut guère qualifier d’anti-américain a publié le 9 novembre 2015 une interview du politologue libanais Georges Corm qui a une analyse aussi originale que rigoureuse de la guerre qui ensanglante le Moyen-Orient depuis plus de trente-cinq années.
Georges Corm est un intellectuel libanais, juriste, politologue et économiste. Après avoir travaillé dans la fonction publique libanaise, il intègre le secteur bancaire. Il fut le représentant de la Banque nationale d’Algérie au Liban. Ensuite, il devint conseiller du gouverneur de la Banque centrale libanaise. Il fut également ministre des finances de 1998 à 2000. Il est membre du comité de patronage du Tribunal Russell sur la Palestine.
Georges Corm a publié plusieurs ouvrages sur la situation au Moyen Orient où sa vision des choses est très éloignée des analyses diffusées par les médias occidentaux.
Georges Corm a publié plusieurs ouvrages sur la situation au Moyen Orient où sa vision des choses est très éloignée des analyses diffusées par les médias occidentaux.
Georges Corm n'est pas le genre d'intellectuel à céder à la pensée unique.
Pour l’intellectuel libanais, la guerre au Moyen Orient, en dehors du conflit israélo-palestinien, a commencé en 1979 lors de l’invasion soviétique en Afghanistan. Il accuse les Américains d’avoir tout déclenché dans leur volonté d’affaiblir les Soviétiques et celle quasi obsessionnelle d’éradiquer le communisme.
L’accoucheuse du diable
En Afghanistan, avant l’intervention soviétique, par un coup d’État, un gouvernement de gauche renversa le gouvernement conservateur existant. Ce gouvernement effectua de grandes réformes sociales, en matière d’éducation, afin de moderniser le pays. Mais il se heurta aux puissants propriétaires terriens qui vivaient comme des seigneurs féodaux et qui s’opposèrent à une réforme agraire destinée à redistribuer les terres aux paysans. Une guerre civile se déclencha, le gouvernement réagit par une répression violente et les Soviétiques furent forcés d’intervenir en décembre 1979. Une résistance téléguidée par les féodaux et les talibans s’organisa et reçut tout de suite le soutien des États-Unis.
L’affaire prit très vite une tournure idéologique qui est à l’origine d’une guerre qui embrasa l’ensemble du Moyen-Orient et aussi du terrorisme qui ensanglante la région et s’étend en Europe.
Comment en est-on arrivé là ? Ce fut le conseiller spécial de Jimmy Carter, alors président des États-Unis, Zbigniew Brzezinski, prototype même du dirigeant de l’État profond US, qui eut l’idée d’organiser une mobilisation religieuse contre l’URSS. Ainsi, dès 1979, les organisations religieuses musulmanes furent instrumentalisées dans cet objectif. L’Arabie Saoudite a été aidée financièrement pour entraîner de jeunes volontaires arabes à combattre en Afghanistan.
En Afghanistan, avant l’intervention soviétique, par un coup d’État, un gouvernement de gauche renversa le gouvernement conservateur existant. Ce gouvernement effectua de grandes réformes sociales, en matière d’éducation, afin de moderniser le pays. Mais il se heurta aux puissants propriétaires terriens qui vivaient comme des seigneurs féodaux et qui s’opposèrent à une réforme agraire destinée à redistribuer les terres aux paysans. Une guerre civile se déclencha, le gouvernement réagit par une répression violente et les Soviétiques furent forcés d’intervenir en décembre 1979. Une résistance téléguidée par les féodaux et les talibans s’organisa et reçut tout de suite le soutien des États-Unis.
L’affaire prit très vite une tournure idéologique qui est à l’origine d’une guerre qui embrasa l’ensemble du Moyen-Orient et aussi du terrorisme qui ensanglante la région et s’étend en Europe.
Comment en est-on arrivé là ? Ce fut le conseiller spécial de Jimmy Carter, alors président des États-Unis, Zbigniew Brzezinski, prototype même du dirigeant de l’État profond US, qui eut l’idée d’organiser une mobilisation religieuse contre l’URSS. Ainsi, dès 1979, les organisations religieuses musulmanes furent instrumentalisées dans cet objectif. L’Arabie Saoudite a été aidée financièrement pour entraîner de jeunes volontaires arabes à combattre en Afghanistan.
Zbigniew Brzezinski a utilisé la religion pour lutter contre le communisme en Afghanistan et dans les pays arabes « laïques ».
