mardi 1 novembre 2022

 

Gaz liquéfié : l’Allemagne va générer « des émissions de CO2 sur des décennies » malgré ses ministres écologistes

TRANSITION ? 31 octobre 2022 par Rachel Knaebel  Bastamag

                                   

Pour devenir indépendante du gaz russe, l’Allemagne relance la construction de terminaux de gaz liquéfié. Les projets sont soutenus par le ministre Vert du Climat, mais vivement critiqués par les ONG écologistes.


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ÉCOLOGIE


Ils sont côte à côte au premier rang. Des représentants du ministère de l’Économie allemand, du ministère régional de l’Environnement du Nord-Ouest du pays, avec des cadres de la multinationale allemande de l’énergie RWE et de l’entreprise de navires méthaniers Hoëgh. Une poignée d’hommes en costume, tous d’accord.

Ils sont venus défendre de concert le projet de terminal flottant de gaz naturel liquéfié (GNL) qui doit entrer en fonction d’ici la fin de l’année dans la petite ville allemande de Brunsbüttel, sur l’embouchure de l’Elbe, près de la mer du Nord. Une installation similaire, de TotalEnergies, doit entrer en fonction en France, au Havre, l’année prochaine, là aussi avec l’argument de se rendre indépendant du gaz russe. La France compte déjà trois terminaux méthaniers fixes à Dunkerque, Montoir-de-Bretagne, près de Nantes, et Fos-sur-Mer.

Un nouveau terminal de gaz liquéfié doit aussi arriver au Havre

Dans la salle polyvalente de la commune allemande de 12 000 âmes, les habitants et quelques habitantes sont venus en nombre à la réunion d’information. L’audience écoute avec attention les détails techniques exposés par les uns et les autres.

« Vous avez vu, l’opposition au projet est minime », regrette Norbert Pralow, qui était là lui aussi, et l’un des seuls à poser des questions critiques. Lui n’en veut pas de ce terminal méthanier. « Pour moi, il faut sortir des énergies fossiles », résume l’ancien ingénieur en construction navale devenu activiste écologiste au sein de la branche allemande des Amis de la terre (BUND).

Importer du gaz sous forme liquéfiée est pourtant devenue une priorité pour le gouvernement allemand depuis le 24 février dernier et le début de la guerre russe contre l’Ukraine. Jusqu’à au printemps 2022, plus de la moitié du gaz allemand provenait de Russie. Depuis, l’Allemagne veut devenir indépendante du gaz russe, et cela le plus vite possible.

S’affranchir du gaz russe

Avec plus de livraisons de gaz naturel provenant de Norvège et des Pays-Bas, la part du gaz russe est tombée à environ 35 % début mai et 26 % fin juin, a annoncé le ministère allemand de l’Économie. De son côté, la Russie a réduit ses livraisons de gaz. Depuis le 1er septembre, plus aucun m3 de gaz russe ne transite par le gazoduc Nord Stream 1. Dans le même temps, le prix du gaz a explosé outre-Rhin. Pour les ménages qui se chauffent au gaz, jusqu’à un doublement des factures est annoncé.

« En important du gaz naturel liquéfié, nous nous rendons moins dépendants des importations de gaz russe. Cet objectif est impératif depuis la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine »a insisté le ministre Vert de l’Économie et du Climat, Robert Habeck, en août. Pour ce faire, il a fait adopter en juin une loi d’accélération des projets de GNL. Les autorisations sont depuis attribuées le plus rapidement possible, pour avoir le maximum de projets en fonction dès 2023.

À terme, du gaz liquéfié doit arriver dans le pays via une douzaine de nouveaux terminaux. Pour une partie, il s’agira de terminaux flottants temporaires, destinés à rester en service quelques années seulement. On les appelle des « unités de stockage et de regazéification flottantes » (FSRU), comme celle qui va prendre place au Havre.

Mais l’Allemagne prévoit aussi d’installer des terminaux de GNL terrestres, qui continueront à recevoir des importations de gaz jusque dans les années 2040, décennie durant laquelle le pays prévoit d’être indépendant des énergies fossiles. Ensuite, ces installations devraient être converties pour l’importation d’hydrogène et d’ammoniac, à leur tour utilisés pour produire de l’énergie. Voilà ce qui est prévu sur le papier. 

« Les investisseurs veulent avoir leur part du gâteau »

« Jusqu’au printemps, l’idée de terminaux GNL était morte en Allemagne, et maintenant, des projets sortent de partout ! » note Norbert Pralow. Les premiers plans pour un terminal GNL sur la mer du Nord existaient déjà dans les années 1970. Les projets ont été mis au placard, n’en ressortant à l’occasion que pour être ensuite de nouveau abandonnés.

Car le gaz russe était bon marché, moins cher que le gaz liquéfié. La guerre a tout changé. « Les investisseurs veulent avoir leur part du gâteau d’argent public qui va dans ces projets. Les entreprises y gagnent beaucoup. Il règne une atmosphère de ruée vers l’or. Et à la fin, on n’aura pas besoin d’autant de gaz », critique aujourd’hui l’activiste bénévole.


Norbert Pralow, ancien ingénieur en construction navale, activiste environnemental dans la région allemande du Schleswig-Holstein.

©Rachel Knaebel

Brunsbüttel, sur l’estuaire qui mène au port de Hambourg, doit accueillir deux projets, d’abord un site flottant puis en 2025 l’une des installations terrestres. Le terminal méthanier sera installé à quelques centaines de mètres d’une ancienne centrale nucléaire, à l’arrêt depuis 2011, mais pas encore démantelée et qui abrite toujours des déchets radioactifs. On trouve également dans le périmètre, un incinérateur de déchets, une usine chimique de polymères et une usine de la multinationale chimique norvégienne Yara, spécialisée dans les engrais. Le futur terminal terrestre de GNL sera évidemment, et avant tout, très utile à ces sites industriels.

