par Jérôme Blanchet-Gravel
Les ours polaires sont-ils en voie d’extinction dans le Grand Nord canadien? Les scientifiques en sont convaincus. Pourtant, des Autochtones estiment que le nombre d’ours blancs a augmenté dans le Nunavut, vaste territoire nordique. Les ours polaires pourraient même compromettre la sécurité de communautés inuites. Sputnik fait le point.
Un grand consensus scientifique vient d’être brisé, et c’est exceptionnel. L’histoire se déroule au Canada. Selon des représentants des peuples inuits du Nunavut, le nombre d’ours polaires aurait augmenté sur leur territoire, contredisant les résultats de nombreuses études menées par des spécialistes. Certains ours polaires ne souffriraient donc pas tant que cela des changements climatiques, un constat qui n’a pas manqué de surprendre.
Les Inuits habitent l’Arctique nord-américain, du détroit de Béring au Groenland, un territoire qui s’étend sur environ 6.000 kilomètres. Ils sont répartis en Alaska (États-Unis), au Canada et au Groenland. Autrefois appelés «Eskimos», ils ont aussi de proches parents en Russie. Au Canada, la grande majorité des Inuits habitent le Nunavut, le territoire le plus au nord. C’est sur ce territoire que le nombre d’ours polaires aurait augmenté, ce qui menacerait même la sécurité de certaines communautés.

Les ours blancs plus nombreux au Nunavut?

C’est du moins ce qu’affirme un document préparé par le gouvernement du Nunavut. Ce plan gouvernemental, qui a récemment fait l’objet d’audiences publiques, met en garde contre le danger que représenterait la croissance des populations d’ours blancs. Il faut savoir que deux Inuits ont été tués par des ours polaires durant l’été 2018. Le gouvernement de ce territoire, situé à Iqaluit, craint donc que d’autres personnes soient tuées dès les prochains mois.
«Les Inuits croient qu’il y a maintenant tellement d’ours que la sécurité publique est devenue une préoccupation majeure. […] Les préoccupations en matière de sécurité publique, combinées aux effets des ours polaires sur d’autres espèces, suggèrent que dans de nombreuses communautés du Nunavut, l’ours blanc pourrait avoir dépassé le seuil de coexistence», peut-on lire dans le document.
En plus de briser le consensus sur une question fort importante, le document suggère aussi aux acteurs politiques de prendre en compte les connaissances des Inuits avant d’élaborer des politiques publiques. Un savoir autochtone qui mènerait souvent à des conclusions différentes de celles tirées par les scientifiques.
Par exemple, sur les 13 populations d’ours polaires concernées, les Inuits estiment que 9 sont en croissance, alors que les scientifiques estiment qu’une seule a augmenté. De plus, si l’agence publique Environnement Canada conclut que 4 populations sur 13 ont diminué, les Inuits ne concluent qu’aucune n’est en décroissance. Qui dit vrai?
«Les effets des changements climatiques, la dégradation de l’état physique des ours et les projections de déclin de la population, aucun déclin n’a été attribué aux changements climatiques. Le savoir inuit reconnaît que les ours polaires sont exposés aux effets des changements climatiques, mais suggère qu’ils sont adaptables.»
Depuis quelques années, des organismes inuits dénoncent aussi le fait que l’ours polaire soit utilisé comme symbole de la cause environnementale. C’est le cas de l’organisme Nunavut Tunngavik, qui veille au respect des droits des habitants du Nunavut. En effet, de plus en plus de photos d’ours polaires mal alimentés circulent dans les médias et les réseaux sociaux pour sensibiliser les gens au réchauffement planétaire. En mars 2017, les images d’un ours blanc à l’agonie avaient fait le tour du monde.

Selon l’organisme Nunavut Tunngavik, les ours polaires sont instrumentalisés par certains groupes écologistes, notamment pour justifier la réduction des quotas de chasse et de pêche sur les territoires inuits. Une situation jugée injuste. Depuis toujours, les Inuits pêchent et chassent sur leur territoire, une pratique qu’ils disent essentielle au maintien de leur mode de vie.
«Il ne s’agit pas de changement climatique. Il s’agit de la manière dont les ours polaires ont été utilisés pour attirer l’attention sur le changement climatique. Aucun changement n’a été apporté pour réduire les causes ou l’impact du changement climatique, mais des modifications ont été apportées aux quotas de récolte [pour la chasse et la pêche]», avait déclaré en 2012 le vice-président de Nunavut Tunngavik, James Eetoolook, par voie de communiqué.
Précisons que le deux tiers de tous les ours polaires de la planète se trouvent sur le territoire canadien. Au Canada, des lois assurent la protection de cette espèce, considérée comme l’une des plus menacées au monde. En 1973, le Canada a ratifié l’Accord sur la conservation des ours blancs, lequel a aussi été signé par les États-Unis, le Groenland, la Norvège et la Russie. En 2001, l’ours polaire a été désigné comme une «espèce préoccupante» en vertu de la Loi canadienne sur les espèces en voie d’extinction.