Georges Corm n’est pas le seul à avoir cette analyse de la manipulation de la religion. Le professeur américain Nafeez Mosaddeq Ahmed écrit dans un ouvrage paru en anglais en 2005, The war on Truth, 9/11 traduit en français sous le titre « La guerre contre la Vérité » : « Un élément-clé de l’opération soutenue par les États-Unis consistait à tenter de fabriquer une idéologie religieuse extrémiste au moyen d’un amalgame de traditions féodales afghanes et de rhétorique islamiste. » Il s’agissait de combattre les réformes progressistes du gouvernement afghan qui étaient malgré tout populaires et qui auraient pu faire tache d’huile dans d’autres pays du Moyen-Orient.
Une fois formés, les moudjahidines furent envoyés en Afghanistan et rejoignirent les Talibans qui formèrent un gouvernement qui fut reconnu par les trois alliés des États-Unis dans la région : le Pakistan, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Des négociations entre les États-Unis et les Talibans se déroulèrent pour le contrôle et la protection des gazoducs traversant le territoire Afghan.
En 1988, soutenu par les États-Unis, un riche Saoudien du nom d’Oussama Ben Laden fonda Al Qaïda. Ce mot arabe signifie « la base ». Ici, le mot « base » doit être pris dans le sens de base de données. Al Qaïda est donc l’ensemble des combattants appelés moudjahidines qui sont repris dans la « base de données » (ou data base). Les combattants d’Al Qaïda furent envoyés en Bosnie, en Tchétchénie et aujourd’hui dans le Xinjiang chinois.
Une fois formés, les moudjahidines furent envoyés en Afghanistan et rejoignirent les Talibans qui formèrent un gouvernement qui fut reconnu par les trois alliés des États-Unis dans la région : le Pakistan, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Des négociations entre les États-Unis et les Talibans se déroulèrent pour le contrôle et la protection des gazoducs traversant le territoire Afghan.
En 1988, soutenu par les États-Unis, un riche Saoudien du nom d’Oussama Ben Laden fonda Al Qaïda. Ce mot arabe signifie « la base ». Ici, le mot « base » doit être pris dans le sens de base de données. Al Qaïda est donc l’ensemble des combattants appelés moudjahidines qui sont repris dans la « base de données » (ou data base). Les combattants d’Al Qaïda furent envoyés en Bosnie, en Tchétchénie et aujourd’hui dans le Xinjiang chinois.
Oussama Ben Laden l'ennemi-ami des Américains.
C’est donc la guerre froide – que les néoconservateurs américains et certains dirigeants européens considèrent comme n’étant pas terminée – qui a été l’accoucheuse du diable, comme l’a écrit Mossadeq Ahmed.
Les ravages du « choc des civilisations »
Georges Corm précise – et c’est ce qui est important : « Les politologues occidentaux ont donné une crédibilité islamique à des gens comme Ibn Taymyya ou Sayyid Qutb, ainsi que Ben Laden et le soi-disant "État islamique ". Vouloir expliquer des phénomènes comme les attentats du 11 septembre 2001 ou celui de Charlie Hebdo par la religion musulmane ne fait qu'amplifier le malaise.
Les organisations terroristes doivent être considérées comme telles. Si vous mobilisez des savoirs soi-disant académiques pour justifier leurs actes par la théologie musulmane, vous jouez dans leur camp et renforcez leur crédibilité ».
En clair, ce n’est pas la religion qui est à l’origine du terrorisme, c’est l’instrumentalisation de celle-ci via les groupes extrémistes et le prétendu « État islamique ». Et Corm va plus loin : selon lui, cette stratégie a pour objet d’accroître les tensions. On fait l’amalgame entre cet intégrisme et la religion musulmane telle qu’elle est vécue par la plupart des fidèles.
