lundi 22 juillet 2019



( Témoignage sur le changement climatique d’une vigneronne dans le midi de la France)

Canicule

L’Ire des Chênaies, radio Zinzine Info, N°777-10 juillet 2019

Le coup de chalumeau dans les vignes du midi n’est pas une calamité agricole.
Je suis vigneronne.
Je n’écris pas en qualité de vigneronne.
Je n’écris pas non plus en qualité de vigneronne victime d’une calamité agricole, d’une catastrophe naturelle ou d’un accident climatique. Ce qui s’est produit dans les vignes du Gard et de l’Hérault vendredi 29 juin, est d’une autre nature, d’un tout autre ordre ou plus exactement d’un tout autre désordre.
J’écris en qualité de témoin du changement climatique à l’oeuvre, qui est en fait un bouleversement qui ne concerne pas ici des vignerons, là, des arboriculteurs, hier des pêcheurs, demain des parisiens asphyxiés, mais bien tous, citadins ou ruraux, habitants sud, comme du mort, de l’ouest, ou de l’est.
J’écris en qualité d’hôte de la terre. Nous sommes chacun, individuellement, interdépendants les uns des autres.
J’étais vendredi nation dans les vignes pour faire un tour d’inspection des troupes et ramasser des abricots dans la haie de fruitiers que j’ai planté en 2010 entre les terres et le cinsault. 
Il faisait déjà très chaud. Je ne sais pas combien, je ne veux pas ouvrir le livre des records.
Je me suis rentrée au frais, et je me suis plongée dans la lecture d’un livre passionnant, « La vigne et ses plantes compagnes » de Léa et Yves Darricau. 
J’ai repoussé la plantation de 30 ares de vignes à l’origine programmée pour cette année à plus tard, à quand, je saurais comment et quoi planter. 
A 18 heures, Laurent, mon voisin de vignes avec qui je fais de l’entreaide, m’appelle.
- Là-haut à Pioch Long, les syrah sont brûlées.
- Comment ça brûlées ?
- Oui, brûlées, les feules, les raison, comme si, on les avait passés au chalumeau.
J’ai pris ma voiture, et je suis allé dans les vignes. Quand, j’a vu à la Carbonelle, les grenaches, feuilles et grappes brûlées, grillées, par zones, sur les pentes du coteau exposé sud-ouest. Je n’ai pas pensé à la perte de la récolte. J’ai vu que certaines étaient mortes, que d’autres ne survivraient pas. Il faisait encore très, très chaud et j’ai été parcouru de frissons. La pensée m’a traversé que c’était là l’annonce de la fin de l’ère climatique que nous connaissons, la manifestation de la limite de l’hospitalité de la terre. Puis, je suis passée sur le plateau de Saint-Christol, là où depuis le XIIème siècle l’homme a planté des vignes pour qu’elles bénéficient pleinement des bienfaits du soleil et du vent.
Et, là, à droite, à gauche, j’ai vu des parcelles de vignes brûlées, grillées dans leur quasi totalité.
Il y aura des voix, celles des porte-paroles des vignerons, chambre d’agriculture, représentants des AOC et c’est leur rôle, pour évaluer les pertes de récolte la mortalité des ceps, et demander des indemnisations.
I y aura des voix invalidantes de la culpabilité, celle des gestes que l’on a fait dans la vigne les jours précédents et que l’on n’aurait peut-être pas dû faire. Et, si, j’avais su…….à ceux-là, je réponds, les si n’aiment pas les mais.
Il y aura des voix pour dire qu’à cela ne tienne, on va généraliser l’irrigation, et si cela ne suffit pas, eh bien, on plantera des vignes plus haut dans le nord, ailleurs. Peut-être même y en aura-t-il pour s’en réjouir. A ceux-là, je réponds qu’ils sont au mieux des autruches, au pire des cyniques absolus et immoraux, dans les deux cas des abrutis aveugles.
Ce qui s’est produit ce vendredi 29 juin dans les vignes du midi est un avertissement, un carton rouge. Ce n’est pas seulement les conséquences d’un phénomène caniculaire isolé doublé d’un vent brûlant, mais, la résultante de trois années successives de stress hydrique causé par des chaleurs intenses et de longues périodes de sécheresse qui, année par année, comme nous prenons chaque année des rides , ont affaibli les vignes, touchant ce vendredi 29 juin, celles qui étaient plantées dans ce qui était jusqu’alors considéré comme les meilleurs terroirs. C’est aussi la résultante d’une demi-siècle de pratiques anagronomiques.
La Carbonelle est plantée de vignes depuis 1578. C’est un mamelon en forme de parallélogramme bien exposé aux vent et soleil. Ce qui s’est passé le 29 juin dit que l’ordre des choses est littéralement inversé. Le vent et le soleil ne sont plus les alliés de l’homme.
La solution de l’irrigation est la prolongation d’un défi prométhéen. On se souviendra qu’il lui arrive quelques bricoles à Prométhé. Cela dit aussi que le changement va plus vite que la science agronomique et ses recherches appliquées, cela nous précipite dans un inconnu.
Il nous faut radicalement changer notre rapport à la terre, ne plus nous en considérer comme des maîtres, mais, comme des hôtes, que l’on soit paysan ou citadin.
Ceux qui voudraient circonscrire à la viticulture du midi ce ui s’est produit le 29 juin s’illusionnent. Le phylloxéra a été identifié en 1868 à Pujaud dans le Gard. Les vignerons des autres régions ont cru ou feint de croire qu’ils seraient épargnés. En 1880, le puceron avait éradiqué la totalité du vignoble français et gagné toute l’Europe. Le phylloxéra était lui-même la « récompense » de notre quête du mieux, du plus. Il a été à l’origine de la seule grande émigration française et d’une reconstruction du vignoble qui a profondément changé l’équilibre même de la vigne. Nous en sommes les héritiers directs.Ceux qui voudraient circonscrire le phénomène à la viticulture se dupent aussi. La vigne nous acompagne, sur notre territoire depuis plus de deux millénaires et l’homme depuis plus de 6000 ans. Sa culture est tout à la fois un pilier et un symbole de notre civilisation. 
Si la vigne n’a plus sa place dans le midi, l’homme ne l’aura pas davantage, car, le soleil et le vent seront brûlure sur sa peau.
Nous vignerons devons en tout premier lieu, renouer avec la dimension métaphysique de notre lien à la Terre, et alors, nous pourrons changer radicalement nos pratiques. 
Mais, il faudra autant de temps pour retricoter ce que nous avons détricoté. L’oeuvre elle-même est vaine si pas ailleurs, nous, vous, moi continuons à prendre l’avion  comme nous allons promener le chien, goûtons aux fruits exotiques comme si on les cueillait sur l’arbre, mettons la capsule dans la machine à café comme un timbre sur une lettre, ainsi de suite.
Ce que les vignes disent, c’est que notre civilisation elle même est menacée.
Les abeilles l’ont aussi dit, avant la vigne. Mais, nous ne les avons pas entendues.


Catherine Bernard

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