lundi 5 octobre 2020

Procès Assange Jour 3 : Des éléments clés du dossier gouvernemental sont démolis lors d’un témoignage

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Source : Consortium News
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Consortium News suit virtuellement le déroulé du procès de Julian Assange à Old Bailey à Londres. Chaque jour, il publie un compte rendu détaillé de l’audience. L’équipe Les-Crises vous en propose la traduction exclusive.

Un témoin de la défense harcelé sur la motivation politique du dossier

9h20 EDT [Eastern Daylight Time : heure de la côte Est des Etats-Unis, NdT] : Lors de la séance du matin, le témoin de la défense, le professeur Paul Rogers, politologue à l’université de Bradford, a établi qu’Assange est motivé par un point de vue politique qui le place comme un opposant politique de ses accusateurs.
Les révélations de WikiLeaks sur les guerres en Irak et en Afghanistan, en particulier la publication d’un nombre accru de civils tués, le placent contre les intérêts des États-Unis. WikiLeaks avait exposé la « fiction de la victoire » en Irak et en Afghanistan. En Irak, pendant « deux ans, il n’y a eu aucune preuve pour le public que la guerre se déroulait mal. WikiLeaks a montré de manière significative à quel point la guerre avait mal tourné pour les États-Unis », a témoigné Rogers.
Il a souligné que M. Assange avait clairement indiqué qu’il n’était pas contre le peuple américain, mais contre ses gouvernements.
Le professeur, qui a témoigné par liaison vidéo depuis Bradford dans les Midlands, a déclaré qu’au centre de la politique d’Assange se trouve sa conviction qu’il devrait y avoir plus de préoccupation pour les Droits de l’Homme, plus de transparence, plus de responsabilité et plus de justice.
Rogers a déclaré qu’Assange, qui était assis au fond du tribunal, a une position libertaire et anti-guerre et que ces opinions sont en profond conflit avec l’administration Trump. Rogers a témoigné que cette administration était hors norme pour un gouvernement américain ou européen typique. Assange est « un opposant politique qui pourrait subir toute la colère du gouvernement. Il n’y a aucun doute », a déclaré Rogers.
« Assange et ce qu’il défend représente une sorte de menace pour une activité politique normale », a déclaré M. Rogers.
Lors du contre-interrogatoire, le procureur, James Lewis QC, a martelé Rogers pour essayer de lui faire admettre qu’il n’a aucune base pour témoigner que la poursuite de Julian Assange est politiquement motivée.
Lewis a essayé de détruire la crédibilité du témoin en tant qu’expert en disant qu’il n’avait pas inclus une déclaration du procureur américain disant que les charges contre Assange sont motivées par la justice pénale, et non par la politique.
Rogers dit qu’il ne doute pas que les fonctionnaires du ministère de la Justice ont agi avec professionnalisme en établissant un acte d’accusation, mais il interroge les fonctionnaires de haut niveau du gouvernement qui ont donné l’ordre de poursuivre en premier lieu.
Ils l’ont fait, a témoigné M. Rogers, après huit ans d’échec de l’administration Obama à engager des poursuites parce que cela serait contraire au Premier amendement. Cela a entraîné une série d’interrogatoires similaires à ceux de mardi, alors que Lewis a de nouveau tenté d’établir que l’enquête Assange n’a jamais été abandonnée et qu’il n’a pas été poursuivi parce qu’il se trouvait à l’ambassade de l’Équateur « et n’était pas disponible pour un procès ».
Rogers a cité les déclarations d’intention de Jeff Sessions, le premier procureur général de Trump, Mike Pompeo, en tant que directeur de la CIA, et le procureur général William Barr, visant à démanteler WikiLeaks, comme preuves de motivation politique. Il a également souligné l’animosité politique personnelle de Trump envers la presse. Dans l’ensemble, Rogers a tenu bon, contrairement au témoin de la défense de mardi, qui s’est défait sous les attaques répétées de Lewis.
Lors du réinterrogatoire, Rogers dit qu’il pense que le changement d’opinion politique aux États-Unis contre les guerres en Afghanistan et en Irak au moment de l’élection de Barack Obama et pendant son administration a contribué à la décision de M. Obama de ne pas poursuivre Assange.
Ce changement d’opinion a été influencé, selon Rogers, par les communiqués de WikiLeaks qui ont confirmé que l’armée américaine savait en privé que les deux guerres se passaient mal. Lewis a repris son thème d’hier, à savoir que l’enquête du grand jury de l’ère Obama n’a jamais pris fin et qu’il est faux de dire qu’une décision a été prise de ne pas poursuivre.