Il ajoute : « L'Occident focalise sur l'actualité ténébreuse du monde musulman et passe sous silence la mouvance éclairée et elle est dense. »
Il est intéressant de voir quelles furent les relations entre l’auteur du fameux ouvrage « Le choc des civilisations » et l’ancien conseiller de Jimmy Carter qui est à l’origine de cette politique d’instrumentalisation de la religion à des fins géopolitiques. Lisons ce qu’écrit Nadia Weiss dans le journal en ligne suisse « Horizons et débats » : « Si l’on étudie le contexte dans lequel baigne Huntington, on y rencontre un de ses plus importants amis politiques, le grand stratège américain Zbigniew Brzezinski, auteur du « Grand échiquier ». Il est connu pour être l’instigateur de la stratégie de suprématie qui détermine la politique étrangère américaine. C’est en Eurasie que la lutte pour la suprématie mondiale doit avoir lieu. Pour cela, il faut avoir accès à des pays d’importance géostratégique comme l’Ukraine, la Turquie, l’Iran et les pays du Caucase. Aussi bien l’élargissement à l’Est de l’UE que celui de l’OTAN sont au service de cette stratégie. À lire Huntington, on a souvent l’impression de lire Brzezinski. Huntington écrit, par exemple, que le maintien de la suprématie des USA est aussi important pour le monde entier que pour les États-Unis. Le monde a toujours besoin d’une puissance hégémonique et les USA sont les seuls qui puissent jouer ce rôle, lequel est nécessaire aux intérêts de l’Amérique. Sa suprématie est essentielle au plan économique : « Actuellement, elle est disputée par le Japon et le sera probablement à l’avenir par l’Europe. »
Huntington et Brzezinski ont le même projet politique : la domination du monde par une seule puissance, celle à laquelle ils appartiennent. Ce n’est pas un hasard si Brzezinski porte aux nues le « Choc des civilisations » de Huntington : « Travail fondamental qui va révolutionner notre manière de voir la politique étrangère ». Ailleurs, il définit Huntington comme un « Machiavel démocrate ».
Georges Corm précise – et c’est ce qui est important : « Les politologues occidentaux ont donné une crédibilité islamique à des gens comme Ibn Taymyya ou Sayyid Qutb, ainsi que Ben Laden et le soi-disant "État islamique ". Vouloir expliquer des phénomènes comme les attentats du 11 septembre 2001 ou celui de Charlie Hebdo par la religion musulmane ne fait qu'amplifier le malaise.
Les organisations terroristes doivent être considérées comme telles. Si vous mobilisez des savoirs soi-disant académiques pour justifier leurs actes par la théologie musulmane, vous jouez dans leur camp et renforcez leur crédibilité ».
En clair, ce n’est pas la religion qui est à l’origine du terrorisme, c’est l’instrumentalisation de celle-ci via les groupes extrémistes et le prétendu « État islamique ». Et Corm va plus loin : selon lui, cette stratégie a pour objet d’accroître les tensions. On fait l’amalgame entre cet intégrisme et la religion musulmane telle qu’elle est vécue par la plupart des fidèles.
Il ajoute : « L'Occident focalise sur l'actualité ténébreuse du monde musulman et passe sous silence la mouvance éclairée et elle est dense. »
Il est intéressant de voir quelles furent les relations entre l’auteur du fameux ouvrage « Le choc des civilisations » et l’ancien conseiller de Jimmy Carter qui est à l’origine de cette politique d’instrumentalisation de la religion à des fins géopolitiques. Lisons ce qu’écrit Nadia Weiss dans le journal en ligne suisse « Horizons et débats » : « Si l’on étudie le contexte dans lequel baigne Huntington, on y rencontre un de ses plus importants amis politiques, le grand stratège américain Zbigniew Brzezinski, auteur du « Grand échiquier ». Il est connu pour être l’instigateur de la stratégie de suprématie qui détermine la politique étrangère américaine. C’est en Eurasie que la lutte pour la suprématie mondiale doit avoir lieu. Pour cela, il faut avoir accès à des pays d’importance géostratégique comme l’Ukraine, la Turquie, l’Iran et les pays du Caucase. Aussi bien l’élargissement à l’Est de l’UE que celui de l’OTAN sont au service de cette stratégie. À lire Huntington, on a souvent l’impression de lire Brzezinski. Huntington écrit, par exemple, que le maintien de la suprématie des USA est aussi important pour le monde entier que pour les États-Unis. Le monde a toujours besoin d’une puissance hégémonique et les USA sont les seuls qui puissent jouer ce rôle, lequel est nécessaire aux intérêts de l’Amérique. Sa suprématie est essentielle au plan économique : « Actuellement, elle est disputée par le Japon et le sera probablement à l’avenir par l’Europe. »
Huntington et Brzezinski ont le même projet politique : la domination du monde par une seule puissance, celle à laquelle ils appartiennent. Ce n’est pas un hasard si Brzezinski porte aux nues le « Choc des civilisations » de Huntington : « Travail fondamental qui va révolutionner notre manière de voir la politique étrangère ». Ailleurs, il définit Huntington comme un « Machiavel démocrate ».
