Le graphène est-il toxique?
27.03.2015, par Vahé Ter Minassian source : La lettre du CNRS
Le graphène est composé d'atomes de carbone organisés en nids d’abeilles.
SCIENCE PICTURE CO./CORBIS
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Médecine, électronique, énergie... les applications potentielles du graphène suscitent l’engouement. Mais avant tout, les scientifiques veulent s’assurer de son innocuité pour la santé et l’environnement.
Innombrables sont les applications attendues du graphène. Mais, avant dans se lancer dans leur développement, encore faut-il, selon une démarche industrielle classique, s’assurer de l’innocuité du matériau ou du moins préciser ses conditions d’utilisation. Évaluer les risques potentiels sur la santé et l’environnement de cette nouvelle forme cristalline du carbone est justement l’objectif de l’un des groupes de travail du programme européen Flaghsip Graphene
qui réunit 142 partenaires institutionnels dans 23 pays. Les chercheurs qui y participent ne partent pas de zéro. « En effet, explique Alberto Bianco, directeur de recherche à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire1, à Strasbourg et co-coordinateur du groupe, ces feuillets d’atomes de carbone ne sont pas fondamentalement différents des nanotubes de carbone, auxquels d’importantes études, dont on peut s’inspirer, ont été consacrées par le passé. »
Car ces derniers s’avèrent eux aussi être composés de feuillets carbonés. À ceci près qu’ils ne sont pas à plat comme dans le graphène, mais enroulés sur eux-mêmes, en une ou plusieurs couches, à la manière d’un cigare. Ainsi sont augmentées, suppose-t-on, les chances qu’ils puissent s’assembler entre eux pour former des fibres, susceptibles de s’accumuler dans les compartiments pulmonaires en cas d’inhalation par un être vivant. Les travaux conduits voilà quelques années avaient d’ailleurs conclu à une toxicité des nanotubes de carbone lorsqu’ils étaient d’un certain type et dépassaient une certaine taille. Ils avaient dans le même temps permis d’identifier des parades comme limiter la production des plus grosses de ces molécules.
Modélisations d'un nanotube de carbone biparoi (à gauche) et de la structure de graphène.
E. FLAHAUT; V. BOUCHIAT/CNRS PHOTOTHEQUE
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Des batteries de tests réalisés in vitro
Qu’en est-il du graphène ? Pour tenter de répondre à cette question, les neuf partenaires institutionnels du groupe de travail de Flagship Graphene vont procéder à partir de maintenant à des batteries de tests in vitro afin d’évaluer les effets sur l’activité des cellules immunitaires et neuronales en présence d’une plus ou moins grande quantité de ce nanomatériau. À terme, ils envisagent des études sur l’animal. « À ce stade préliminaire, poursuit le chercheur, nous n’avons pas observé de risques pathogènes alarmants comparables à ceux posés, en leurs temps, par les nanotubes de carbone. Bien sûr, il est encore trop tôt pour conclure. Par précaution, on peut envisager de limiter les risques en l’intégrant à d’autres matériaux pour éviter sa dissipation dans l’air. »
Ailleurs en Europe, les travaux des autres groupes semblent se diriger vers des conclusions comparables. C’est par exemple le cas au sein de la célèbre université de Manchester, au Royaume-Uni qui vit, en 2010, deux de ses chercheurs – André Geim et Konstantin Novoselov – récompensés du prix Nobel de physique pour leur découverte du graphène. En effet, si les recherches de l’équipe d’Irina Barbolina de la faculté des sciences de la vie concernant les effets du matériau sur l’activité des bactéries sont trop récentes pour avoir livré des résultats, ce n’est pas tout à fait le cas de celles conduites par Cyrill Bussy, toujours à l’université de Manchester.