Un témoin de la défense démantèle des éléments clés du dossier du gouvernement

Lors de la session de l’après-midi, Trevor Timm, avocat et directeur exécutif de la Fondation pour la liberté de la presse, a pris la barre des témoins virtuels pour la défense et, en s’affrontant avec le procureur James Lewis QC [Queen’s Counsel: Conseiller de la Reine, NdT] lors du contre-interrogatoire, a démantelé à lui seul des éléments clés du dossier du gouvernement.
Au cours des deux derniers jours, le gouvernement a souligné deux points essentiels : qu’il ne poursuit pas Assange pour avoir publié mais pour avoir révélé les noms d’informateurs. Timm a témoigné qu’en fait, l’acte d’accusation est d’avoir passivement reçu et possédé des informations classifiées au-delà des documents qui ont révélé les noms des informateurs.
Le point le plus important que Timm a fait valoir est que les défenseurs du Premier amendement et les organisations médiatiques s’accordent à dire que si la révélation des noms des informateurs peut être contraire à l’éthique, elle n’est pas illégale. Il a déclaré que la publication de ces noms était une décision éditoriale et que, bien que des organisations de médias puissent ne pas être d’accord, il n’appartenait pas au gouvernement de prendre des décisions éditoriales.
Nous faisons remarquer depuis longtemps qu’il n’existe aucune loi interdisant de révéler les noms des informateurs. Le gouvernement considère que leurs noms constituent des informations de défense protégées par la loi sur l’espionnage. M. Timm a en outre déclaré que la Cour suprême des États-Unis a, dans le passé, protégé des discours, même s’ils étaient douteux.
« Je ne dis pas que WikiLeaks avait un jugement éditorial parfait ou que le New York Times en ait un, mais cela ne veut pas dire que les différences d’opinion le rendent illégal », a déclaré M. Timm. « Le gouvernement ne devrait pas décider si c’était bon ou non. La décision est de savoir si c’est illégal. Cette publication n’était pas illégale, et l’acte d’accusation qui la rendrait illégale criminaliserait le journalisme ».
Il a ajouté : « Dans le procès Manning, le gouvernement américain n’a pu pointer du doigt aucun décès précis » suite à la révélation des noms des informateurs. « Mais quoi qu’il en soit, le Premier amendement n’est pas un exercice d’équilibre entre le mal et le bien. Il permet parfois des discours odieux. Certains préjudices peuvent résulter de la parole, mais notre peuple a déterminé qu’il est vital pour les journalistes de disposer d’une grande latitude et que la liberté d’expression soit protégée, même si elle se rapproche d’une ligne qui nous met mal à l’aise ».
« Pourquoi votre opinion devrait-elle être plus importante que ce que décide un jury ? » a riposté Lewis.
« Sur les questions constitutionnelles, cela va au-delà d’un jury », a déclaré Timm. « Un juge pourrait la déclarer inconstitutionnelle avant qu’elle n’arrive à un jury. » Lewis a ensuite dit à Timm que le journaliste Mark Feldstein, qui a témoigné mardi pour la défense, a dit qu’il était « mal de publier des noms les mettant en danger moral. »
« Je n’ai pas dit que c’était juste ou que j’étais d’accord, mais simplement qu’il serait inconstitutionnel pour Assange d’être poursuivi pour cet acte », a répondu M. Timm.
M. Lewis a ensuite déclaré que Gordon Kromberg, un assistant du procureur américain à Alexandria, en Virginie, où Assange serait jugé, a déclaré qu’Assange n’était pas journaliste. Timm a déclaré que cela n’était pas pertinent parce qu’Assange avait exercé une activité journalistique protégée par le Premier amendement.
Timm a démontré qu’il comprenait mieux que Lewis le contenu de l’acte d’accusation.
Il a souligné qu’Assange n’était pas accusé de conspiration avec Chelsea Manning pour casser un mot de passe afin d’obtenir des documents, mais pour l’aider à cacher son identité, une obligation de tous les journalistes travaillant avec des sources anonymes.
Il a déclaré que le gouvernement avait qualifié de néfates les boîtes de dépôt anonymes, dont WikiLeaks a été le pionnier, alors qu’une soixantaine d’organisations médiatiques, comme le New York Times, le Guardian et le Wall Street Journal, utilisent de telles boîtes, mises au point par sa fondation, pour permettre aux sources de déposer des documents de manière anonyme.
Lewis était un homme ratatiné. Toutes ses fanfaronnades de la veille avaient fondu. Il semblait s’en prendre à la magistrate Vanessa Baraitser lors d’une dispute sur le délai qu’elle lui avait imposé – une heure, alors qu’elle ne donnait à la défense que 30 minutes.
Lewis en était réduit à essayer de saper la crédibilité de Timm en tant que témoin expert parce qu’il n’avait pas inclu la déclaration de Kromberg dans son témoignage écrit. « Je n’ai pas porté mon jugement sur un communiqué de presse du gouvernement mais sur ce qui figure dans l’acte d’accusation », a déclaré Timm.
Le procès se poursuit.
Source : Consortium News, 09-09-2020
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