Samuel Huntington était un grand ami de Zbigniew Brzezinski. Du choc des idées entre deux amis est né le « choc des civilisations ».
D’ailleurs nos deux compères ne poursuivent pas seulement le même objectif, ils le font ensemble.
Ils se sont connus en 1959. Entre 1960 et 1962, ils ont écrit ensemble le livre « Political Power : USA/USSR ». En 1961 et 1962, ils ont conduit ensemble, à l’Université Columbia, des séminaires sur les politiques comparées des USA et de l’URSS qu’ils ont ensuite répétés dans différents pays. Ils ont été ensemble experts à l’American National Council of Security de Jimmy Carter. Ils ont participé ensemble à plusieurs sociétés et commissions politiquement influentes dans lesquelles ils ont parfois occupé des positions importantes. Tous les deux sont par exemple membres du Council on Foreign Relations (CFR) et de la Commission trilatérale. Ce ne sont pas là d’innocentes associations altruistes mais des cercles privés qui déterminent la politique mondiale selon leur bon plaisir, sans aucune légitimité démocratique. »
Il convient de toujours trouver un ennemi. L’intégrisme islamique est l’instrument destiné à asseoir le pouvoir des alliés des États-Unis au Moyen-Orient. En Occident, il est l’ennemi à abattre. Cette schizophrénie est aberrante. Un autre exemple de « choc » est le conflit sunnites contre chiites.
Georges Corm explique par ce conflit artificiel le danger représenté par la vacuité de cette vision du « tout blanc et du tout noir » : « Des enquêtes, publiées notamment dans The New Yorker, montrent que, suite à l’échec de l’invasion de l’Irak, les États-Unis ont décidé de provoquer des troubles entre sunnites et chiites. En créant notamment la notion de triangle chiite Iran/Syrie/Hezbollah libanais, considéré comme l’équivalent d’un « axe du mal ». C’est très loin de la complexité des réalités de terrain, qui implique les intérêts géopolitiques des régimes turc, qatari, saoudien et israélien. La politique occidentale poursuit une ligne « sunnites contre chiites » sur le plan intérieur, et une vision « monde islamique contre monde occidental » sur un plan plus large. Il s’agit d’une approche fantaisiste : tous les gouvernements des pays musulmans sont dans l’orbite des puissances occidentales à l’exception de l’Iran, qui tente de normaliser ses relations avec les États-Unis. »
Ils se sont connus en 1959. Entre 1960 et 1962, ils ont écrit ensemble le livre « Political Power : USA/USSR ». En 1961 et 1962, ils ont conduit ensemble, à l’Université Columbia, des séminaires sur les politiques comparées des USA et de l’URSS qu’ils ont ensuite répétés dans différents pays. Ils ont été ensemble experts à l’American National Council of Security de Jimmy Carter. Ils ont participé ensemble à plusieurs sociétés et commissions politiquement influentes dans lesquelles ils ont parfois occupé des positions importantes. Tous les deux sont par exemple membres du Council on Foreign Relations (CFR) et de la Commission trilatérale. Ce ne sont pas là d’innocentes associations altruistes mais des cercles privés qui déterminent la politique mondiale selon leur bon plaisir, sans aucune légitimité démocratique. »
Il convient de toujours trouver un ennemi. L’intégrisme islamique est l’instrument destiné à asseoir le pouvoir des alliés des États-Unis au Moyen-Orient. En Occident, il est l’ennemi à abattre. Cette schizophrénie est aberrante. Un autre exemple de « choc » est le conflit sunnites contre chiites.
Georges Corm explique par ce conflit artificiel le danger représenté par la vacuité de cette vision du « tout blanc et du tout noir » : « Des enquêtes, publiées notamment dans The New Yorker, montrent que, suite à l’échec de l’invasion de l’Irak, les États-Unis ont décidé de provoquer des troubles entre sunnites et chiites. En créant notamment la notion de triangle chiite Iran/Syrie/Hezbollah libanais, considéré comme l’équivalent d’un « axe du mal ». C’est très loin de la complexité des réalités de terrain, qui implique les intérêts géopolitiques des régimes turc, qatari, saoudien et israélien. La politique occidentale poursuit une ligne « sunnites contre chiites » sur le plan intérieur, et une vision « monde islamique contre monde occidental » sur un plan plus large. Il s’agit d’une approche fantaisiste : tous les gouvernements des pays musulmans sont dans l’orbite des puissances occidentales à l’exception de l’Iran, qui tente de normaliser ses relations avec les États-Unis. »
La traînée de poudre
L’instrumentalisation de la religion soutenue par les États-Unis n’eut pas seulement lieu au Levant. Elle s’est installée en Égypte via les Frères musulmans qui étaient la grande force d’opposition sous le régime d’Anouar El Sadate. Il fut assassiné par les Frères en 1982 lors d’un défilé militaire en représailles de son action pour la paix avec Israël. Le processus était lancé. L’État profond américain avait ouvert la boîte de Pandore.
