samedi 19 mai 2018


Même aux doses «sûres», les inquiétudes sur le glyphosate se concrétisent

Après des années de tensions, les plafonds de glyphosate sont-ils encore trop élevés? [Lertwit Sasipreyajun]


Le glyphosate peut perturber le développement sexuel, les gènes et les bactéries intestinales, même aux doses considérées comme sûres par l’Europe, selon une nouvelle étude.
Une étude de l’institut Ramazzi, en Italie, avec la collaboration de plusieurs universités européennes et américaines, avertit sur les dangers du glyphosate. Elle a été présentée au Parlement européen le 16 mai.
« L’exposition à long terme aux herbicides au glyphosate peut mener à une bioaccumulation de la substance », explique Daniele Mandriolo, coordinateur des recherches à l’institut Ramazzini, à Bologne, face aux eurodéputés.
Des expériences chez les rats montrent que les individus dont les mères ont été exposées à des concentrations de glyphosate considérées comme sûres souffrent de dérèglement du microbiome intestinal, qui a des conséquences potentiellement dangereuses. Par ailleurs, l’exposition à la substance peut altérer le développement sexuel et favoriser l’apparition de tumeurs, ajoute le spécialiste.
Les chercheurs se sont penchés sur les enfants de rats dont l’organisme avait accumulé 1,75 microgramme de glyphosate par kilogramme de leur poids. Ce niveau constitue la dose quotidienne considérée comme sûre par l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA).
Les parents rats ont été exposés pendant trois mois à du glyphosate dilué dans de l’eau, alors que les jeunes rats n’ont pour leur part pas été mis en contact direct avec la substance. Pourtant, les chercheurs ont observé les effets non négligeable et potentiellement dangereux du glyphosate sur le biome intestinal de ces individus.
« Le corps accumule le glyphosate au fil du temps », indique Daniele Mandrioli. « En outre, les herbicides utilisés peuvent avoir des conséquences génotoxiques et reproductives sur la flore intestinale après une exposition aux doses considérée comme sûre. »
« Cette observation est nouvelle et nous inquiète », assure Fiorella Belpoggi, responsable des recherches à l’institut Ramazzini et directrice du Centre de recherche sur le cancer Cesare Maltoni.
Trois articles décrivant la première phase de cette large étude seront publiés le 29 mai dans l’Environmental Health Journal.
L’étude s’est concentrée sur les effets du glyphosate, qui est la substance active de l’herbicide le plus répandu et le plus controversé, le Roundup, de la firme Monsanto, sur des rats de laboratoire de l’espèce la plus communément utilisée pour les études de toxicologie dans l’industrie pharmaceutique.
La recherche ne s’est pas limitée à la déclaration de cancer, mais à l’accumulation de la substance dans l’organisme et à ses conséquences sur la santé reproductive.

Six États membres réclament une alternative au glyphosate

Plusieurs membres de l’UE ont envoyé une lettre à la Commission européenne en décembre pour demander qu’une étude soit menée pour trouver une alternative à la substance controversée.