« L’initiative des projets de GNL vient des entreprises énergétiques, et le gouvernement les suit, indépendamment de la programmation des besoins énergétiques à long terme, indépendamment de ce qui serait nécessaire pour seulement en finir avec la dépendance au gaz russe », estime Oliver Powalla, chargé des questions énergétiques à l’ONG BUND.

Les associations écologistes opposées au ministre Vert

C’est le paradoxe de cette vague de projets de terminaux de gaz liquéfié en Allemagne. Ils sont défendus par un ministre du Climat et de l’Économie issu du parti des Verts, et sont contestés, au moins dans leur ampleur, par les grandes associations environnementales du pays, et par les activistes climatiques. « Nous sommes en colère contre les Verts, surtout au regard de la vitesse avec laquelle le ministre et le groupe Vert au Bundestag ont repris la logique de l’économie fossile », nous dit Ronja Heise, responsable des questions énergétiques à l’association environnementale Robin Wood. Cette ONG s’oppose à l’ensemble des projets en cours, sites temporaires comme futures installations terrestres.

 « L’initiative des projets vient des entreprises énergétiques, et le gouvernement suit »

La branche allemande des Amis de la terre BUND ne rejette pas, de son côté, les terminaux flottants destinés à remplacer à très court terme le gaz russe. « Nous sommes prêts à accepter les projets qui contribuent à l’indépendance vis-à-vis du gaz russe, nous ne nous opposerons qu’aux projets qui sont surdimensionnés, précise le chargé de campagne Olivier Powalla. Tout ce qui résout la crise énergétique, nous le soutenons. Notre critique porte sur les terminaux terrestres qui doivent arriver en 2025-2026, et ne contribuent aucunement à l’indépendance vis-à-vis du gaz russe ni à faire face à la crise énergétique actuelle. Les autorisations d’exploitation leur ont été accordées jusqu’à 2043, c’est complètement déconnecté de la réalité. »

Un autre point de critique est l’origine du gaz. Les plus gros exportateurs, et de loin, de gaz liquéfié sont aujourd’hui les États-Unis, où le gaz de schiste provient de la fracturation hydraulique – un mode d’extraction très polluant – et le Qatar, avec qui l’Allemagne tente de signer des contrats depuis le printemps. Total vise aussi à exporter du GNL vers l’Europe depuis le Mozambique, sur la côte est de l’Afrique. « Les coûts de l’extraction du gaz sont externalisés, dénonce Ronja Heise. « Avec ces projets, on renforce la crise climatique, et ceux qui sont le plus touchés sont dans le Sud. » Comme les terribles inondations au Pakistan cet été l’ont encore une fois montré.

« Nous avons une industrie centrée sur la maximisation du profit »

En août, les activistes de Robin Wood ont avec d’autres groupes organisé une vaste action contre les énergies fossiles, dont le GNL, à Hambourg, le grand port du nord du pays. Elles et ils ont accroché sur l’immense façade du bâtiment de la Philharmonie de la ville deux larges banderoles : « Sortons du gaz maintenant » et « Combattre le capitalisme néocolonial ». « À Robin Wood, nous sommes plutôt ceux qui escaladent des façades que ceux qui discutent autour d’une table de négociations », sourit la militante.

« L'industrie du plastique est très consommatrice de gaz. Ensuite, ce plastique se retrouve à polluer les océans ! C'est là qu'il faut changer les choses »

Ronja Heise regrette que la crise climatique passe au second plan derrière la menace de manquer de gaz. « Ce n’est pas possible que des milliards d’euros d’argent public viennent encore aujourd’hui financer des infrastructures d’énergies fossiles, défend-elle. Avec les terminaux de GNL, surtout les terrestres, on va continuer à produire des émissions massives de CO2 sur des décennies, alors qu’il existe des possibilités de se rendre indépendant du gaz russe sans cela, avec des économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables. C’est là qu’il faudrait investir ces milliards. Il faudrait d’abord réaliser toutes les économies d’énergie possibles. »

Les activistes regrettent aussi le manque de transparence sur la consommation de gaz de l’industrie. « Le gouvernement allemand dit qu’on a absolument besoin des terminaux de GNL, mais il ne publie aucune donnée sur la consommation de l’industrie, critique Ronja Heise. Le débat public se concentre sur le fait qu’on devrait utiliser des gants de toilette plutôt que de se doucher pour faire des économies d’énergie. Mais la vraie question, c’est que nous avons une industrie qui est centrée sur la croissance et la maximisation du profit, qui consomme des quantités énormes de gaz. Ça, nous ne pouvons plus nous le permettre. »

 

Depuis la digue de Brunsbüttel, entre la centrale nucléaire à l’arrêt, les rangées d’éoliennes, des montagnes de charbon entreposé et le futur terminal gazier, Norbert Pralow se prend lui aussi à rêver que cette crise puisse être l’occasion d’une véritable rupture. « L’industrie du plastique allemande est très consommatrice de gaz. Ensuite, ce plastique se retrouve à polluer les océans ! C’est aussi là qu’il faut changer les choses. Avec les prix du gaz qui explosent, ce serait le moment pour que toute la population réfléchisse à une véritable transformation de l’industrie, et de la société, de notre mode de vie. » Au-delà du fait de mettre des cols roulés ou de se laver au gant de toilette.

Rachel Knaebel

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