- Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher)
L’agriculture raisonnée, oui. L’agriculture biologique, non. Certains sont résignés : « De toute façon, il va falloir s’y faire. On ne va plus être chef de notre exploitation. Ils interdisent de plus en plus de produits », dit Jules, qui est en bac pro au lycée agricole de Montoire-sur-le-Loir, dans le nord du Loir-et-Cher. D’autres ne sont pas aussi catégoriques : « Passer totalement en bio, ça va être compliqué. Il faut que les techniques évoluent pour trouver les produits qui ne polluent pas, mais qui seront aussi efficaces », juge Evan, 16 ans, en CAP. Quant à Antoine, 17 ans, il est hésitant : « Les produits bio sont achetés plus cher, mais est-ce que l’agriculteur y gagne ? Parce que sur sa culture, au lieu d’avoir 80 % de réussite, il va peut-être n’avoir que 30 % et on ne sait pas à quel prix ça va être acheté. » Et puis, « le travail est plus compliqué, il y a davantage de réglementations à respecter », assure Alexis, 16 ans, également en CAP.
Au cœur des débats, le rendement donc, moindre qu’en conventionnel. Et la réglementation. Dans l’esprit des futurs agriculteurs, agriculture biologique signifie forcément cahier des charges techniques. Certes, « on nous dit que c’est mieux pour la santé », dit Jessica, 16 ans. Oui, la rejoint Evan, « on voit que les animaux reviennent dans la plaine parce qu’il y a moins de produits ». Mais quant à s’installer en agriculture biologique, c’est une autre histoire.
- Élodie, étudiante en première année de BTS au lycée agricole, à la ferme de Villavard.
Au lycée agricole de Montoire-sur-le-Loir, où 70 % des élèves sont issus du milieu agricole, faire changer les mentalités est une gageure. Pourtant, le lycée a fait de l’enseignement biologique « un vrai choix politique », dit la proviseure, Gwenaëlle Lepage. « Les jeunes ont des a priori très négatifs ou très positifs sur le bio. À travers leur jeunesse, ils sont le reflet de la société. Mais leur avis est souvent lié à un vécu familial : quand ils viennent d’un système conventionnel, c’est difficile de les éveiller aux autres systèmes de production. Notre rôle est justement de mettre tout ça en débat, de semer des envies pour plus tard, quand ils y reviendront. » Loin de faire du prosélytisme, le lycée se contente de faire constater par l’expérience.
« Leur dire que, dans un potager, on n’a pas besoin de produits dangereux »
La ferme d’application de Villavard, spécialisée dans l’élevage ovin, est à ce titre emblématique. En 2015, elle a été achetée par la région Centre-Val de Loire pour en faire un lieu d’apprentissage de l’agriculture biologique. En conversion depuis trois ans, 80 % des terres sont certifiées bio depuis octobre 2017. Les 20 % restants le seront en novembre 2018. « C’était une volonté forte de faire entrer un atelier biologique dans le cursus des élèves pour montrer la diversité des modèles »,explique Florent Bouillon, son directeur. Complémentaire de l’autre ferme d’application du lycée, menée en agriculture raisonnée, elle permet d’aborder un système biologique fondé sur la recherche d’autonomie alimentaire animale de manière globale. « On ne vient pas ici parce que c’est une ferme bio, mais parce que c’est ici que sont les moutons. Ça permet de parler d’agriculture biologique », explique Adrien Plouchard, professeur de zootechnie. Les méthodes de soin apportées en agriculture biologique, la réglementation bio, le bien-être animal, le soin par l’analyse et l’observation sont au programme de son cours, sans que les élèves ne soient rebutés. Sur le plan des cultures, « la ferme de Villavard est un support extraordinaire qui permet aux jeunes de comprendre l’importance de l’agronomie et de passer de la théorie à la pratique », poursuit Gwenaëlle Lepage.
- Jimmy, étudiant en première année de BTS au lycée agricole, effectue une semaine de stage à la ferme d’application biologique de Villavard.
Composée de jeunes enseignants pas tous issus du milieu agricole, l’équipe pédagogique du lycée de Montoire est globalement acquise à la cause biologique et les regards des uns et des autres se complètent. Ainsi, Vincent Delaunay, fils d’agriculteur conventionnel, paysagiste et professeur en agroéquipement, a-t-il eu carte blanche pour mettre en place, à la rentrée 2017, avec ses collègues d’agronomie Jade Baudin et Cerise Chartreux, un potager en permaculture pour ses élèves de 3esur une parcelle disponible derrière les bâtiments du lycée. « L’objectif est de sensibiliser des élèves dont les parents ont étudié ici et qui ont appris à épandre des produits phytosanitaires, et de leur dire que, dans un potager, on n’a pas besoin de produits dangereux. »
« Un conventionnel, il traite et c’est réglé. Le bio, il faut s’y connaître »
À partir de ressources médiatiques, Vincent Delaunay sensibilise aux risques des produits phytosanitaires sur la santé et l’environnement et recommande la coccinelle contre les pucerons plutôt que le pesticide. Des hôtels à insectes, fabriqués par les élèves de 4e, sont d’ailleurs disposés le long de la parcelle. Ici, il n’est pas question de « mauvaises herbes », mais d’adventices. Les élèves épandent du fumier issu de la ferme d’application de Villavard et ils apprennent comment mixer les plantes naturelles dites « compagnes » pour parvenir à un équilibre plutôt qu’en utilisant moult produits chimiques. « Bien sûr, concède l’enseignant, on ne peut pas comparer une parcelle de 300 m² avec 100 ou 200 ha. Simplement, il s’agit de leur expliquer qu’on peut produire des bonnes choses de qualité sans produit chimique et les vendre beaucoup plus cher. Ma mission est de leur faire comprendre que, dans trois ans, ils seront des techniciens et qu’en tant que référents, ils devront faire attention et réfléchir. Je leur dis d’oublier les méthodes ancestrales qui consistent à pulvériser tout le champ. »
- Florent Bouillon, directeur de la ferme de Villavard.
Si, comme le remarque Florent Bouillon, les élèves restent obnubilés par la notion de rendement et le matériel technologique, le message commence à passer. Pour illustration : Killian Coussi. À 18 ans, son bac pro obtenu au lycée de Montoire en poche, le jeune homme s’est fait embaucher à la ferme de Villavard. Au départ peu convaincu par l’agriculture biologique, il avait postulé, dit-il, pour enrichir son CV et pour gagner en technicité, parce que, affirmait-il alors sans ambages : « Un conventionnel, il traite et c’est réglé. Le bio, il faut s’y connaître. » Après trois ans d’alternance chez un patron en conventionnel, le jeune ouvrier agricole était plus que dubitatif, à son arrivée à la ferme, sur le fait de n’utiliser aucun produit phytosanitaire. Quelques mois plus tard, alors qu’il a signé son CDI à Villavard en janvier, il admet : « Je m’aperçois en définitive qu’on peut vivre de l’agriculture biologique. Il faut adopter ses techniques. C’est beaucoup plus pointu. Le changement par rapport à l’agriculture conventionnelle, c’est le rendement et le prix à la tonne, qui est plus élevé. Économiquement, j’ai comparé avec mon ancien patron, et sur les céréales, on s’y retrouve. Après, il faut savoir ce qu’on veut faire, c’est tout. »
Visionner le diaporama de notre reportage photographique
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Les élèves de CAP viennent réaliser des travaux pratiques à la ferme de Villavard.
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