En Algérie, dirigée depuis l’indépendance en 1962 par le FLN, des élections eurent lieu en 1991 et donnèrent la majorité au Front islamique du Salut qui ne fut pas acceptée par le pouvoir en place. Une atroce guerre civile s’en suivit. Elle fit des milliers de morts en Algérie et elle généra des attentats meurtriers en France.
Dans les années 1990, les attaques à Madrid et à Londres furent parmi les plus meurtrières depuis la guerre en Europe et leurs auteurs venaient de l’étranger. Les choses ont changé par après.
L’instrumentalisation de la religion soutenue par les États-Unis n’eut pas seulement lieu au Levant. Elle s’est installée en Égypte via les Frères musulmans qui étaient la grande force d’opposition sous le régime d’Anouar El Sadate. Il fut assassiné par les Frères en 1982 lors d’un défilé militaire en représailles de son action pour la paix avec Israël. Le processus était lancé. L’État profond américain avait ouvert la boîte de Pandore.
En Algérie, dirigée depuis l’indépendance en 1962 par le FLN, des élections eurent lieu en 1991 et donnèrent la majorité au Front islamique du Salut qui ne fut pas acceptée par le pouvoir en place. Une atroce guerre civile s’en suivit. Elle fit des milliers de morts en Algérie et elle généra des attentats meurtriers en France.
Dans les années 1990, les attaques à Madrid et à Londres furent parmi les plus meurtrières depuis la guerre en Europe et leurs auteurs venaient de l’étranger. Les choses ont changé par après.
Plaque commémorative en hommage aux victimes des attentats de Madrid du 11 mars 2004.
L’islam radical s’est petit à petit répandu dans les communautés musulmanes en Europe. Au début, les autorités locales n’y ont pas attaché beaucoup d’importance (voir « Uranopole », « Le cas Philippe Moureaux »http://uranopole.over-blog.com/2016/02/le-cas-philippe-moureaux.html ), mais depuis l’attentat contre Charlie Hebdo et l’hypercasher de Vincennes en janvier 2015 et surtout le massacre de Paris du 13 novembre 2015, la question est prise très au sérieux. Des mesures d’urgence et de restrictions des libertés sont prises. On se pose d’ailleurs la question de savoir si elles ne visent que les terroristes, au vu de leurs faibles résultats. L’opinion publique est inquiète et les médias ne manquent pas d’en rajouter.
À l’avant-propos de son reportage En immersion à Molenbeek, la journaliste Hind Fraihi évoquant la situation de la communauté musulmane dans notre société, écrit : « D’un côté, un multiculturalisme crispé qui, lorsqu’il ne s’agit pas tout simplement d’une marque d’humiliation, relativise n’importe quel problème concernant les immigrés en se retranchant derrière de faux scrupules. De l’autre, le racisme que chacun peut exprimer de manière anonyme en postant des tas d’insanités sur des pseudos extravagants – Daily Racism tenant le pompon dans cette sinistre spécialité. La communauté musulmane dans toute sa diversité se trouve prise en étau entre ces deux attitudes opposées. Et cette population musulmane se trouve en plus, et de façon parfois pire, écrasée par ses propres tabous, ses traditions et la politique mondiale.
