Les taux se resserrent autour de la majorité parlementaire antisystème italienne
La main estropiée, sculpture de l’Italien Maurizio Cattelan, dressée en 2011 devant l’immeuble de la Bourse de Milan (illustration).
Le rendement des bons du Trésor italiens à 10 ans a connu le 28 mai une forte hausse. Une réaction des marchés à l’instabilité politique italienne. Cette inquiétude est liée au suspens sur le maintien de l’Italie dans la zone euro. Décryptage.
La nomination de Carlo Cottarelli à la tête du gouvernement italien par le président de la République, Sergio Mattarella n’a pas suffi à rassurer les investisseurs à la Bourse de Milan. Ainsi, le 28 mai après la clôture, le principal quotidien économique italien, Il sole 24 ore titrait : «Le coup d’arrêt à la Lega-M5S n’a pas mis fin aux ventes à la Piazza Affari [surnom de la bourse italienne]. Le spread s’envole et les banques sont touchées.»En effet, la nomination de cet économiste passé à plusieurs reprises par le FMI et actuel directeur de l’Observatoire italien des comptes publics était censée rassurer les marchés de dettes et d’actions. Mais, le jour de sa nomination, la bourse de Milan a quand même fini en recul de 2,08%.
Quant au spread, c’est-à-dire l'écart, entre les rendements des emprunts italiens et allemands à dix ans, il a grimpé de 29 points par rapport à la cotation précédente du vendredi 25 mai. Les BTP (Buoni del Tesoro Poliannuali-bons du Trésor pluriannuels) italiens, en forte hausse depuis deux semaines, ont ainsi atteint un rendement de 2,682% contre 0,342% pour le «Bund» du trésor allemand, soit un écart de +234 points de base contre +41 pour les bons du Trésor français et -40 pour ceux de la Banque nationale suisse. Paradoxe apparent, le rendement élevé d’une dette de l’Etat est un mauvais signe – celui d’une défiance correspondante des investisseurs.
Le piège des rendements élevés des emprunts d'Etat
En effet, alors que les obligations ou emprunts d’Etat font l’objet du paiement d’un intérêt fixe, leur rendement varie chaque jour en fonction de l’écart entre leur prix d’émission et la valeur à laquelle ils se négocient à un moment donné. Ainsi, lorsque un bon du Trésor est vendu moins cher que son prix d’émission, son rendement augmente parce que la somme nécessaire pour percevoir un intérêt annuel inchangé a baissé. Si la cotation ou valeur de ce bon du Trésor baisse (entraînant une hausse de son rendement), cela est interprété comme un doute croissant des investisseurs quant à la solvabilité à moyen terme de l’Etat qui les a émis. Et dans le cas de l’Italie, ce doute est largement lié aux perspectives de sortie de l’euro – un projet qui ne figurait pourtant pas au programme de la coalition.Morya Longo, l'un des chroniqueurs d’Il Sole 24 ore, spécialiste de la finance, explique ainsi dans l’édition datée du 28 mai : «Une ambiguïté fondamentale a été créée sur deux questions cruciales pour ceux qui investissent dans nos obligations d'Etat, dans les obligations de nos sociétés ou dans les actions de notre Bourse : la sortie de l'euro et - en arrière-plan - la demande d'annulation d’une partie de la dette publique entre les mains de la BCE. Les deux thèmes n'ont pas été évoqués pendant la campagne électorale […] Pourtant, ils étaient et sont présents sur les marchés. Comme des fantômes […] La seule perspective, même lointaine, qu'un investissement fait en euros (monnaie forte) puisse être remboursé en lires (monnaie faible) inquiète les investisseurs.»
Le «fantôme» de l'Italexit plane sur la Bourse de Milan
Or, même si, comme le souligne Morya Longo, l’abandon de l’euro a été peu évoqué au cours de la campagne pour les élections générales italiennes de mars et ne figure pas dans le programme de la coalition Lega-M5S, les investisseurs semblent le considérer comme une sérieuse éventualité. L'économiste eurosceptique Paolo Savona proposé au poste de ministre des Finances et auquel le président de la République italienne a opposé son veto, était justement réputé favorable à l’abandon de l’euro par l’Italie.Et le président italien Sergio Matarella cité par l’AFP a, le 28 mai, justifié sa décision ainsi : «Dans mon rôle de garant, je ne pouvais pas accepter un choix qui aurait pu conduire à la sortie de l'Italie de l'euro et provoquer les inquiétudes des investisseurs italiens et étrangers. Il est de mon devoir d'être attentif à la protection de l'épargne italienne, qui est la garantie de protéger la souveraineté de l'Italie.»
Aucun doute que la presse économique italienne imposera le débat sur un Italexit dans la campagne qui s’annonce et scrutera plus encore que d’habitude l’évolution de l’écart de taux italo-allemand. Mais parviendra-t-elle à influencer le scrutin ? A moins que ce débat ne fasse voler en éclat la coalition actuelle. En effet, le M5S est de longue date très attaché à la sortie de l’euro. En 2015 il avait d’ailleurs tenté d’organiser une consultation au moyen d’une loi d’initiative populaire rejetée par le Sénat et à l’époque soutenue par la Ligue du Nord. Mais la Lega, qui lui a succédé, généralement considérée comme proche de Front national pourrait changer sa position, comme l’a fait Marine Le Pen après sa défaite au second tour de l’élection présidentielle française.
Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Valeurs actuelles, paru en octobre 2017, elle avait amorcé son revirement sur la monnaie unique en déclarant : «Dans de nombreux domaines, on peut améliorer la vie quotidienne des Français sans quitter l’Europe ni l’euro.» Beaucoup en Italie estiment aujourd'hui que la Lega pourrait suivre le même chemin.
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