Ne laissons pas l'État vendre le domaine de Grignon au Qatar !
TRIBUNE. Grignon, joyau du patrimoine naturel et historique français, pourrait être vendu au Qatar, qui veut en faire la résidence de prestige des joueurs du PSG.
PAR JEAN VINCENT*
Modifié le - Publié le | Le Point.fr
L'État voudrait vendre au Qatar le domaine de Grignon, temple de l'agronomie française situé à 20 kilomètres de Versailles. Que veut faire l'acquéreur de ces 300 hectares de zone naturelle entourée d'un vieux mur de pierres et comprenant, entre autres richesses, un superbe château Louis XIII et des laboratoires ultramodernes ? Le nouveau centre d'entraînement du PSG ou la résidence « de prestige » de ses joueurs ! Un scandale absolu pour Jean Vincent qui préside le collectif de défense du site. Nous publions sa tribune.
En ce début de soldes d'été, l'État aux caisses vides poursuit la vente des bijoux de famille.
L'un des principaux bénéficiaires de cette grande braderie nationale est le Qatar, qui rachète, palais après château, hôtel après bâtiment classé, les plus beaux joyaux de la République.
Après le palais Clam-Gallas, le splendide Institut culturel français de Vienne, cédé à l'Émirat, sans le moindre appel d'offres, c'est aujourd'hui le domaine de Grignon, berceau de l'agronomie française, qui est menacé d'être abandonné aux Qataris, dans l'opacité la plus complète.
Depuis plusieurs mois, c'était le club de football du Paris Saint-Germain (PSG), propriété du fonds d'investissement Qatar Investment Authority, qui regardait avec les yeux de Chimène ce merveilleux domaine naturel de 300 hectares, aux portes de Paris, pour y construire un gigantesque « centre d'entraînement » et un « centre de formation » destiné à rivaliser avec ses grands concurrents européens. À l'étroit dans son « Camp des Loges » de Saint-Germain-en-Laye, le club et ses propriétaires envisageaient de prendre leurs aises à l'ombre du château Louis XIII, édifié en 1636 par le marquis de Grignon, et de semer sur les vertes prairies du domaine des terrains de football, du bitume et du béton…
Faire de ce haut lieu d’histoire et de science un palace privé pour stars du ballon rond serait un scandale écologique et patrimonial
Face à la grave menace que faisait peser un tel projet sur ce site exceptionnel, leCollectif pour le futur du site de Grignon a mobilisé une forte opposition et lancé un appel solennel aux défenseurs du patrimoine et de l'environnement afin de sauver ce joyau. L'appel pourrait avoir été entendu puisque, selon les dernières rumeurs qui bruissent derrière les portes capitonnées des palais officiels, le PSG aurait finalement choisi d'aller construire son centre en des endroits moins sacrilèges, à Poissy, ou à Saint-Germain.
Mais, sorti par la porte de Grignon, le Qatar voudrait maintenant y rentrer par la fenêtre ! Il ne s'agirait plus pour lui d'installer le centre d'entraînement et de formation de son club de football mais d'en faire la résidence « de prestige » de ses champions, le lieu « royal » où ceux-ci pourraient venir savourer le repos du guerrier ou fêter, le cas échéant, leurs victoires européennes ...
Ce projet, le collectif entend le combattre avec la même détermination que le précédent. Car Grignon n'est pas davantage un vague lopin de terre à bâtir pour terrains de football qu'un lotissement pour bains à bulles et discothèque bucolique. Faire de ce haut lieu d'histoire et de science un palace privé pour stars du ballon rond serait un scandale écologique et patrimonial tout aussi grave que de le transformer en stade géant.
Berceau de l'agronomie française et site naturel à protéger, Grignon est un trésor patrimonial aux richesses infinies.