C’est dans ce bourbier que l’État islamique passe à l’attaque. Après « Je suis Charlie », voilà que les profils facebook se mettent à pavoiser aux couleurs du drapeau français. C’est une charmante marque de sympathie, même si c’est de la poudre aux yeux, parce qu’en vérité nous ne sommes pas Charlie. (…) Nous avons toujours été au courant : cela fait des décennies que nous savons qu’il y a un véritable ferment de fascisme avec la signature de l’islam. (…)
Les signes avant-coureurs du radicalisme islamique n’ont pas été pris en compte. En revanche, ceux qui ont donné l’alerte, ceux-là ont été tournés en ridicule (…) Maintenant nous allons tout d’un coup faire le ménage à Molenbeek. Allons-nous le faire aussi dans notre politique étrangère ? (…) Ce qui se passe aujourd’hui dépasse de très loin les contours d’une commune bruxelloise. La radicalisation a une dimension géopolitique. » Et Madame Fraihi ajoute : « Tout le monde sait que notre allié, l’Arabie Saoudite, sous-traite une partie des armes que nous lui vendons, aux barbares islamistes. Les autorités occidentales prennent en même temps des mesures lénifiantes de déradicalisation et – pure schizophrénie – déclarent une guerre sans merci à l’EI. En fait, nous nous battons contre nous-mêmes. »
À l’avant-propos de son reportage En immersion à Molenbeek, la journaliste Hind Fraihi évoquant la situation de la communauté musulmane dans notre société, écrit : « D’un côté, un multiculturalisme crispé qui, lorsqu’il ne s’agit pas tout simplement d’une marque d’humiliation, relativise n’importe quel problème concernant les immigrés en se retranchant derrière de faux scrupules. De l’autre, le racisme que chacun peut exprimer de manière anonyme en postant des tas d’insanités sur des pseudos extravagants – Daily Racism tenant le pompon dans cette sinistre spécialité. La communauté musulmane dans toute sa diversité se trouve prise en étau entre ces deux attitudes opposées. Et cette population musulmane se trouve en plus, et de façon parfois pire, écrasée par ses propres tabous, ses traditions et la politique mondiale.
C’est dans ce bourbier que l’État islamique passe à l’attaque. Après « Je suis Charlie », voilà que les profils facebook se mettent à pavoiser aux couleurs du drapeau français. C’est une charmante marque de sympathie, même si c’est de la poudre aux yeux, parce qu’en vérité nous ne sommes pas Charlie. (…) Nous avons toujours été au courant : cela fait des décennies que nous savons qu’il y a un véritable ferment de fascisme avec la signature de l’islam. (…)
Les signes avant-coureurs du radicalisme islamique n’ont pas été pris en compte. En revanche, ceux qui ont donné l’alerte, ceux-là ont été tournés en ridicule (…) Maintenant nous allons tout d’un coup faire le ménage à Molenbeek. Allons-nous le faire aussi dans notre politique étrangère ? (…) Ce qui se passe aujourd’hui dépasse de très loin les contours d’une commune bruxelloise. La radicalisation a une dimension géopolitique. » Et Madame Fraihi ajoute : « Tout le monde sait que notre allié, l’Arabie Saoudite, sous-traite une partie des armes que nous lui vendons, aux barbares islamistes. Les autorités occidentales prennent en même temps des mesures lénifiantes de déradicalisation et – pure schizophrénie – déclarent une guerre sans merci à l’EI. En fait, nous nous battons contre nous-mêmes. »
Hind Fraihi, journaliste d'investigation au « Newsblad » a fait une enquête dans les « quartiers » à Molenbeek, infestés par les groupes djihadistes. Elle a une vision différente de celle de Philippe Moureaux.
Observons que l’EI contre lequel les Occidentaux mènent soi-disant une guerre sans merci depuis des mois, recule notoirement depuis l’intervention russe.
Il est donc évident que l’islam radical qui sévit en Europe est un instrument géopolitique de la nébuleuse islamiste du Moyen-Orient.
Il est donc évident que l’islam radical qui sévit en Europe est un instrument géopolitique de la nébuleuse islamiste du Moyen-Orient.
L’enjeu
Quels sont les enjeux de ce sanglant conflit dont on ne voit pas la fin ? Revenons à l’analyse de Georges Corm.
« Le Moyen-Orient est l’un des carrefours géopolitiques les plus importants dans le monde. C’est le principal réservoir énergétique. C’est aussi le lieu de naissance des trois monothéismes. Il est très facile d’utiliser les symboles religieux pour couvrir d’un voile les enjeux profanes purement politiques, militaires, économiques et autres désirs de puissance et d’hégémonie. Le Moyen-Orient est constitué de trois grands groupes ethniques ou nationaux : les Perses iraniens, les Turcs et les Arabes. Iraniens et Turcs ont pu hériter de structures d’empires vieilles de plusieurs siècles. En revanche, les Arabes ont été balkanisés dans diverses entités par les deux colonialismes français et anglais. »
Ajoutons cependant que la Turquie qui sombre dans l’islamisme est divisée par le conflit ethnique Turcs – Kurdes qui est exacerbé par la présence de l’EI à ses frontières. L’Iran, on en parle moins, connaît également des tensions de cet ordre.
