On vous explique la polémique sur BlackRock, ce fonds d'investissement soupçonné de vouloir imposer la retraite par capitalisation en France
Depuis plusieurs années, BlackRock se montre intéressé pour mettre la main sur une partie de l'épargne des actifs français les mieux payés, afin de l'orienter vers l'épargne retraite.
Article rédigé par
France Télévisions
Publié le 17/12/2019 07:05Mis à jour le 18/12/2019 16:03
La réforme des retraites, qui a été présentée par le gouvernement mercredi 11 décembre, a-t-elle été inspirée par un fonds d'investissement américain ? Depuis plusieurs jours, des médias, des responsables politiques (de droite comme de gauche) et des internautes soulignent une proximité entre Emmanuel Macron et BlackRock, plus gros gestionnaire d'actifs au monde, qui rêve de voir instaurer en France un véritable système de retraite par capitalisation, aux côtés du système par répartition.
Des soupçons qui font suite à l'affaire de "l'oubli" du haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, qui a omis de mentionner ses liens avec le monde de l'assurance sur sa déclaration d'intérêts, le poussant à la démission.
Qu'est-ce que BlackRock ?
BlackRock est un énorme fonds d'investissement américain, le plus important gestionnaire d'actifs au monde. Créé en 1988 et implanté dans une centaine de pays, il gère aujourd'hui près de 7 000 milliards de dollars d'actifs dans le monde. Sur son site internet, la société créée et dirigée par Larry Fink explique "faciliter l'investissement de la clientèle privée et institutionnelle dans une large gamme d’actifs tels que des entreprises, des obligations d'Etat et des projets de financement".
La filiale française, elle, date de 2006, et gère 27,4 milliards d'euros de fonds confiés par des clients français. Elle est dirigée par une figure bien connue du monde de la politique et des affaires : énarque et ancien conseiller économique de Jacques Chirac à l'Elysée, Jean-François Cirelli a été le patron de Gaz de France puis le numéro 2 du groupe après sa fusion avec Suez en 2008.
Que propose ce fonds d'investissement ?
Depuis plusieurs années, BlackRock se montre extrêmement intéressé pour mettre la main, via ses clients (assureurs, banques...), sur une partie de l'épargne des Français, afin de l'orienter vers l'épargne-retraite. Dans une note à destination du gouvernement français publiée en juin 2019, et citée par Mediapart, BlackRock regrette que les régimes comme le Perco et le Perp, créés en 2003 et permettant de se constituer une épargne retraite individuelle, n'aient attiré que 130 milliards d'euros. Un niveau "décevant par rapport à l’épargne déposée en liquidités (1 500 milliards d'euros), les produits d'assurance-vie en euros (1 600 milliards d'euros) ou les investissements directs/indirects en actifs non financiers (plus de 7 600 milliards d'euros)".
Mais BlackRock voit d'un bon œil la loi Pacte (relative à la croissance et à la transformation des entreprises), votée en avril 2019, qui simplifie et renforce les systèmes de retraite par capitalisation. Dans la note citée par Mediapart, le fonds chante les louanges de cette loi qui propose notamment des allègements fiscaux pour les cotisations versées sur les produits d'épargne retraite. Et délivre toute une série de recommandations au gouvernement pour les promouvoir. Par exemple, "mettre en place des incitations comportementales pour accroître le niveau des contributions volontaires", ou encore "imposer à terme la mise en place de dispositifs d'épargne retraite à adhésion automatique".
Quels sont les liens entre BlackRock et l'exécutif ?
Un article du Canard enchaîné de 2017, posté sur les réseaux sociaux ces derniers jours, relatait l'organisation à l'Elysée d'une journée d'agapes avec une délégation de 21 gestionnaires de fonds emmenés par BlackRock et son PDG, Larry Fink. Un documentaire d'Arte, dont un extrait a également été beaucoup partagé sur Twitter, affirme que Larry Fink a rencontré Emmanuel Macron à plusieurs reprises après son élection.
La rubrique CheckNews de Libération (article payant) a recensé les contacts, relatés par la presse ces dernières années, entre l'exécutif et le fonds d'investissement. Il en ressort que, dès le 6 juin, Larry Fink a été discrètement reçu par Emmanuel Macron, selon L'Obs. En octobre 2017, le gouvernement a demandé au Comité action publique 2022 de plancher sur la réforme de l'Etat. Un groupe d'experts où siège... Jean-François Cirelli, le patron de la branche française de BlackRock. On retrouve encore Larry Fink à l'Elysée en juillet 2019, à l'invitation d'Emmanuel Macron, lors d'une réunion sur le climat et l'investissement. Jean-Paul Delevoye avait quant à lui rencontré le fonds BlackRock début mars 2018 lors de sa nomination comme haut-commissaire aux retraites.
Le lobbying de BlackRock a-t-il influencé le contenu de la réforme des retraites ?
Difficile à dire. Dans la note révélée par Mediapart et intitulée "Loi Pacte : le bon plan retraite", BlackRock se réjouit de l'adoption en avril de cette loi, qui vise, selon elle, à "combler les lacunes structurelles des régimes d'épargne retraite volontaire existants". Mais la société s'y rejouit surtout du projet de réforme des retraites qui, pour les financiers, peut être l'occasion de renforcer le système par capitalisation, qui jusque-là n'a pas encore réussi à réellement émerger en France. Un système qui leur permettrait de bénéficier d'une épargne "parmi les plus élevées d'Europe", indique BlackRock.
En effet, comme l'expliquent Les Echos, le système mis en place par le gouvernement devrait exclure des cotisations la part des revenus supérieurs à 10 000 euros par mois. Toujours selon Les Echos (article payant), quelque 300 000 salariés, indépendants et fonctionnaires gagnent plus de 10 000 euros par mois en France, sur 27 millions d'actifs ayant un emploi. Ce sont donc ces quelque 1% des actifs les mieux payés qui seraient concernés par cette retraite par capitalisation.
"Nous ne commentons pas ces articles, qui sont par ailleurs inexacts", a déclaré aux Echos un porte-parole de BlackRock. Le groupe se dit injustement visé car il estimait, dans sa note de juin, que le système par répartition allait rester "au cœur de l'épargne retraite française".
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