vendredi 6 novembre 2020

 Comment la patience face au COVID a accordé aux banques un coup de pouce de 3.000 milliards de dollars

S’il y a une chose dont les régulateurs étaient sûrs au début de la pandémie, c’est qu’elle ne deviendrait pas une histoire de banques. Une crise, oui, peut-être même un peu d’agitation sur les marchés pendant quelques semaines en mars, mais jamais quelque chose qui puisse mettre en péril les plus grandes institutions financières du monde, comme les prêts hypothécaires à risque l’ont fait 12 ans auparavant.

C’est pourquoi, dès le mois de mars, une série de mesures d’urgence a été mise en place, qui ont temporairement éliminé ou atténué les restrictions sur les bilans des banques, tout en renforçant le soutien aux marchés financiers, ce qui était sans précédent, du moins aux États-Unis. Risky Finance s’est associé au groupe de pression Americans for Financial Reform (AFR), basé à Washington DC, pour analyser l’impact de ces mesures sur les six plus grandes banques américaines.

Nos recherches ont montré que la principale contrainte limitante cette année pour les banques a été le ratio de liquidité statutaire (RLS), qui fait partie de la loi Dodd-Frank de 2012 qui a harmonisé la réglementation bancaire américaine avec les règles mondiales de Bâle. La Réserve fédérale a fixé le RLS minimum réglementaire à 5 %. Fin juin, les six premières banques avaient un RLS moyen de 7 %, ce qui est bien loin du minimum.

Toutefois, sans ces trois mesures d’abstention critiques, certaines banques comme Citigroup ou Goldman Sachs n’auraient été qu’à 30 points de base du minimum, ce qui aurait incité la Fed à restreindre leurs activités de négociation et de prêt.

Certaines des mesures d’abstention ont augmenté le numérateur du ratio, le capital de première catégorie de la banque, tandis qu’une autre a réduit le dénominateur, la mesure de l’exposition au levier financier. Mais si l’on imagine que l’effet a été purement au dénominateur, cela équivaudrait à réduire les bilans réglementaires des six banques de près de 3.000 milliards de dollars.

Ce n’est pas une si mauvaise chose, pourrait-on dire, si cela permettait aux banques de continuer à prêter et à commercer face à une pandémie qui a jusqu’à présent tué 1,2 million de personnes dans le monde.

La plus grande mesure d’abstention a été l’initiative de la Fed en mai d’exclure les bons du Trésor et les dépôts des banques centrales de la mesure d’exposition à l’effet de levier. Cette mesure a permis d’effacer 2.000 milliards de dollars du dénominateur de le RLS, dont 619 milliards pour la seule JP Morgan.

Cette mesure fait suite à la décision prise par la Fed en mars de permettre aux banques américaines de retarder l’impact des pertes de crédit actuellement prévues par la norme IFRS 9 sur leurs fonds propres CET1. Même si les six banques ont collectivement augmenté le CECL de 58 milliards de dollars cette année, la réduction de 20 milliards de dollars de leur CET1 a été reportée à la suite de la décision de la Fed.

Mais ce qui est peut-être plus controversé, c’est ce qui n’était pas un assouplissement direct des exigences de fonds propres. Le soutien des marchés, en particulier l’achat par la Fed de 3.500 milliards de dollars d’obligations, y compris des obligations d’entreprises, a eu pour effet de comprimer les écarts de crédit et de supprimer la volatilité. Cela a permis aux banques de réaliser des revenus de transactions hors normes, comme le montre le graphique ci-dessous.

Dans notre étude conjointe avec AFR, nous avons comparé les revenus de cette année à la moyenne de la période pré-pandémique précédente. En l’absence d’intervention réglementaire, les banques pourraient subir des pertes de trading. Si les mesures d’urgence prises par les banques centrales normalisaient les marchés, on pourrait s’attendre à ce que les revenus des banques en matière de transactions soient également à un niveau “normal”.

Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Dirigées par la JP Morgan et Goldman Sachs, les six banques ont réalisé collectivement des revenus supérieurs à cette moyenne de 19 milliards de dollars au cours des trois premiers trimestres de 2020. Ce n’est pas tout. Soutenues par le soutien de la Fed au marché, les banques ont pu, dès le milieu de l’année, se décharger de prêts aux entreprises qui, autrement, seraient restés dans leurs bilans.

Cela s’est traduit par une augmentation des revenus des banques d’investissement, qui ont dépassé la moyenne de 4 milliards de dollars sur la même période. Combiné aux revenus des transactions, cela représente 23 milliards de dollars de revenus excédentaires, qui sont directement injectés dans le capital sous forme de bénéfices non distribués, et qui peuvent ensuite être utilisés pour soutenir les rachats d’actions, les dividendes et les versements de primes.

Rétrospectivement, cela en valait-il la peine ? Il valait mieux éviter une crise financière de grande ampleur pendant la pandémie. Cependant, le plan Dodd-Frank et d’autres réformes financières post-Lehman avaient pour but d’isoler les banques d’une autre crise. Si la position des banques était si faible au début de la pandémie que 3.000 milliards de dollars de soutien (direct et indirect) étaient nécessaires pour les protéger, on peut certainement se poser la question : Les exigences de fonds propres des banques devraient-elles aller plus loin ?

C’est une question qui mérite d’être dans la boîte de réception du prochain président américain.

Traduction de Risky Finance par Aube Digitale

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