mercredi 27 février 2019

Guerres économiques : les armes financières et bancaires des USA

Par Whitney Webb
Paru sur MintPress News sous le titre WikiLeaks Tweets Army Manual Detailing How US Weaponized Banking Cartel to Take Down Nations

Dans un manuel militaire fuité sur la « guerre non conventionnelle » récemment signalé par WikiLeaks, l’armée américaine affirme que les grandes institutions financières mondiales — telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – sont utilisées comme « armes financières non conventionnelles en temps de conflit, y compris s’il se produisait une guerre générale à grande échelle », ainsi que pour faire pression sur « les politiques et la coopération des États ».
Le document, officiellement intitulé « Field Manual (FM) 3-05.130, Army Special Operations Forces Unconventional Warfare » et rédigé à l’origine en septembre 2008, a été récemment posté par WikiLeaks sur Twitter, à la lumière des récents événements au Venezuela, ainsi que du siège économique de ce pays mené depuis des années par les États-Unis à travers des sanctions et d’autres formes de de guerre économique. Bien que le document ait suscité un nouvel intérêt ces derniers jours, il avait été publié à l’origine par WikiLeaks en décembre 2008 et a été décrit comme le « manuel de changement de régime » de l’armée américaine.
(Wikileaks : « Que se passe-t-il au Venezuela ? La publication par @Wikileaks du manuel de coups d’Etat FM3-05.130, Unconventional Warfare [UW], donne des pistes
DOS = Département d’Etat
IC = Communauté du renseignement
UWOA = Zone d’opération de la guerre non conventionnelle
ARSOF = Forces des opérations spéciales de l’armée des USA » https://file.wikileaks.org/file/us-fm3-05-130.pdf)
Les récents tweets de WikiLeaks sur le sujet ont attiré l’attention sur une section du document de 248 pages intitulée « Financial Instrument of U.S. National Power and Unconventional Warfare » [« Instrument financier de la puissance nationale US et de la guerre non conventionnelle »]. Cette section note en particulier que le gouvernement des États-Unis exerce « un pouvoir financier unilatéral et indirect à travers une influence persuasive sur les institutions financières internationales et nationales en pesant sur la disponibilité et les conditions de prêts, de subventions ou d’autres formes d’aide financière aux acteurs étatiques et non étatiques étrangers » et désigne expressément la Banque mondiale, le FMI et l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), de même que la Banque des règlements internationaux (BRI), en tant que « véhicules diplomatiques et financiers pour atteindre » ces buts.
Le manuel traite également de la « manipulation par l’État de l’impôt et des taux d’intérêt » ainsi que d’autres « mesures juridiques et bureaucratiques » visant à « ouvrir, modifier ou fermer des flux financiers » et précise en outre que l’Office of Foreign Assets Control (OFAC, bureau de contrôle des actifs étrangers) du Trésor américain – qui supervise les sanctions américaines contre d’autres pays, comme le Venezuela – « a une longue expérience de guerre économique précieuse pour toute campagne d’opérations de forces spéciales militaires de guerre non conventionelle ».
Cette section du manuel note ensuite que ces armes financières peuvent être utilisées par l’armée américaine pour créer « des incitations ou des dissuasions financières afin de persuader les adversaires ou les alliés de modifier leur comportement aux niveaux stratégique, opérationnel et tactique » et que ces campagnes de guerre non conventionnelles sont hautement coordonnées avec le Département d’État et la communauté du renseignement des USA pour déterminer « quels éléments du terrain humain de la zone des opérations militaires non conventionnelles (Unconventional Warfare Operations Area, UWOA) sont les plus susceptibles de céder à des pressions financières ».
Le rôle de ces institutions financières internationales « indépendantes » en tant qu’appendices du pouvoir impérial américain est développé ailleurs dans le manuel, et plusieurs de ces institutions sont décrites en détail dans une annexe du manuel intitulée « L’instrument financier du pouvoir national ». Notamment, la Banque mondiale et le FMI sont listés à la fois comme des instruments financiers et diplomatiques du pouvoir national américain, ainsi que comme partie intégrante de ce que le manuel appelle le « système actuel de gouvernance mondiale ».
De plus, le manuel stipule que l’armée américaine « comprend que la manipulation correctement intégrée du pouvoir économique peut et doit être une composante de la guerre non conventionnelle », ce qui signifie que ces armes sont largement employées dans les campagnes de guerre non conventionnelles menées par les États-Unis.
Un autre point intéressant est que ces armes financières sont en grande partie régies par le Conseil de sécurité nationale (National Security Council, NCS), qui est actuellement dirigé par John Bolton. Le document note que le NCS « a la responsabilité première de l’application des instruments économiques et militaires de la puissance nationale américaine à l’étranger ».

