En Allemagne, les retraités sont les grands oubliés des années Merkel
Gwénaëlle Deboutte (à Berlin), le 30/08/2017 à 7h08 source : La Croix
Mis à jour le 30/08/2017 à 10h07
En dépit de la santé florissante de l’économie allemande, plus de 900 000 retraités dans le pays sont actuellement obligés de travailler pour compléter leur faible pension.
Le sujet a beau constituer l’un des thèmes forts de la campagne électorale en vue des législatives du 24 septembre, beaucoup doutent que leur situation s’améliore dans les prochaines années.
En Allemagne, 11 % des retraités allemands âgés de 65 à 74 ans, soit 942 000 personnes, sont aujourd’hui obligés de travailler. / Jan Michalko / Tangophoto / Picturetank
Trois fois par semaine, Karl-Heinz doit se lever aux aurores. Parfois avec difficulté. À 69 ans, ce Berlinois se rend encore au travail dans une petite entreprise où il gère la comptabilité et les tâches administratives. Ses dix heures hebdomadaires lui rapportent 450 € par mois. « Cet emploi me plaît, mais les temps de transport sont longs, raconte-t-il d’une voix posée. Après une vie de travail, je pensais pouvoir me reposer, mais je n’ai pas le choix. »
Durant sa carrière de 43 ans, il a enchaîné les contrats dans l’informatique et connu une période de chômage. Résultat, Karl-Heinz perçoit une retraite de 860 €. Une fois payés son loyer de 480 €, l’électricité et sa mutuelle, il lui reste moins de 150 € pour vivre.
Comme lui, 11 % des retraités allemands âgés de 65 à 74 ans, soit 942 000 personnes, sont aujourd’hui obligés de travailler. Ce chiffre a doublé en dix ans, selon les dernières données de l’Institut fédéral de la statistique (Destatis).
En cause, le trop faible montant des retraites. En moyenne, un ancien actif allemand reçoit 1 100 € brut par mois, contre 1 370 € en France. Comment expliquer un tel chiffre dans un pays à l’économie florissante ?
Une retraite à deux vitesses
« Le système allemand a créé une retraite à deux vitesses, répond Stefan Sell, sociologue à l’Université de Coblence et spécialiste du sujet. D’un côté, il y a les salariés qui ont suivi une carrière linéaire dans des emplois bien payés, comme dans l’industrie. Ceux-là touchent une retraite confortable, qui peut aller jusqu’à 1 800 ou 1 900 €. De l’autre, on retrouve toutes les personnes qui ont eu des emplois précaires ou des accidents de parcours. Ceux-là peuvent se retrouver avec des pensions de misère, parfois inférieures à 600 €. »
Depuis la réforme engagée par le gouvernement SPD dans les années 2000 pour faire face au déclin démographique du pays, les règles de calcul des retraites ont changé. Au bout de 45 ans de cotisations, les seniors perçoivent moins de 50 % de leur ancien salaire. Pour un revenu moyen de 3 000 €, la retraite plafonne ainsi à 1 360 € bruts.
En parallèle, depuis une vingtaine d’années, le pays a privilégié le dumping salarial pour accroître sa compétitivité. Avant l’instauration du salaire minimum en 2015, les employés dans la restauration, la vente ou les services étaient généralement payés entre trois et quatre euros de l’heure.
Aujourd’hui encore, 7 millions d’Allemands vivent de mini-jobs à 450 € par mois. « Les femmes sont les plus touchées par cette précarité, poursuit Stefan Sell. En plus des écarts salariaux avec les hommes, ce sont souvent elles qui interrompent leur carrière pour élever les enfants ou qui acceptent des temps partiels. »
Du fait de leurs moindres qualifications et des différences de salaires entre l’est et l’ouest, les travailleurs de l’ex-RDA sont également défavorisés. Dans cette partie du pays, le montant moyen des pensions chute à 800 € par mois.
« Il n’y a pas de minimum vieillesse en Allemagne »
À 64 ans, Birgit cumule les deux « handicaps ». En plus d’être une ancienne Allemande de l’Est, cette femme souriante et dynamique a élevé seule ses cinq enfants. « J’ai travaillé pendant 40 ans, indique-t-elle. Avant la chute du Mur, j’ai d’abord été vendeuse, puis conductrice de grue pendant onze ans. Mais à la réunification, comme beaucoup, j’ai été licenciée. J’ai dû déménager et j’ai travaillé ensuite pendant 17 ans chez Mc Donald’s où je gagnais environ 1 000 € par mois. »
Aujourd’hui, sa retraite est de 650 € mensuels, auxquels s’ajoutent depuis un an 125 € au titre de l’éducation de ses enfants. Une fois toutes les charges acquittées, il ne lui reste que 120 € pour vivre – soit quatre euros par jour. Pour compléter ses revenus, elle fait le ménage dans un café pour environ 80 € par mois. Birgit voudrait bien travailler davantage, mais après un accident cérébral, elle n’en a plus la capacité.
