La déroute de la livre turque fait craindre des risques de contagion
La Bourse d'Istanbul perd plus de 6 % en deux jours, mais un investisseur en dollar a perdu plus de 25 % de son investissement du fait de la chute de la lire - Emrah Gurel/AP/SIPA
Les marchés émergents sont de nouveau sous pression dans le sillage de la Turquie. Le rand et la roupie indonésienne souffrent. Des tensions sont aussi perceptibles sur les marchés obligataires.
Est-ce le début du jeu de domino pour les pays émergents ? La déroute de la livre turque (-23 % en 5 jours) commence à contaminer les devises des pays jugés fragiles, car dépendants des capitaux étrangers. Le rand sud-africain en est l'illustration. Dans la nuit de dimanche à lundi, la monnaie a perdu jusqu'à 8,22 % de sa valeur à 15,77 rands pour un dollar (sa plus forte chute depuis 2008), avant de réduire ses pertes (à -1,33 %). « Le rand est vulnérable autant en raison du double déficit (extérieur et budgétaire) de l'Afrique du Sud que d'un secteur bancaire déjà sous pression », explique Oxford Econonomics. Autre devise sous pression, la roupie indonésienne qui a perdu 1,5 % en deux jours et se rapproche de son plus bas historique de 1998. La Banque centrale indonésienne a d'ailleurs dû de nouveau intervenir pour défendre sa monnaie.
Mais d'autres devises émergentes souffrent aussi du renchérissement du dollar, perçu comme un actif refuge, à l'instar du rouble (-6,1 % en cinq jours), du peso argentin (-6,4 %), du real brésilien (-4,2 %) et du peso mexicain (-3 %).
Tensions sur la dette
« A l'origine c'est une crise des devises, mais étant donné la dépendance de la Turquie aux financements extérieurs (tant le gouvernement que les entreprises), cela pourrait se transformer en une crise de la dette qui pourrait engloutir les banques », prévient Hasnain Malik chez Exotix Capital, pour qui « il y a un risque évident de contagion à cause des participations importantes des banques étrangères et dans les portefeuilles des investisseurs en Turquie ».
Si en Europe, les valeurs bancaires sont sous pression depuis vendredi (elles ont perdu plus de 3 % en deux séances), certains marchés obligataires émergents sont déjà affectés. Outre l'Argentine ( dont les taux ont bondi de 160 points de base en une semaine ), l'Indonésie a subi une hausse de 25 points de base du rendement de son emprunt d'Etat (à 7,86 %), quand celui de l'Afrique du Sud a bondi de 15 points (à 9 %). Les taux en monnaie locale du Brésil, du Nigéria et de la Russie ont aussi pris plus de 10 points de base. Les investisseurs s'inquiètent en effet des conséquences de la hausse du billet vert qui renchérit le coût des dettes émises en dollar, notamment de la part des entreprises.
Conséquence, les CDS (« Credit Default Swap », une sorte d'assurance contre les risques de défauts), se sont légèrement tendus en Afrique du Sud, au Brésil et en Russie. « S'il n'y a pas de panique ou de réactions extrêmes face à la crise actuellement traversée par la Turquie, il convient de rester prudent, juge Aurel BGC. Le marché des CDS montre qu'un risque de contagion existe réellement pour plusieurs pays émergents et que la situation en Turquie n'a pas laissé totalement indifférents les investisseurs ».
Que va faire la Fed
Les investisseurs vont rester attentifs aux évolutions en Turquie. Selon Stéphane Déo à La Banque Postale AM, si l'Afrique du Sud et le Brésil « à notre sens, ne « méritent » pas une crise de change comme celle de la Turquie, une défiance des marchés pourraient les entraîner » sur une mauvaise pente. Et si cela devait arriver, « la crise turque deviendrait une vraie crise émergente », prévient le stratégiste, même si JP Morgan rappelle que « les liens financiers et commerciaux de la Turquie sont beaucoup plus forts avec l'Europe qu'avec les autres économies émergentes ».
La suite pourrait aussi déprendre de la politique de remontée des taux de la Fed . Restera-t-elle indifférente à la fragilité des pays émergents ? Guy Stear et Klaus Baader à la Société Générale rappellent que, traditionnellement, les actifs émergents craquent surtout quand la Fed est contrainte de monter fortement ses taux en raison de pressions inflationnistes. La hausse récente du dollar pourrait réduire un peu ces pressions, mais pour les analystes de la banque, « les craintes sont fortes que tout se finisse dans les larmes, surtout en raison de la poussée de la pensée économique populiste, depuis les Etats-Unis jusqu'en Turquie, en passant par le Royaume-Uni et l'Italie. Des craintes qui justifient de réduire les positions sur les actifs risqués ».
Pierrick Fay
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