« Indépendants » mais contrôlés

Bien que le manuel de guerre non conventionnel se distingue par le fait qu’il affirme aussi ouvertement que les institutions financières censément « indépendantes » comme la Banque mondiale et le FMI sont essentiellement des appendices du pouvoir du gouvernement américain, les analystes notent depuis des décennies que ces institutions soutiennent systématiquement les objectifs géopolitiques des États-Unis à l’étranger.
Et en effet, le mythe de « l’indépendance » de la Banque mondiale et du FMI s’effrite rapidement à la simple observation de la structure et du financement de ces institutions. Dans le cas de la Banque mondiale, l’institution est située à Washington et le président de l’organisation a toujours été un citoyen américain choisi directement par le président des États-Unis. Dans toute l’histoire de la Banque mondiale, le Conseil des gouverneurs de l’institution n’a jamais rejeté le choix de Washington.
Le 5 février dernier, le président Donald Trump a nommé David Malpass, ancien économiste de Bear Stearns, à la tête de la Banque mondiale. Malpass est connu pour n’avoir pas su prédire la faillite de son ancien employeur, Bear Stearns, lors de la crise financière de 2008 et est susceptible de limiter les prêts de la Banque mondiale à la Chine et à ses pays alliés ou en passe de s’allier avec elle, étant donné sa réputation bien établie de faucon sinophobe.
En plus de choisir son président, les États-Unis sont aussi le principal actionnaire de la banque, ce qui en fait le seul pays membre à avoir un droit de veto. En effet, comme le note le manuel de guerre non conventionnel fuité, les États-Unis peuvent bloquer tout changement majeur de la politique de la Banque mondiale ou des services qu’elle offre, « car les décisions majeures exigent une super-majorité de 85% des voix ». De plus, le secrétaire américain au Trésor, l’ancien banquier de Goldman Sachs et « roi de la forclusion » Steve Mnuchin, fait office de gouverneur de la Banque mondiale.
Bien que le FMI diffère de la Banque mondiale à plusieurs égards, notamment en ce qui concerne sa mission et ses objectifs déclarés, il est lui aussi largement dominé par l’influence et les financements du gouvernement américain. Par exemple, le FMI est également basé à Washington et les États-Unis sont le plus important actionnaire de la société — de loin le plus important, détenant 17,46 % de l’institution. Ils paient également la plus grande quote-part pour l’entretien de l’institution, soit 164 milliards de dollars d’engagements financiers du FMI par an. Bien que les États-Unis ne choisissent pas le dirigeant du FMI, ils se servent de leur position privilégiée en tant que principal bailleur de fonds de l’institution pour contrôler la politique du FMI en menaçant de suspendre leurs financements si l’institution ne se conforme pas aux exigences de Washington.
En conséquence de l’influence des États-Unis sur le comportement de ces institutions, elles ont utilisé leurs prêts et subventions pour « piéger » des nations dans des dettes, et ont imposé à ces pays des programmes « d’ajustement structurel » qui ont entraîné de l’austérité, des privatisations massives d’actifs publics et des dérégulations profitables aux entreprises étrangères, au détriment des économies locales. Souvent, ces mêmes institutions — en faisant pression sur des pays pour qu’ils dérégulent leur secteur financier et à travers la corruption de leurs relations avec des acteurs étatiques — sont à l’origine des problèmes économiques qu’elles s’emploient ensuite à « résoudre ».

Guaidó fait appel au FMI

Compte tenu des relations étroites entre le gouvernement américain et ces institutions financières internationales, il n’est guère surprenant qu’au Venezuela, le « président par intérim » Juan Guaidó, soutenu par les États-Unis, ait déjà demandé des fonds du FMI pour financer son gouvernement parallèle [Lien en français, NdT].
C’est très important parce que cela montre que le principal objectif de Guaidó, en plus de privatiser les énormes réserves pétrolières du Venezuela, est de remettre à nouveau le pays entre les mains de la machine à créer de la dette contrôlée par les États-Unis.
Comme l’a récemment noté le site d’investigations journalistiques de pointe The Grayzone Project[lien en français, NdT] :
L’ancien président socialiste élu du Venezuela, Hugo Chávez, avait rompu les liens avec le FMI et la Banque mondiale, qu’il avait qualifiés de « dominés par l’impérialisme américain ». En réponse, le Venezuela et d’autres gouvernements de gauche en Amérique latine ont travaillé ensemble pour cofonder la Banque du Sud, en contrepoids au FMI et à la Banque mondiale. »
Cependant, le Venezuela est loin d’être le seul pays d’Amérique latine à être visé par ces armes financières déguisées en institutions financières « indépendantes ». Par exemple, l’Équateur — dont l’actuel président a cherché à s’attirer les bonnes grâces de Washington — est allé jusqu’à effectuer un « audit » de l’asile qu’il accorde au journaliste et éditeur de WikiLeaks, Julian Assange, afin de s’assurer d’un plan de sauvetage de 10 milliards de dollars du FMI. L’Équateur a accordé l’asile à Assange en 2012 et les États-Unis demandent avec ferveur son extradition pour des charges non spécifiées depuis lors.
De plus, en juillet dernier, les États-Unis ont menacé l’Équateur de « mesures commerciales punitives » s’ils introduisaient à l’ONU une mesure visant à soutenir l’allaitement maternel plutôt que les laits maternisés, ce qui a stupéfié la communauté internationale, mais a illustré la facilité avec laquelle le gouvernement américain recourt à des « armes économiques » contre les nations latino-américaines.
Outre l’Équateur, d’autres cibles récentes de la « guerre » massive du FMI et de la Banque mondiale comprennent l’Argentine, qui a reçu le plus important renflouement de l’histoire du FMI l’an dernier [50 milliards de dollars, NdT]. Ce programme de prêts a été, sans surprise, fortement soutenu par les États-Unis, selon une déclaration du Secrétaire au Trésor Mnuchin publiée l’an dernier. A noter, le FMI avait joué un rôle déterminant dans l’effondrement complet de l’économie argentine en 2001, ce qui est de mauvais augure quant aux futurs effets de ses prêts-record de l’an dernier.
Bien qu’il ait été publié il y a plus d’une décennie, ce « manuel du coup d’État américain » récemment mis en lumière par WikiLeaks nous rappelle que la prétendue « indépendance » de ces institutions financières est une illusion et qu’elles font partie des nombreuses « armes financières » régulièrement utilisées par le gouvernement américain pour soumettre des pays à sa volonté, et même renverser les gouvernements désapprouvés par les États-Unis.
Traduction Entelekheia
Image Pixabay

Aucun commentaire: