vendredi 26 février 2021

 

Le plastique ne se recycle pas

En quarante ans, la filière n’a jamais décollé. Normal, c’est un leurre, une stratégie de l’industrie pour déculpabiliser les consommateurs.

10 août 2020 Épisode n° 6

Les épisodes

TexteDorothée Moisan PhotoThomas Louapre/Divergence imagesÉdité parFrançois Meurisse source : Les Jours

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L

es promesses n’engagent que ceux qui les croient. C’est le calcul qu’a fait l’industrie du plastique dès les années 1980, en décidant de promouvoir le recyclage de son matériau fétiche. À première vue, l’idée semble séduisante, brillante même. Qui ne voudrait pas croire au recyclage ? Un processus vertueux visant à faire disparaître les déchets plastiques que nous générons pour en faire de nouveaux emballages ou de nouveaux canards de bain. Avec cette alléchante promesse : la fin du plastique dans les océans et une boucle infinie qui permettrait de ne plus jamais produire de plastique vierge. Attendez… « Ne plus jamais produire de plastique vierge » ? À moins d’être suicidaire, comment l’industrie du plastique pourrait-elle soutenir un processus qui signerait sa mort ?

La réponse se trouve dans l’excellent documentaire Plastic Wars, diffusé ce printemps et réalisé conjointement par NPR et PBS, la radio et la chaîne de télévision publiques américaines. Dans cette enquête de la journaliste Laura Sullivan, trois anciens responsables de l’industrie admettent pour la première fois à visage découvert que la promotion du recyclage ne faisait que répondre à une stratégie pour verdir l’image du plastique auprès des consommateurs et les déculpabiliser dans leurs achats. On parle tant de pollution ces temps-ci qu’on a tendance à oublier qu’il y a quarante ans, le plastique était déjà vu comme un indésirable : une étude du Congrès américain exhumée par Les Jours recensait dès 1989 des propositions de loi visant à le bannir dans au moins seize États pour réduire l’amoncellement des déchets. Certaines suggéraient d’interdire le polystyrène expansé des barquettes de fast-food, d’autres le polychlorure de vinyle (PVC) dans les contenants et les ustensiles de cuisine. Plusieurs États envisageaient même de proscrire les couches jetables et les applicateurs de tampons hygiéniques. Inimaginable aujourd’hui.



Jusqu’à sa fermeture en 2001, la décharge de Fresh Kills, sur l’île de Staten Island, à New York, était la plus grande décharge urbaine du XXe siècle — Photo Jim Leynse/Réa.

Dans un mémo interne, l’industrie américaine s’inquiète alors de la « perception de plus en plus négative par le public », l’image du plastique « se détérior[ant] à une vitesse alarmante ». La Society of Plastics Industry (SPI) – l’ancêtre du lobby actuel, la Plastics Industry Association – ne tarde pas à réagir. En 1988, elle crée un comité ad hoc, le Council for Solid Waste Solutions (CSWS), le Conseil pour les solutions aux déchets solides. Ses membres : les géants du plastique vierge (Exxon, Chevron, Dow, DuPont…). Sa mission : trouver des débouchés aux déchets plastiques pour revenir en grâce auprès des consommateurs. « L’industrie du plastique était sous le feu des critiques, on devait agir pour faire baisser la pression, parce que nous voulions continuer à fabriquer des produits en plastique », raconte Larry Thomas, qui longtemps dirigea la SPI. Mais comment agir ? Eh bien, répond l’ancien responsable dans Plastic Wars« si le public pense que le recyclage fonctionne, alors il ne sera pas aussi préoccupé par l’environnement ». CQFD.

