Le Congrès américain
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Alors que les camps démocrate et républicain s’affrontent sur le montant du prochain plan de relance, l’épuisement progressif des aides prévues par le CARES Act a d’ores et déjà plongé plus de 8 millions de personnes dans la pauvreté.


Publiée le 15 octobre, une étude de l’Université Columbia révèle l’ampleur de la pauvreté dans un pays miné par la pandémie de Covid-19. Si les aides fédérales — chèques et allocations chômage exceptionnelles — ont permis de maintenir 18 millions de personnes en dehors de la pauvreté, leur expiration a plongé 8 millions de personnes dans la pauvreté, lesquelles sont venues s’ajouter aux 46 millions de personnes pauvres que comptent les États-Unis.

UNE HAUSSE DE LA PAUVRETÉ, MALGRÉ LA RÉDUCTION DU CHÔMAGE

En avril, attisée par un chômage culminant à 15 %, le taux de pauvreté a atteint 13,9 %. Un taux qui, selon l’équipe du Center on Poverty & Social Policy de l’Université Columbia, aurait pu frôler les 20 % sans les dispositions prévues par le CARES Act (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act).

Votée en mars, le CARES Act a mis en place un vaste plan d’aides pour un montant de 2 200 milliards de dollars, parmi lesquelles une allocation chômage hebdomadaire supplémentaire de 600 dollars. Cette aide, qui a expiré le 31 juillet dernier, a cédé sa place à une allocation chômage de 400 dollars par mois, décidée par memorandum par le président Donald Trump. Néanmoins, ledit memorandum autorise les gouverneurs des États à procéder à ce versement de 400 dollars, une contribution qui « reflète une contribution fédérale de 300 dollars ». Autrement dit : 100 des 400 dollars sont à la charge et à la discrétion des États fédérés, comme l’indique une note diffusée par le Département du Travail. Dans les faits, d’après CNBC, il semblerait que seuls trois États (le Kentucky, le Montana et la Virginie-Occidentale) versent 400 dollars par semaine.

Cette provision s’ajoute à la mécanique complexe et hétéroclite propre au système fédéral américain, où chaque État a sa politique en la matière. Ainsi, le montant minimum d’allocation chômage et la durée d’indemnisation varient d’un État à l’autre. L’épuisement progressif des programmes d’aides laisse cependant de nombreuses personnes avec de moins en moins de ressources. Sans nouvelle législation, au 31 décembre 2020, la Pandemic Unemployment Assistance (d’un montant minimum de 106 dollars par semaine) cessera d’être versée : un scénario catastrophe pour les centaines de milliers d’Américains ayant cette aide pour seules ressources.

Dans le même temps, le chômage a considérablement diminué, passant de près de 15 % en avril à près de 8 % en septembre. Un rebond qui ne suffit pas à contenir une pauvreté qui va crescendo sous l’effet conjugué d’un taux de chômage qui reste élevé (le niveau pré-crise se situait sous les 4 %), des aides fédérales qui s’amenuisent et des lourdeurs bureaucratiques, laissant plusieurs millions de demandes dans l’attente. En conséquence, le taux de pauvreté s’est accru progressivement entre avril et septembre, passant de 13,9 % à 16,7 %. Une hausse qui concerne aussi les personnes en situation de grande pauvreté.

Bien que le CARES Act ait permis de maintenir temporairement des millions de familles en dehors de la pauvreté, l’étude menée par le Center on Poverty & Social Policy démontre que le plan d’aides n’a pas permis d’endiguer la progression de la grande pauvreté. Si l’étude observe une diminution de près d’un point entre février et mars, cette décrue s’explique en grande partie par le versement de l’Earned Income Tax Credit (EITC), un impôt négatif sur le revenu versé aux personnes à revenus faibles ou modérés. Ainsi, entre avril et septembre, 5 300 000 personnes sont entrées dans les statistiques de la grande pauvreté, c’est-à-dire comme percevant des ressources inférieures à 50 % du seuil de pauvreté. Cela représente un revenu mensuel inférieur à 500 dollars pour une personne seule de moins de 65 ans.