Tout cela balaye les analyses démentielles de certains intellectuels européens et particulièrement des Français. Un Jean Birnbaum, directeur du « Monde des Livres », par exemple, reproche à la gauche de ne pas voir dans la religion une causalité. (La Libre Belgique, 27-28 février 2016).
Corm rappelle d’ailleurs une évidence : ce qu’on appelle l’Islam radical est minoritaire dans le monde musulman. « Il ne faut pas tomber dans le piège des mouvances terroristes actuelles. Elles se réclament de trois théologiens politiques musulmans : Ibn Taymiyya (1263-1328), emprisonné par le sultan pour son extrémisme religieux ; le Pakistanais Abul a’la-Maududi (1903-1979), qui a justifié la sécession sanglante des Indiens de confession musulmane ayant donné lieu à la création de « l’État des purs » (ou Pakistan) ; et le Frère musulman égyptien Sayyid Qutb (1906-1966) qui a considéré tous les régimes politiques arabes comme « hérétiques » parce que ne respectant le principe d’une souveraineté absolue de Dieu sur les hommes. Mais la théologie musulmane, vieille de plus de treize siècles, va bien au-delà de ces trois noms et les théologiens « libéraux » sont très nombreux. Je pense qu’il y a aujourd’hui une crise des monothéismes, à cause de la manipulation du religieux. »
Et le fameux wahabbisme, la doctrine adoptée par les Saoudiens, est en réalité condamné par la plupart des théologiens musulmans. « Concernant l’islam, la croyance wahhabite a été largement condamnée par la plupart des théologiens musulmans qui la considèrent beaucoup trop extrémiste. À l’origine, cette doctrine est née au XVIIIe siècle d’une simple alliance entre le prédicateur Abd al-Wahhab et la famille al Saoud aux ambitions politiques très grandes. Quand, dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’Arabie saoudite a atteint une puissance pétrolière et financière importante, le wahhabisme s’est exporté tous azimuts. »
Quels sont les enjeux de ce sanglant conflit dont on ne voit pas la fin ? Revenons à l’analyse de Georges Corm.
« Le Moyen-Orient est l’un des carrefours géopolitiques les plus importants dans le monde. C’est le principal réservoir énergétique. C’est aussi le lieu de naissance des trois monothéismes. Il est très facile d’utiliser les symboles religieux pour couvrir d’un voile les enjeux profanes purement politiques, militaires, économiques et autres désirs de puissance et d’hégémonie. Le Moyen-Orient est constitué de trois grands groupes ethniques ou nationaux : les Perses iraniens, les Turcs et les Arabes. Iraniens et Turcs ont pu hériter de structures d’empires vieilles de plusieurs siècles. En revanche, les Arabes ont été balkanisés dans diverses entités par les deux colonialismes français et anglais. »
Ajoutons cependant que la Turquie qui sombre dans l’islamisme est divisée par le conflit ethnique Turcs – Kurdes qui est exacerbé par la présence de l’EI à ses frontières. L’Iran, on en parle moins, connaît également des tensions de cet ordre.
Tout cela balaye les analyses démentielles de certains intellectuels européens et particulièrement des Français. Un Jean Birnbaum, directeur du « Monde des Livres », par exemple, reproche à la gauche de ne pas voir dans la religion une causalité. (La Libre Belgique, 27-28 février 2016).