Dès les années 1970, l’industrie avait, en interne, « un doute sérieux » sur le fait que le recyclage soit un jour opérationnel à grande échelle


La tâche est confiée à Ronald Liesemer, alors patron du CSWS. Il se souvient des millions de dollars déversés dans ce projet. « Faire marcher le recyclage était pour eux un moyen de conserver leurs produits sur le marché », confirme-t-il. Cela améliorait l’image du plastique, et leur permettait de continuer à en vendre. Et ce, alors même que l’industrie était consciente, dès les années 1970, que le recyclage serait « coûteux » et « difficile », comme en attestent des documents internes remis à la justice américaine : l’un d’eux évoque déjà « un doute sérieux » sur le fait que le recyclage du plastique soit un jour opérationnel à grande échelle et « puisse jamais devenir viable économiquement ». Cinquante ans plus tard, peut-être la donne a-t-elle changé, se prend-on à espérer. Négatif, douche Ronald Liesemer : ce qui a été écrit à cette époque « est toujours d’actualité et le sera encore demain ».

Les statistiques ne disent pas autre chose : sur les quelque 7 milliards de tonnes de déchets plastiques produits depuis 1950 au niveau mondial, seuls 9 % ont été recyclés. Aux États-Unis, alors que 5 % du plastique était recyclé dans les années 1990, trente ans et des centaines de millions de dollars investis plus tard, ce chiffre n’atteint toujours pas les 10 %. Le comble, c’est que depuis deux ans, il recule. Et pas seulement aux États-Unis, mais dans la plupart des pays occidentaux qui avaient pris l’habitude d’exporter vers la Chine leurs plastiques les moins valorisables. Des balles entières de déchets prenaient la mer pour y être retriées : une partie était effectivement fondue, transformée en granulés et réinjectée dans des objets de moindre valeur – souvent dans des conditions sanitaires effroyables –, tandis que le reste finissait incinéré, en décharge à ciel ouvert ou dans les océans.

 

Le recyclage n’est qu’un alibi pour « justifier l’usage du jetable » et encourager à consommer plus de plastique, « une dérive contre-productive »lorsque la seule urgence est de réduire la quantité de déchets produits, alerte la directrice de l’ONG Zero Waste France, Flore Berlingen, qui a publié tout récemment un essai sur la question. De son côté, l’industrie assure pourtant que les stratégies dilatoires, c’est du passé. Juré craché, maintenant, c’est pour de vrai : aux paroles vont enfin succéder les actes. Peut-on la croire cette fois ? Il est vrai que le recyclage progresse (un peu) chaque année, mais on est loin du 100 % recyclé. Petit rappel de chiffres déjà cités dans cette obsession (lire l’épisode 1, « Plastique, la matière forte ») : Nestlé, Mars et L’Oréal se sont engagés d’ici à 2025 à 15 %, 30 % et 40 % d’emballages conçus à partir de matière recyclée. Aux dernières nouvelles, ces multinationales n’atteignaient respectivement que 2 %, 0 % et 5 %.

La plupart des plastiques ne devraient pas être recyclés, mais classifiés parmi les déchets toxiques.

 

« C’est très pervers, cette communication des industriels qui défendent le recyclage », réagit Natacha Cingotti, chargée de campagne « Santé et produits chimiques » au sein du réseau Heal (Health and Environmental Alliance). Pourquoi ? Parce que « la question essentielle reste la mise sur le marché de plastiques toxiques, quels qu’ils soient (lire l’épisode 4, « Plastique, ne sais-tu pas que tu es toxique ? ») : la communication des industriels veut faire oublier ça. Ils font du vent, promettent qu’ils vont recycler et tout le monde regarde ailleurs »« La plupart des plastiques ne devraient pas être recyclés, mais classifiés parmi les déchets toxiques », acquiesce Tatiana Santos, responsable « Produits chimiques » au Bureau européen de l’environnement (BEE), un réseau qui regroupe quelque 160 ONG du continent. Pour le BEE, « si on veut une véritable économie circulaire, il ne faut juste pas y inclure le plastique ». Le verre ou les métaux comme l’aluminium sont des candidats parfaits, mais pas le plastique, car « c’est un matériau dangereux dès sa conception : il vient du pétrole (lire l’épisode 3, « Les plastiqueurs sont fondus de pétrole »), il est très instable et contient des milliers d’additifs ». Le plastique recyclé constitue un danger notamment dans le contact alimentaire ou dans les jouets, bien souvent mâchouillés par les enfants. C’est ce qu’a montré une étude publiée en mai par le réseau international d’élimination des polluants IPEN. Des chercheurs ont mis en évidence que des jouets en plastique fabriqués à partir d’équipements électroniques recyclés présentaient des taux élevés de dioxine et de retardateurs de flammes bromés (RFB). Utilisés pour rendre téléphones et ordinateurs moins inflammables, les RFB ne sont autres que des polluants organiques persistants ou « POP », suspectés d’induire des cancers, mais aussi des troubles neurologiques et hormonaux. Relâchés dans l’environnement, ils contaminent l’air, le sol et l’eau sur de très longues distances et peuvent aisément pénétrer la chaîne alimentaire.