- Patrimoine architectural et paysager avec son majestueux château inscrit à l'inventaire des monuments historiques, sa halle Polonceau à la charpente spectaculaire, son parc inscrit sur la liste des monuments historiques et répertorié comme « Jardin remarquable »
- Patrimoine naturel avec sa rivière, ses champs et ses bois, ses trésors botaniques, ornithologiques et entomologiques faisant du site classé en ZNIEFF ((zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique), un lieu de biodiversité aux écosystèmes variés, abritant pas moins de 125 variétés d'arbres dans son arboretum, et dont l'inventaire de sa faune fait du lieu une arche de Noé dans un jardin d'Eden : plus de 54 espèces d'oiseaux y côtoient plusieurs espèces protégées, parmi lesquelles l'écureuil roux, la musaraigne couronnée et le grillon d'Italie, sans oublier tous les lapins de garenne, chevreuils, sangliers, bécasses, faisans, pigeons ramier où canards colvert dont Grignon est le territoire.
- Patrimoine géologique avec plus de 15 hectares de faluns et de carrières, parmi lesquels la fameuse Falunière aux 800 espèces de mollusques fossiles, véritable « hotspot » de la biodiversité à l'intérêt paléontologique et géologique unique dans le monde.
- Patrimoine scientifique avec ses terres d'expérimentation, notamment ses célèbres parcelles Deherain, sa riche bibliothèque, ses laboratoires de recherche, son superbe amphithéâtre, et son Musée du Vivant, premier musée international sur l'écologie et le développement durable.
- Patrimoine mémoriel enfin, avec ses monuments aux morts, ses stèles et ses plaques à la mémoire des enseignants, personnels et élèves tombés au champ d'honneur de la guerre ou de la Résistance
Et c'est à cet endroit que le Qatar voudrait implanter le « Relais et Châteaux » de son club de football ?
Grignon livré au Qatar ne sera plus Grignon. Il deviendra le champ clos du bon plaisir de son nouveau propriétaire
Avant de le transformer à sa guise, comme il le fait toujours partout où il s'installe, et où, comme par enchantement, s'évaporent les contraintes administratives.
Comme à Paris, avec l'hôtel Lambert (exact contemporain du château de Grignon) ou à Mouans-Sartoux … Dans cette commune des Alpes-Maritimes où le Qatar possède un parc de 32 hectares comportant 7 villas, l'hebdomadaire Marianne ne vient-il pas de nous apprendre que l'influent propriétaire a pu, sans difficulté, construire des courts de tennis, des piscines, un héliport, sans que les règles d'urbanisme ne le perturbe excessivement … Il a en effet eu la chance de bénéficier de « menues concessions » de la mairie qui a « délivré à ses prestigieux résidents un permis de construire les autorisant à bâtir un immense complexe sportif sur une parcelle jusque-là inconstructible » … La même mairie qui, nous apprend égalementMarianne, « gentiment cédé pour 1 € symbolique la portion d'un chemin communal qui traversait malencontreusement le terrain des Al-Thani, séparant la partie sud du reste de la propriété. » …
On mesure ici ce que représentent, face au bon vouloir des Qataris, la notion d'inconstructibilité ou celle de « protections qui s'imposent en matière des sites et de patrimoine », brandie, la main sur le cœur, au mois de mars, par le grand orchestrateur de la vente de Grignon le préfet de région Carenco !
Il est donc indispensable de le dire et de l'écrire solennellement : Grignon livré au Qatar ne sera plus Grignon. Il deviendra le champ clos du bon plaisir de son nouveau propriétaire, et les pouvoirs publics s'inclineront devant celui-ci. Si le Qatar veut construire, il construira. S'il veut raser, il rasera. Si tel chemin lui plaît, on le lui offrira.
Voilà pourquoi Grignon, site unique, patrimoine exceptionnel, ne doit pas être vendu au Qatar. Voilà pourquoi tous les amoureux du patrimoine et de l'environnement doivent se lever pour dire leur refus de voir ce domaine sacrifié et détourné de sa vocation : celle de la science et de la préservation de l'environnement.
Il est encore possible d'empêcher ce scandale absolu que serait la profanation d'un joyau de notre patrimoine national, dédié depuis bientôt 200 ans à la nature, à la science, à la culture et à la mémoire.
Jean-Vincent est ancien professeur émérite de sociologie à AgroParisTech (ex-Institut national agronomique Paris-Grignon) et président du Collectif pour le futur du site de Grignon
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire