La fin du phosphore et la prévisible crise agricole
Pour qu'une plante sorte de terre et développe ses feuilles et ses graines, elle a besoin de nourriture : pas moins de 13 éléments nutritifs, dont trois essentiels : l'azote, le phosphore et le potassium. Pourtant, l'un d'eux pourrait bien disparaître dans les prochaines décennies. État des lieux.
Un texte de Rachel Brillant, de l'émission La semaine verte
Le phosphore est essentiel au transport de l'énergie dans les cellules, la division cellulaire et l'enracinement. Sans lui, la production agricole serait impensable sur terre.
Le phosphore sous la forme d'engrais chimique est devenu indispensable. Le phosphore à l'état naturel dans le sol est peu disponible. Il est fixé aux métaux comme le fer et l'aluminium. La plante ne peut pas s'en nourrir. Les fumiers en fournissent, mais les fermes d'élevage ne sont pas toujours proches des cultures.
Au cours des deux derniers siècles de pratiques agricoles dans le monde, les principales sources de phosphore ajouté ont beaucoup changé.
Les épandages ont d'abord été sous forme organique, comme le lisier des animaux, le guano, les excréments humains. À partir des années 1940, l'agriculture, devenue spécialisée et intensive, en est venue à dépendre du phosphore minéral.
Engrais en voie de disparition
Or, l'engrais phosphore sous forme minérale est une ressource limitée, non renouvelable. Et sa disparition est aujourd'hui annoncée.
On a plusieurs études qui ont montré que le pic était déjà atteint et que, dans les années 2040, 2050, on serait déjà en déclin avec les phosphates.
Les réserves mondiales de phosphore approchent donc de l'épuisement, bien que les scénarios diffèrent quant aux prédictions exactes.
À quand la catastrophe?
L'étude de Cordell prévoit l'épuisement des réserves mondiales de phosphates d'ici 50 à 100 ans. Une autre estimation, celle de l'United States Geological Survey (USGS) et de l'International Fertilizer Industry Association (IFA) prédit la fin d'ici 100 à 125 ans. Et le scénario plus optimiste, celui de l'International Fertilizer Development Center (IFDC) repousse la disparition du phosphore dans 300 ans.
Phosphore minéral sédimentaire
Environ 85 % du phosphore minéral des engrais agricoles est de la roche phosphatée sédimentaire. Le minerai est prélevé dans des mines à ciel ouvert. La roche phosphatée sédimentaire est constituée d'os de poissons et d'oiseaux de rivages, de coquillages et de restes d'animaux.
Avant de devenir un engrais assimilable par la plante, la roche sédimentaire doit subir un traitement chimique. L'acide sulfurique crée le phosphate connu sous la formule P2O5.
Le traitement chimique génère un volume considérable de matière résiduelle : cinq kilos de gypse pour un kilo de d'engrais commercial.
Les mines de phosphore dans le monde
Il n'existe aucune mine de roche phosphatée sédimentaire au Canada. Aux États-Unis, le cœur de l'industrie du phosphore se trouve en Floride. Les quatre mines de la principale entreprise minière Mosaic sont vieillissantes.
Considérant le volume de production actuel, il nous reste entre 30 et 40 ans de production minière de phosphate dans la région.
Les gisements rocheux sous forme sédimentaire sont rares et mal répartis. Environ 85 % des gisements sont aux mains de quelques pays :
- Le Maroc, le géant, est le premier exportateur mondial et possède plus du tiers des réserves mondiales.
- La Chine renferme le quart des réserves.
- Les autres mines importantes se trouvent aux États-Unis et en Afrique du Sud.
L'utilisation agricole abusive
L'agriculture mondiale utilise 20 millions de tonnes de cet engrais chimique par année.
Si on ne fait rien aujourd'hui, il va y arriver un certain temps où il va être trop tard.
Les mines de phosphore s'épuisent rapidement parce qu'entre autres, l'utilisation de cet engrais est abusive. Jusqu'à 80 % des épandages de phosphore s'échappent vers les cours d'eau de surface, par ruissellement. Irrécupérable.
Le phosphore perdu dans les cours d'eau contribue à l'eutrophisation, la prolifération d'algues et à la formation de cyanobactéries.
Pratiques revues et corrigées
Pour freiner les pertes d'engrais phosphatés, les agriculteurs ont commencé à adopter de nouvelles pratiques comme laisser le sol à nu le moins possible et réduire au minimum le travail de sol.
Contrairement à l'azote, le phosphore n'est pas mobile dans le sol. Si le sol est dégradé, en poussière ou compacté, il se fixe aux métaux avant même que les racines de la plante n'aient eu le temps de l'atteindre.
C'est pourquoi entre 70 % et 90 % de l'engrais phosphaté n'atteint jamais les racines des plantes.
En réduisant le travail de sol, à cause des nouveaux équilibres biologiques qui se produisent, la prolifération des micro-organismes, en particulier les champignons mycorhizes, il y a davantage un travail plus efficace du phosphore, donc ça réduit la dépendance à des apports extérieurs.
Des solutions?
Les recherches démontrent que les engrais de ferme devraient être considérés comme première source de phosphore.
En 2050, pour nourrir 10 milliards d'habitants sur terre, la production alimentaire devra augmenter de 70 %. L'agriculture pourra de moins en moins compter sur l'apport du phosphore d'origine sédimentaire.
À moins que l'industrie ne développe une autre forme de phosphore : l'apatite, qui provient des gisements de roches ignées, issus de la consolidation de la croûte terrestre. Le Bouclier canadien en contient d'immenses réserves.
Les travaux d'exploration du ministère des Ressources naturelles ont identifié plusieurs gisements au Québec. Deux projets d'extraction d'apatite ont un fort potentiel de phosphore : Lac à Paul au Saguenay-Lac-Saint-Jean et mine Arnaud à Sept-Îles.
L'engrais phosphore est emprisonné dans la roche ignée. L'Université Laval et l'entreprise Premier Tech ont démontré que les champignons mycorhizes avec l'aide des bactéries réussissent à digérer la roche, sans traitement chimique.
La première mine d'apatite au Canada, Kapuskasing en Ontario a été épuisée en 2013, après 14 ans d'exploitation. La mine de Sept-Îles aurait une durée de vie de 31 ans.
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