 

Confrontée à cette toxicité, la Chine a fini par dire « stop » : en 2018, elle a fermé sa porte aux déchets étrangers les plus contaminés et les moins recyclables. Les gros exportateurs de plastique se sont alors mis à cibler les pays voisins : Malaisie, Viêt-nam, Indonésie, Inde ou Thaïlande. Début 2018, cette dernière a ainsi vu ses importations multipliées par 70 ! Nouveaux cache-sexes de la faillite du recyclage, ces pays, submergés de déchets, ont eux-mêmes fini par refuser ces livraisons empoisonnées, plaçant les États-Unis mais aussi le Japon, l’Australie, l’Allemagne, la Belgique ou encore le Royaume-Uni dans une position bien inconfortable. Insuffisamment équipés localement, les pays occidentaux ont dû se résoudre à mettre en décharge ou à brûler ces plastiques, recyclables en théorie mais en réalité quasi impossibles à récupérer. À l’heure où le recyclage est vendu comme la panacée, il est en fait en train de régresser… Les industriels du recyclage eux-mêmes lancent l’alerte : le Covid-19 a été le choc de trop. En Europe, ils s’attendent à une crise qui va durer plusieurs trimestres. Durant le confinement, nombre d’entre eux ont fait savoir qu’ils baissaient temporairement le rideau, faute de rentabilité : trop peu de plastique à recycler en raison d’une collecte désorganisée par la pandémie et une demande en chute libre à cause d’un plastique vierge à prix plancher depuis la dégringolade des cours du pétrole.

En bout de chaîne, moins de 2 % des emballages plastiques mis sur le marché sont véritablement transformés en des produits équivalents ou de qualité similaire


L’Union européenne affiche un taux de recyclage bien plus honorable que la moyenne mondiale : 32,5 %. Mais attention, ce chiffre correspond au plastique collecté en vue d’être recyclé. En réalité, c’est bien moins d’un tiers du plastique européen qui est effectivement recyclé. Le reste finit brûlé ou en décharge. Le plastique employé dans la construction – grandeconsommatrice de PVC, connu pour sa toxicité – est très peu recyclé. Celui utilisé dans l’automobile l’est beaucoup plus : une directive européenne de 2000 prévoit qu’un minimum de 95 % du poids du véhicule doit être réutilisé ou valorisé, dont au moins 85 % par recyclage. Le problème, notent des ONG, c’est qu’une grande partie du plastique automobile ne devrait pas être réinjecté dans la production car il contient souvent des retardateurs de flammes bromés, aujourd’hui interdits.

Quand on parle de recyclage, la question principale tourne généralement autour des emballages qui absorbent peu ou prou 40 % du plastique produit. Au niveau mondial, on estime que seuls 14 % d’entre eux sont collectés en vue d’être recyclés. Mais en chemin, beaucoup disparaissent du noble sentier, parce qu’ils s’avèrent non recyclables, ou sont recyclés pour des applications de qualité inférieure, comme l’isolation ou les poteaux de signalisation. En bout de chaîne, moins de 2 % des emballages plastiques mis sur le marché sont donc véritablement transformés en des produits équivalents ou de qualité similaire. Mais comment est-ce possible alors que fleurit partout sur les emballages la mention « Recyclable » ? Tout est question de polymères et de pratiques un brin trompeuses. Mais ça, vous le découvrirez dans le prochain épisode.

 

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