Un rêve d’égalité devenu réalité en Éthiopie
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source : Kaizen
Depuis plus de quarante ans, la communauté d’Awra Amba (Éthiopie) défend l’égalité entre les hommes. Elle apparaît aujourd’hui comme un modèle de société paisible et prospère.
Des hommes qui cuisinent et portent de l’eau, des femmes qui labourent et accèdent à la propriété, des enfants qui jouent et étudient au lieu de travailler aux champs… Ces scènes de vie sont révolutionnaires dans le monde rural éthiopien. Pourtant, à Awra Amba, petit village perché sur les plateaux du nord-ouest du pays, elles sont le quotidien de près de 500 personnes réunies autour d’un idéal commun. Fondée dans les années 1970 par Zumra Nuru, paysan illettré, cette communauté atypique a su grandir et prospérer à travers le temps et attire aujourd’hui plus de 7 000 visiteurs en quête d’inspiration chaque année. Dès son plus jeune âge, Zumra Nuru se révolta contre l’injustice vécue par sa famille et par l’ensemble de la société traditionnelle éthiopienne, patriarcale et religieuse. Ne pouvant tolérer l’exploitation des femmes et des enfants, il se fit la promesse d’agir pour changer les choses. En 1972, il s’établit dans le village d’Awra Amba, regroupant autour de lui une soixantaine de personnes partageant ses valeurs humanistes. Leur vie communautaire, de par son organisation autour de l’égalité des sexes et son absence de religion, suscita l’indignation des villageois voisins qui les dénoncèrent comme opposants au régime. Après une longue période de troubles, de prison et d’exil, Zumra et un petit groupe revinrent au village en 1993 où ils purent, grâce à la pression des médias et de certaines ONG, récupérer une partie de leurs terres.
Égalité, respect et éducation
Les membres d’Awra Amba se répartissent le travail en fonction des capacités et des aspirations de chacun, et non du sexe ou de l’âge. On y voit des hommes laver les enfants, aller chercher de l’eau au puits, préparer l’injera[1] ou filer le coton ; des femmes labourer, tisser ou faire du commerce. « Je mange donc je cuisine aussi. Je n’en ai pas honte. J’en suis fier. Je suis indépendant et capable de nourrir ma famille », confie un homme du village. En outre, les femmes ne subissent ni mariage forcé, ni excision et participent à toutes les prises de décisions. L’une d’elles témoigne : « Je suis respectée dans ma famille et traitée en égale. Si je ne suis plus heureuse dans mon mariage, je peux faire valoir mes droits, divorcer et repartir avec 50 % des biens. » À Awra Amba, les droits des enfants sont respectés unanimement par les adultes. Injures, châtiments, humiliations, travail forcé, etc. ont été proscrits des habitudes. « Nos enfants travaillent très peu en comparaison de ceux des villages environnants. Nous ne leur donnons aucune tâche qui soit au-delà de leurs capacités et considérons qu’ils ont droit à l’éducation et au jeu. » Dès la maternelle, filles et garçons apprennent des bases de calcul, de lecture et les valeurs de la communauté, telle celle de l’honnêteté, qui est fondamentale. Près de 50 jeunes issus de la communauté sont à ce jour diplômés universitaires.
Économie prospère et sécurité sociale
Cultivant leurs 17 hectares de terres grâce à la traction animale, les habitants d’Awra Amba produisent du teff [2], du maïs, des haricots secs et élèvent un petit cheptel. Limités par la rareté des terres, ils ont su diversifier leurs activités à travers la confection de vêtements et la meunerie. L’essentiel est géré au sein d’une coopérative qui est propriétaire d’un atelier de filature, de plusieurs métiers à tisser, de neuf moulins à farine et de plusieurs commerces au sein du village et dans les villes voisines de Wereta et Alem Ber. L’assemblée générale des coopérateurs réunit les trois quarts des habitants du village. Elle élit une quinzaine de comités mixtes qui gèrent collectivement les différentes activités du village. Afin d’éviter toute prise de pouvoir et toute subordination, leurs membres changent tous les deux ou trois ans.
Le commerce permet des échanges et une ouverture sur l’extérieur, bénéfiques pour nouer des liens et gagner la confiance des populations environnantes. « Les voisins préfèrent utiliser notre moulin que ceux des villes car ils connaissent notre honnêteté, peuvent déposer leurs grains et reprendre leur farine le soir sans crainte d’être volés. »
Une fois par semaine, les membres d’Awra Amba se réunissent pour tisser et filer le coton ensemble et générer ainsi des fonds destinés à soutenir les orphelins, les personnes âgées ou malades et à financer des projets collectifs.
Une vision universelle
La vision à laquelle tend ce rêve devenu réalité se veut universelle. « Dieu est partout en nous et autour de nous. Nous ne lui donnons pas de nom car c’est ainsi que l’on divise les hommes. Le paradis, nous le construisons ici-bas, par notre labeur et notre amour », explique Zumra. Ayant atteint son premier objectif, il souhaite que le modèle d’Awra Amba puisse se répandre à travers l’Afrique. Mille hectares sont actuellement en négociation avec le gouvernement dont une partie est espérée d’ici la fin de l’année. Cela permettrait à la communauté de s’élargir et limiterait les risques liés au repli sur soi et à l’endogamie.
En avril dernier, Zumra et deux membres du village ont quitté pour la première fois leur pays, honorant l’invitation en France du groupe attac-Rhône. L’occasion de diffuser leur expérience et de s’ouvrir aux alternatives existant au-delà de leurs frontières.
[1] Galette typique de la cuisine éthiopienne.
[2] Céréale de la famille des graminées servant à la préparation de l’injera.
Par Claire Eggermont
Extrait de la rubrique Vent du Sud de Kaizen 16.
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