La progression de la pauvreté s’accompagne d’une augmentation de l’insécurité alimentaire. Selon le réseau de banques alimentaires Feeding America, 54 millions de personnes pourraient connaître la faim d’ici décembre. Pauvreté et insécurité alimentaire sont particulièrement prégnantes dans les États où n’existe que le salaire minimum fédéral, dont le montant (7,25 dollars de l’heure) n’a pas été réévalué depuis 2009. Ainsi, les États les plus pauvres (Mississippi, Louisiane, Nouveau-Mexique, Alabama) sont ceux où l’insécurité alimentaire est la plus préoccupante. En conséquence, ce sont aussi les États où les impayés de loyers sont les plus nombreux, ce qui laisse planer le risque d’expulsions massives et de défauts de paiement sur les crédits et ce, en dépit d’un moratoire fédéral sur les expulsions jusqu’au 31 décembre.

À l’instar des expulsions locatives, d’autres moratoires s’achèvent peu à peu, alors que la situation reste critique pour de nombreuses personnes. En Pennsylvanie, ce ne sont pas moins de 800 millions de dollars qui restent à recouvrir suite au moratoire sur les interruptions de services énergétiques. Des interruptions qui reprendront le 9 novembre, sauf pour les familles et petites entreprises en grande difficulté financière suite à la pandémie. Sur les 50 États, 36 ont instauré ce genre de moratoire. Néanmoins, à l’image de la Caroline du Nord, nombre d’entre eux se sont terminés ou se termineront bientôt sans aucune disposition pour protéger les plus précaires. Avant même la pandémie, l’Agence d’Information sur l’Énergie (U.S. Energy Information Administration) a annoncé qu’un tiers des foyers américains rencontre des difficultés à payer ses factures d’énergie. Une situation exacerbée depuis la crise économique qui touche en particulier la population noire et latine.

UNE PAUVRETÉ QUI TOUCHE PARTICULIÈREMENT LES MINORITÉS

Une personne noire ou latine sur quatre est actuellement considérée comme pauvre. C’est le constat alarmant qui ressort de l’étude du Center on Poverty & Social Policy. Le versement de l’impôt négatif EITC a permis de diminuer ce taux de près de 10 % en mars, avant que la pandémie ne provoque une augmentation considérable de la pauvreté au sein de ces populations. La pauvreté parmi la population blanche a ainsi augmenté de 0,8 % : cette augmentation est de 1,4 % dans la population noire et de 2,1 % dans la population hispanique. Des disparités face à la pauvreté qui s’expriment également de nombreux autres domaines : accès à l’emploi, au logement, au crédit bancaire et aux aides fédérales. Un mal qui touche aussi les entreprises détenues par ces communautés. Un rapport de la Federal Reserve Bank of New York publié en août révèle que l’activité des entreprises tenues par les communautés afro-américaine et hispanique ont respectivement décliné de 41 % et 32 %, des taux bien supérieurs au taux national qui est de 22 %. En juillet, Ron Busby, président de la U.S. Black Chamber of Commercetémoignait devant le comité aux petites entreprises du Sénat et affirmait que 70 % des membres de sa chambre n’ont pu obtenir de prêt dans le cadre du Paycheck Protection Program, mettant ainsi en exergue une discrimination bancaire flagrante à l’égard des entreprises détenues par des personnes afro-américaines.

UN NOUVEAU PLAN DE RELANCE ?

La dégradation de la situation, déjà critique, pourrait être cataclysmique en l’absence d’un nouveau plan de relance. Les âpres débats entre les camps républicain et démocrate échouent pour l’instant sur le montant dudit plan : là où le président Trump voudrait un plan massif (« go big », avait-il déclaré sur Twitter), supérieur à 1 800 milliards de dollars, le Sénat voudrait se contenter de deux lois pour un montant total de 1 000 milliards de dollars. De son côté, le camp démocrate plaide pour un plan d’un montant de 2 200 milliards, de quoi émettre de nouveaux chèques de 1200 dollars, prolonger l’allocation chômage de 600 dollars par semaine et mettre en œuvre un plan d’aides tant pour les locataires que pour les propriétaires. Des disputes qui n’échappent pas au calcul politique le plus cynique : Mitch McConnell, leader de la majorité républicaine au Sénat, a averti la Maison Blanche qu’un accord sur un nouveau plan de relance pourrait être électoralement dommageable à l’approche de l’élection présidentielle le 3 novembre.