« J’ai eu le bac, j’ai fait des études, explique-t-elle. Terminer ma vie en faisant le ménage, je trouve cela injuste. Ce qui m’attriste le plus, c’est que je n’ai pas les moyens d’aller au cinéma ou simplement de m’offrir un abonnement à un journal.» Pourtant, elle ne blâme pas la classe politique. Elle apprécie au contraire la politique de la chancelière Angela Merkel, « une femme courageuse ». Birgit fait partie de cette génération d’Allemands qui a appris à se débrouiller et à ne pas se plaindre.
Pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent plus travailler, il reste la possibilité de demander les aides sociales pour atteindre les 850 € mensuels. Mais beaucoup ne le souhaitent pas. « Il n’y a pas de minimum vieillesse en Allemagne. Ce qui signifie que vous devez littéralement vous mettre à nu devant l’administration pour en faire la demande, critique Stefan Sell. Vous devez indiquer combien vous gagnez, quelle est votre épargne personnelle, déménager le cas échéant dans un plus petit logement… ».
Âgée de 78 ans, Inge en sait quelque chose. Après avoir travaillé comme ouvrière non qualifiée, puis comme concierge dans son immeuble, elle perçoit moins de 800 € de retraite, complétée par une petite aide de l’État. « Comme je suis malade, j’ai pu conserver mon petit deux-pièces, se réjouit-elle. Il me permet d’accueillir quelqu’un en cas de problème. » Une fois par semaine, Inge est bénévole pour Die Tafel, l’association équivalente aux Restos du cœur. Elle peut ainsi bénéficier d’un petit panier de nourriture.
15% des seniors en situation de pauvreté
Avec l’augmentation du coût de la vie et des loyers dans les grandes villes, les seniors sont de plus en plus nombreux à solliciter l’aide des associations. À tel point que la pauvreté des retraités est devenue l’un des thèmes majeurs de cette campagne électorale. Parmi les propositions, les sociaux-démocrates du SPD veulent relever le niveau des pensions et créer une retraite de solidarité pour les plus pauvres. Voulant aller plus loin, la gauche de Die Linke appelle à la création d’une retraite minimum de 1 050 € par mois.
À l’inverse, la chancelière Angela Merkel vante son bilan et estime que « toutes les réformes nécessaires pour sécuriser le système jusqu’en 2030 ont été conduites». Un constat que ne partage pas Karl-Heinz : « Sur trois mandats, elle n’a rien fait pour améliorer notre situation, tempête-t-il. Elle a certes introduit des avantages pour les mères de famille, mais cela ne concerne pas tout le monde. Angela Merkel n’a aucune vision et je ne pense pas que cela changera par la suite».
Karl-Heinz n’apporte pas plus de crédit au SPD, responsable des réformes qui ont mené à ces disparités. Pourtant, l’Allemagne risque de pâtir de ses fractures sociales. « On considère que 15 % des seniors sont en situation de pauvreté, estime Stefan Sell. Si aucune réforme de fond n’est menée, ils pourraient être 30 % dans les prochaines années ».
À LIRE AUSSI : Angela Merkel tance les patrons de l’automobile allemande
--------------------------------------
Angela Merkel, douze années de règne et d’alliances
Septembre 2005. À la tête des chrétiens-démocrates de la CDU depuis 2000, Angela Merkel obtient 35,2 % des suffrages aux législatives, en compagnie de son allié bavarois, la CSU. Elle devance ainsi de peu les sociaux-démocrates du SPD (34,2 %), ce qui lui permet de renverser la coalition sortante, « rouge-verte », emmenée par Gerhard Schröder. Après cinq semaines de négociations, elle forme une grande coalition avec la CSU et devient, à 51 ans, la plus jeune chancelière de l’histoire de l’Allemagne fédérale.
Septembre 2009.La déroute du SPD aux législatives (23 %) permet à l’union CDU-CSU (33,8 %) d’envisager une coalition avec les libéraux du FDP (14,6 %).
Septembre 2013.L’Union CDU-CSU remporte 40 % des suffrages aux législatives, mais ne peut maintenir sa coalition avec les libéraux (5 %). Cette situation rend nécessaire une nouvelle alliance, inédite, avec les sociaux-démocrates du SPD (25,7 %).
Gwénaëlle Deboutte (à Berlin)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire