Par Jerry White
Dans la manifestation décrite comme la plus grande de l’histoire de Porto Rico, des centaines de milliers de personnes dans ce territoire insulaire des Etats-Unis ont marché lundi pour exiger la démission du gouverneur Ricardo Rosselló.
Le quotidien El Nuevo Día estime qu’un demi-million de manifestants ont participé à la «Marche du peuple», qui a paralysé la capitale de San Juan en fermant des commerces et en arrêtant la circulation. La manifestation comprenait une énorme procession sur la route la plus fréquentée de l’île, l’Expreso Las Américas.
La mobilisation de masse a marqué la douzième journée consécutive de manifestations, qui ont inclus des affrontements avec la police antiémeute envoyée par Rosselló. Les appels à une grève générale à l’échelle de l’île s’intensifient au milieu de manifestations de solidarité dans plusieurs villes du continent américain avec une importante population portoricaine. À San Juan et sur le continent, des manifestants scandaient: «Ricky, ¡renuncia, el pueblo te repudia!» (Ricky, démissionne, le peuple te rejette!)
Les camionneurs ont stationné leurs véhicules pour aider les manifestants à occuper la route principale. Un groupe d’étudiants en médecine a déclaré aux médias locaux qu’ils protestaient parce que les gens sont incapables d’obtenir des services médicaux de base dans les hôpitaux. La raison disent-ils c’est parce que: «le gouvernement est tellement corrompu» et que les fonds nécessaires pour répondre aux besoins de la population «vont directement dans les poches des politiciens».
Les efforts du gouverneur pour désamorcer l’opposition ont abouti à son annonce qu’il ne briguerait pas la réélection l’année prochaine. En outre, il a dit aussi qu’il allait céder la direction de son nouveau parti progressiste (PNP). Mais ces déclarations n’ont fait qu’attiser la colère populaire. Lors d’une retransmission en direct sur Facebook dimanche, Rosselló a réitéré qu’il ne démissionnerait pas et qu’il était «impatient de remettre le pouvoir à la personne élue démocratiquement».
Toutefois, Rosselló est politiquement isolé. Les principaux organes d’information, dont El Nuevo Día, le mouvement de jeunesse de son propre parti et d’autres responsables politiques, appellent à sa démission.
Sous la pression d’un journaliste de Fox News, Rosselló a cité Javier Jiménez, le maire de Saint-Sébastien, pour désigner une personnalité politique qui le soutenait. Quelques heures plus tard, Jiménez a dit: «Ce n’est pas vrai que je soutiens le gouverneur.»
Les protestations se sont intensifiées depuis que le Centre d’investigation de Porto Rico a publié près de 900 pages de messages privés entre le gouverneur et de hauts responsables de son administration. Les discussions ont révélé le mépris de l’establishment politique à l’égard des 3,2 millions d’habitants de l’île.
Dans un échange, le directeur financier du gouverneur, Sobrino Vega, a plaisanté avec Rosselló au sujet du nombre croissant de cadavres qui s’entassent à la morgue après l’ouragan Maria en 2017. Vega a dit en riant: «N’avons-nous pas des cadavres pour nourrir nos corbeaux?»
La diffusion des messages n’a été que le catalyseur de l’explosion sociale. Pendant des décennies, il y a eu des fermetures d’usines et de licenciements. Ensuite, le Conseil de surveillance financière (Financial Oversight Board) mis sur pied par le président Obama a imposé des mesures d’austérité qui ont aggravé la situation. Enfin, les ravages causés par l’ouragan Maria ont fini d’achever l’économie de Porto Rico. On estime que 5000 personnes ont péri dans l’ouragan et les inondations qui ont suivies, en grande partie à cause de la négligence criminelle de l’administration Trump et des responsables locaux.
La divulgation des messages a eu lieu la semaine même où le FBI a arrêté deux anciens fonctionnaires de l’administration Rosselló. Julia Keleher, secrétaire à l’éducation, et Angela Avila Marrero, directrice générale de l’administration de l’assurance maladie ont été inculpés de corruption par le gouvernement fédéral.
Keleher, une proche alliée politique de Betsy DeVos, secrétaire à l’éducation de Trump, a déclenché des grèves d’enseignants et des manifestations de masse après avoir saisi l’occasion de l’ouragan pour fermer 283 écoles publiques et licencier 5000 enseignants.
Juan, un travailleur du secteur informel âgé de 58 ans, a déclaré au WSWS: «C’est un moment historique pour Porto Rico dont nous rêvons depuis de nombreuses années. Cette protestation ne concerne pas seulement les bavardages au cours desquels le gouverneur a insulté la population de ce pays. Ces protestations se sont multipliées au cours des 15 dernières années.
«Ce sont les problèmes économiques qui les motivent: l’insécurité de l’emploi, les attaques contre les droits du travail, le coût élevé de la vie. Toutefois, l’imposition par les États-Unis de Wall Street et de la junte économique a aggravé ces problèmes. Cela me rappelle l’invasion américaine de Porto Rico en 1898. Toutes ces protestations sont dues à l’épuisement émotionnel du pays.»
Juan a continué: «C’est significatif qu’il y ait des jeunes et des personnes âgées dans ces manifestations pour défendre leurs retraites», a poursuivi Juan. Les jeunes se battent pour l’éducation publique, qui est en train d’être démantelée en faveur les entreprises privées. Je ne veux pas que cela se termine seulement par la démission du gouverneur, mais par une restructuration complète de la vie politique dans ce pays.»
«Je pense que le même processus se déroule dans toute l’Amérique latine et en Europe. C’est une lutte, d’une part, pour les intérêts internationaux des travailleurs, pour protéger l’enseignement public et les pensions, et d’autre part, pour le capital privé. Ce n’est pas un problème national, cela a des conséquences internationales.»
«Le contenu des discussions du gouverneur était évidemment horrible», a déclaré Mario, un étudiant de l’Université de Porto Rico à Piedras Negras, au WSWS. «Mais le PNP s’est déplacé davantage vers la droite, non seulement en termes économiques, mais aussi sociaux: ils ont réduit la sécurité sociale, les pensions des enseignants et les services que le gouvernement devrait fournir.»
«Ces mesures d’austérité ont créé une société divisée, où les pauvres et les travailleurs d’un côté et les plus fortunés de l’autre vivent dans deux mondes différents, mais ils coexistent dans les mêmes zones géographiques.»
«Le système éducatif est ségrégué par classe. Les écoles publiques sont mal gérées avec un petit budget et les gens ne peuvent pas payer les écoles privées. Keleher a justifié ses compressions en disant qu’il n’y avait pas d’argent, et maintenant elle a été arrêtée pour avoir volé 15 millions de dollars. La classe dirigeante et la junte fiscale punissent injustement la classe ouvrière, et cet acte de terrorisme pousse les gens dans la rue.»
Le WSWS a également parlé à Anthony, un étudiant dont le grand-père est mort après l’ouragan pour la seule raison qu’il n’a pas pu obtenir son traitement de dialyse régulier en raison du manque d’électricité.
«C’est encore un autre chapitre de l’histoire du pillage des fonds publics par le gouvernement, mais cette fois-ci, les gens ne sont plus prêts à accepter ces absurdités. Tout le monde est clair que les groupes de discussion ne sont pas le problème, mais seulement le mécanisme par lequel le problème a été exposé.»
«Les protestations portent sur la corruption, le démantèlement de l’éducation publique, et les millions de dollars en dons que les autorités n’ont jamais versés aux victimes de l’ouragan. Personne n’est d’accord des décisions du gouverneur ni de s’abstenir à se présenter de nouveau aux élections ni de refuser d’être le président du parti. Chaque personne impliquée dans ce projet doit être traduite en justice.»
Les politiciens de l’île ont essayé de s’adapter au sentiment populaire, avec le maire de San Juan, Carmen Yulín Cruz du Parti démocratique populaire (PDP), appelant à la destitution de Rossello, mais pas à sa démission immédiate. Le président Trump a cherché à prendre ses distances avec Rosselló. En même temps, plusieurs candidats démocrates à la présidence, dont Bernie Sanders, Elizabeth Warren et Tulsi Gabbard, ont fait des déclarations vides de sens sur le fait de «se tenir aux côtés du peuple portoricain».
Les Démocrates sont tout aussi responsables des conditions horribles sur l’île que les Républicains. L’Administration Obama a imposé une dictature financière au nom de Wall Street et des riches détenteurs d’obligations. Elle a fait appel aux mêmes juges des faillites et aux mêmes dépeceurs d’actifs qu’elle a employé dans la faillite de Detroit. La restructuration financière de Porto Rico est, à son tour, une préparation pour de nouvelles attaques. Cette fois-ci, les pensions des travailleurs du secteur public sur le continent sont visées.
L’afflux de centaines de milliers de personnes qui demandent la démission de Rosselló envoie des paroxysmes de peur dans tout l’establishment politique américain. L’Administration de Trump est également isolée. Elle cherche à utiliser les attaques fascistes contre le socialisme, ainsi que la xénophobie et le racisme, pour contrer la radicalisation croissante des travailleurs et des jeunes aux États-Unis.
Sur le compte Twitter de la députée Alexandra Ocasio-Cortez, plusieurs personnes ont tweeté que le peuple américain devrait lancer des luttes de masse similaires pour exiger la démission de Trump.
«Si les Portoricains peuvent le faire — pourquoi pas nous? Quand est-ce qu’assez, c’est [vraiment] assez» a dit l’un d’eux.
«Pourquoi ne peut-on pas faire cela ici — demander la destitution de l’actuel président à la con? C’est clair que cela marche. La majorité l’emporte. Nous devons marcher dans la rue pour demander justice.» «Cela devrait se produire dans toutes les villes américaines», a dit un autre.
Mais c’est la dernière chose que le Parti démocrate veut. Un mouvement de masse de la classe ouvrière qui exige la destitution de Trump pourrait rapidement se transformer en lutte contre la dictature de l’élite économique et financière. En effet, Les Démocrates défendent les intérêts de cette dernière tout aussi impitoyablement que les Républicains.
Les manifestations à Porto Rico sont l’exemple le plus récent du mouvement mondial croissant contre l’austérité et l’inégalité sociale produites par le système capitaliste. Plus d’une décennie de politiques gouvernementales a canalisé des liquidités illimitées vers les élites financières qui ont fini par détruire l’économie en 2008. Les une vague internationale de grevée et de protestations s’est propagées dans les Amériques, en Europe, en Afrique et en Asie.
Il faut une lutte pour mettre fin à la dictature des banquiers à Porto Rico. Cette lutte doit garantir les droits sociaux des travailleurs de l’île. Mais, elle ne peut être poursuivie qu’en appelant les travailleurs et les jeunes du continent à se joindre à une telle offensive. C’est uniquement dans le cadre d’une lutte internationale coordonnée que la classe ouvrière peut réussir son offensive contre le capitalisme et pour le socialisme.
Photo: Des centaines de milliers de personnes défilent pour exiger la démission de Rosselló
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