Copier-coller problématiques
L’étude a été publiée le lendemain de la troisième audition publique de la commission spéciale sur la procédure d’autorisation des pesticides par l’Union (PEST). Cette commission se penche sur la procédure d’autorisation des pesticides dans l’UE, l’approbation des substances actives et des projets de rapport d’évaluation.
Cette session a soulevé des questions sur trois aspects de la législation actuelle qui mettent en cause l’indépendance des études scientifiques liées au glyphosate : le financement de la plupart des études scientifiques par les entreprises espérant une approbation de leurs produits ; le caractère non public de certaines de ces études, sous couvert du secret des affaires, et ; le choix par l’entreprise elle-même de l’État qui sera rapporteur sur le sujet.
L’étude de l’institut Ramazzini a pour sa part été rendue possible grâce à une plateforme de financement participatif.
Helmut Burtscher, biochimiste de l’ONG autrichienne Global 2000 et auteur d’un livre sur le glyphosate (Die Akte Glyphosat), Jean-Philippe Azoulay, de l’Association européenne de protection des cultures (ECPA), Andreas Hensel, directeur de l’institut fédéral allemand pour l’évaluation du risque (BfR) et Georg Backhaus, du centre de recherche fédéral allemand pour les plantes cultivées (JKI) ont répondu aux questions des eurodéputés durant la session de la PEST.
Le président de la commission, l’eurodéputé français Éric Andrieu, a rappelé l’enjeu des discussions à venir : la capacité de l’UE à prendre une décision sur la base de données fiables et objectives, libre de toute suspicion de conflit d’intérêts et supprimant les soi-disant études qui ne sont en réalité qu’un copier-coller des déclarations de l’industrie. « Il en va de la solidité du système de certification européen », a-t-il assuré.
Helmut Burtscher a appelé à une modification des procédures de certification, tout en soulignant le manque d’indépendance de l’évaluation du risque de cancer lié au glyphosate. Selon lui, l’évaluation du BfR contient une étude écrite par un représentant de Monsanto. Or, « ni les sources ni l’auteur de l’étude ne sont mentionnés dans l’évaluation », a dénoncé le biochimiste.
« Le BfR a déjà revu son évaluation à quatre reprises et en est arrivé à la même conclusion, à savoir que le glyphosate n’est pas cancérigène. Et pourtant, il va le faire encore une fois. Cela fera cinq fois de suite. Peut-on s’attendre à ce qu’il parvienne cette fois-ci à une conclusion différente ? », s’interroge-t-il.
Pour lui, c’est l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui devrait être chargée de ces réévaluations.
Le directeur de la BfR, Andreas Hensel, a répondu que l’agence allemande s’était fondée sur les connaissances disponibles. « Cette décision a été prise sur la base d’une évaluation indépendante et complète de toutes les études scientifiques disponibles », a-t-il déclaré, soulignant que les autorités du monde entier ont utilisé ces données et également conclu que, selon l’état actuel des connaissances, le glyphosate ne devrait pas être classé comme cancérogène.
Le directeur s’est dit favorable à plus d’ouverture et de transparence dans l’évaluation des substances actives des pesticides tout en réitérant que « le glyphosate est pour ainsi dire non toxique ». La BfR soutient depuis des années l’amélioration des procédures d’évaluation et le libre accès aux études toxicologiques originales.

Les conflits d’intérêts minent toujours l’indépendance de l’EFSA

Près de la moitié des experts de l’Agence de sécurité des aliments ont des conflits d’intérêts qui mettent en cause le travail de l’agence, estime une étude de l’Observatoire de l’Europe industrielle.





Conflits d’intérêts
L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont également approuvé le produit chimique, affirmant qu’il est « peu susceptible de poser un risque cancérogène pour l’Homme du fait de l’exposition par le régime alimentaire ». Le même avis a été partagé par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ainsi que par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
Cependant, cet avis est contredit par l’évaluation du CIRC qui, en 2015, a conclu que la solution herbicide était « probablement cancérigène pour l’Homme ».
L’EFSA a déclaré qu’elle avait effectué une analyse approfondie et pris en compte les conclusions du CIRC. Cela n’empêche pas Greenpeace d’accuser l’agence de ne pas avoir fourni un travail impartial.
En octobre 2017, le commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis, a laissé entendre qu’il est parfois « étrange » que les gens s’opposent au glyphosate en se concentrant uniquement sur les conclusions du CIRC.
« Parfois, ils diffusent aussi le message que l’UE ne tient pas compte de la monographie du CIRC [sur le glyphosate] », a-t-il ajouté, assurant que c’est loin d’être la réalité.
« L’étude du CIRC est une première étape du système de l’OMS et nous-même avons inclus la monographie dès le début », a souligné le commissaire, qui assure avoir organisé des réunions entre le CIRC et l’EFSA pour leur demander une fois de plus d’évaluer la question.
Il a également laissé entendre que certains médias « n’en parlent pas toujours et disent que la Commission ne tient pas compte de la monographie du CIRC. Ce n’est pas vrai. »
« Dans le monde entier aujourd’hui, toutes les organisations au Japon, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada et aux États-Unis présentent les mêmes conclusions sur la cancérogénicité du glyphosate », a conclu le commissaire.
Dans une résolution du 24 octobre 2017, le Parlement européen a demandé à la Commission et aux États membres de ne pas autoriser les utilisations de la substance par les particuliers, ainsi que les utilisations agricoles lorsqu’il existe des alternatives non chimiques, après le 15 décembre 2017. Toutes les utilisations agricoles devront être supprimées progressivement d’ici le 15 décembre 2022.
Les eurodéputés ont également demandé que les évaluations des risques ne soient fondées que sur des études publiées, afin qu’elles puissent être évaluées par des pairs et experts indépendantes. Reste que l’EFSA ne se prononce que la substance active, et non les autres produits présents dans les produits commercialisés ni leurs possibles interactions.
Le comité de 30 membres tiendra d’autres audiences publiques à la fin août et au début septembre avant de publier son rapport en décembre.

Le débat scientifique sur le glyphosate refuse de mourir

Le docteur Christopher Portier a analysé les sources des recherches des agences européennes sur le glyphosate. Dans une lettre à Jean-Claude Juncker, il s’inquiète d’un manque de rigueur scientifique.

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