Corm rappelle d’ailleurs une évidence : ce qu’on appelle l’Islam radical est minoritaire dans le monde musulman. « Il ne faut pas tomber dans le piège des mouvances terroristes actuelles. Elles se réclament de trois théologiens politiques musulmans : Ibn Taymiyya (1263-1328), emprisonné par le sultan pour son extrémisme religieux ; le Pakistanais Abul a’la-Maududi (1903-1979), qui a justifié la sécession sanglante des Indiens de confession musulmane ayant donné lieu à la création de « l’État des purs » (ou Pakistan) ; et le Frère musulman égyptien Sayyid Qutb (1906-1966) qui a considéré tous les régimes politiques arabes comme « hérétiques » parce que ne respectant le principe d’une souveraineté absolue de Dieu sur les hommes. Mais la théologie musulmane, vieille de plus de treize siècles, va bien au-delà de ces trois noms et les théologiens « libéraux » sont très nombreux. Je pense qu’il y a aujourd’hui une crise des monothéismes, à cause de la manipulation du religieux. »
Et le fameux wahabbisme, la doctrine adoptée par les Saoudiens, est en réalité condamné par la plupart des théologiens musulmans. « Concernant l’islam, la croyance wahhabite a été largement condamnée par la plupart des théologiens musulmans qui la considèrent beaucoup trop extrémiste. À l’origine, cette doctrine est née au XVIIIe siècle d’une simple alliance entre le prédicateur Abd al-Wahhab et la famille al Saoud aux ambitions politiques très grandes. Quand, dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’Arabie saoudite a atteint une puissance pétrolière et financière importante, le wahhabisme s’est exporté tous azimuts. »
La leçon
Enfin, Georges Corm dresse un très sévère constat sur l’attitude des intellectuels et des médias occidentaux : « Aujourd’hui, les médias et les chercheurs (…) se consacrent à l’étude des réseaux islamistes. C’est un islam abstrait, une méga-identité qui ne veut rien dire mais sert à stimuler cette idéologie du conflit des civilisations. On retrouve le même type de crispation, en ce qui concerne le judaïsme. De très nombreux citoyens européens ou américains de confession juive n’approuvent pas la politique d’Israël. Des groupes de religieux, comme Neturei Karta, ne reconnaissent même pas la légitimité de l’État israélien. Mais ils sont totalement marginalisés dans les médias et la recherche académique. Une autre manipulation de la mémoire est le passage de la notion d’Occident gréco-romain à la notion d’Occident judéo-chrétien. Ce coup d’État culturel n’a pas beaucoup de sens, car le christianisme s’est construit contre le judaïsme. Cette opération est destinée à réparer le traumatisme causé par l’Holocauste. »
Du Liban, lui aussi empêtré dans ce conflit, mais qui arrive à s’autogérer malgré la crise politique qu’il vit depuis plus d’un an avec l’impossibilité de nommer un président, Georges Corm nous donne une fameuse leçon en nous rappelant tout simplement la réalité historique. Il est de ceux qui souhaitent que son pays ne soit plus entravé par son système communautaire aujourd’hui infesté par l’influence saoudienne qui est bien plus importante que celle de l’Iran malgré ce qu’en disent les médias.
Ecoutons ces hommes d’expérience comme Georges Corm et ces femmes courageuses comme Hind Fraihi et Joumana Haddad au lieu de sombrer devant les sirènes médiatiques du « choc des civilisations ». Ils nous invitent tout simplement à penser librement.
Enfin, Georges Corm dresse un très sévère constat sur l’attitude des intellectuels et des médias occidentaux : « Aujourd’hui, les médias et les chercheurs (…) se consacrent à l’étude des réseaux islamistes. C’est un islam abstrait, une méga-identité qui ne veut rien dire mais sert à stimuler cette idéologie du conflit des civilisations. On retrouve le même type de crispation, en ce qui concerne le judaïsme. De très nombreux citoyens européens ou américains de confession juive n’approuvent pas la politique d’Israël. Des groupes de religieux, comme Neturei Karta, ne reconnaissent même pas la légitimité de l’État israélien. Mais ils sont totalement marginalisés dans les médias et la recherche académique. Une autre manipulation de la mémoire est le passage de la notion d’Occident gréco-romain à la notion d’Occident judéo-chrétien. Ce coup d’État culturel n’a pas beaucoup de sens, car le christianisme s’est construit contre le judaïsme. Cette opération est destinée à réparer le traumatisme causé par l’Holocauste. »
Du Liban, lui aussi empêtré dans ce conflit, mais qui arrive à s’autogérer malgré la crise politique qu’il vit depuis plus d’un an avec l’impossibilité de nommer un président, Georges Corm nous donne une fameuse leçon en nous rappelant tout simplement la réalité historique. Il est de ceux qui souhaitent que son pays ne soit plus entravé par son système communautaire aujourd’hui infesté par l’influence saoudienne qui est bien plus importante que celle de l’Iran malgré ce qu’en disent les médias.
Ecoutons ces hommes d’expérience comme Georges Corm et ces femmes courageuses comme Hind Fraihi et Joumana Haddad au lieu de sombrer devant les sirènes médiatiques du « choc des civilisations ». Ils nous invitent tout simplement à penser librement.
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