Cet ancien post-doctorant à l’Inserm et au CNRS, actuellement maître de conférences, travaille, au sein du National Graphene Institute et du Centre for Tissue Injury and Repair de la faculté des sciences médicales et humaines, sur la toxicité de la forme cristalline et notamment sur les conséquences d’une exposition des poumons et du cerveau. Pour cela, il effectue depuis deux ans des séries de tests consistant à soumettre des cellules pulmonaires dites macrophages et épithéliales à des quantités croissantes de divers types de graphène oxydé. Il explique qu’« aucune nécrose ou apoptose et donc toxicité du matériau à des doses raisonnables n’a été constatée ». En revanche, précise-t-il : « Lorsque le graphène oxydé, utilisé dans notre expérience, dépasse une certaine taille, on observe, au bout d’un moment, une réaction de type inflammatoire des cellules épithéliales. »
Pour en savoir plus, lui et ses collègues vont maintenant passer à des modèles plus réalistes en menant les mêmes expériences en présence ou en absence de protéines – des macromolécules biologiques naturellement omniprésentes dans l’organisme – ou en initiant d’autres, in vivo, sur la souris. Objectif de ces dernières : établir l’incidence du graphène sur les maladies pulmonaires telles que des infections bactériennes.
Pas de résultats alarmants pour le moment
Le champ d’investigation du groupe de Cyrill Bussy ne s’arrête pas à ces seuls organes de la respiration. Il conduit aussi des études sur le cerveau. Réalisée dans le cadre du Nanomedicine Lab dans le but d’évaluer l’innocuité du graphène en vue de son éventuelle utilisation en nano-médecine, l’une d’entre elles a ainsi consisté à comparer in vivo le potentiel inflammatoire et toxique du matériau avec celui de liposomes et de nanotubes de carbone. Là encore, aucun impact alarmant n’a pour l’instant été constaté ni parmi les neurones ni parmi les cellules gliales. Seul un effet transitoire d’inflammation « à faible dose » a été mis en évidence pour l’un des types de cette dernière famille cellulaire. Enfin, l’un de ses étudiants en thèse travaille également sur la possibilité de biodégradation in vivo du graphène oxydé et sur les conséquences biologiques éventuelles de ce catabolisme.
Si la toxicité directe du graphène reste encore à démontrer, qu’en est-il de sa génotoxicité, c’est-à-dire de sa capacité à provoquer chez l’animal des cancers et/ou des déficiences transmissibles au travers des générations ? Avec ses confrères du laboratoire EcoLab2, Emmanuel Flahaut, directeur de recherche au Cirimat3, cherche à détecter cette génotoxicité chez les organismes aquatiques. L’une de ses expériences, réalisée sur un amphibien, le xénope, a consisté à comparer l’impact de plusieurs types de nanomatériaux carbonés. Jusqu’ici, cette étude n’a pas mis en évidence de génotoxicité du graphène.
Des tests sur la génotoxicité du graphène sont menés sur des larves de xénopes.
C.SARRIEU; E. FLAHAUT; L.GAUTHIER/CIRIMAT/ECOLAB/CNRS PHOTOTHEQUE
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Le développement
d’un marché
du graphène pose
la question de son
devenir après sa
mise en décharge.
Autre champ d’investigation : l’environnement. « Le développement d’un marché du graphène pose la question de son devenir après sa mise en décharge ou son relargage accidentel à la suite de l’usure des produits industriels auxquels il est associé », estime Emmanuel Flahaut. Les équipes du Flagship Graphene concentrent ainsi leurs activités sur deux des « compartiments » susceptibles d’être atteints : les sols et les eaux. Là encore, les données disponibles s’avèrent également insuffisantes pour juger des dangers réels.
Mais des travaux antérieurs réalisés sur d’autres types de nanomatériaux sont là pour orienter les efforts actuels de la recherche. « Certaines études conduites sur des plantes mises en culture dans des terres où avaient été dispersés des nanotubes de carbone ont mis en évidence des effets négatifs apparaissant uniquement à fortes doses, comme des malformations chez le haricot ou le transfert du nanomatériau aux fruits et aux feuilles chez la tomate, résume le chimiste. Pour le graphène, il est encore un peu tôt pour conclure. Seule une diminution du nombre de feuilles a été observée à des concentrations élevées pour le chou, la tomate et l’épinard. » Affaire à suivre donc…
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