mercredi 8 mars 2017

« Bolloré-Macron, ticket chic pour un grand choc ? », par Axel Bader

source : Arrêt sur Info

En ce 8 mars 2017, deux informations s’entrechoquent :
1/ L’Inspection générale des finances soupçonne un délit de favoritisme concernant l’organisation d’une soirée à Las Vegas en janvier 2016. D’après Le Canard Enchaîné, cette soirée avait alors été organisée par Havas (propriété du groupe Bolloré) sur la demande du cabinet du Ministre Emmanuel Macron. Soirée qui avait coûté la bagatelle de près de 400 000 euros et dont le but était une rencontre entre Macron et des entrepreneurs français. Détail croustillant, Havas est présidée par un des amis personnels de Macron : Yannick Bolloré (fils de Vincent, le « vrai » boss du groupe Bolloré).
2/ Sur France Inter, l’ancien maire PS de Paris, Bertrand Delanoë, annonce son ralliement à Macron. Lorsqu’il était maire, Delanoë avait mis en place le service Autolib’ de stations de voitures électriques à louer pour de courts trajets. La construction des véhicules ainsi que l’exploitation du réseau avaient été confiées au groupe Bolloré.
Et là, tout se mélange dans ma caboche : délit de favoritisme présumé… Bolloré… Macron… Véhicules électriques… Paris… Euh, ça me rappelle quelque chose : le 15 janvier 2016, Macron (alors Ministre de l’Economie et des Finances), inaugure l’usine Bolloré de fabrication de bus électriques en Bretagne. Ces bus sont présentés comme principalement destinés à la RATP (les transports en commun parisiens), ceci alors qu’aucun appel d’offres n’a encore été lancé.
Mais non, c’est pas possible. Il est si gentil notre frère Emmanuel. S’il est si copain avec la famille Bolloré, c’est qu’ils sont gentils aussi… Alors j’ai repris mes notes. Je me rappelle quand, il y a peu, Macron avait déclaré que le colonialisme avait été un crime contre l’Humanité. Je me souviens d’avoir souligné que le colonialisme avait été une conséquence du capitalisme, que certes l’Afrique n’était plus l’objet d’un colonialisme militaire mais qu’elle était encore victime d’un colonialisme économique que l’on appelle le néocolonialisme.
Alors me reviennent en tête les images du « Complément d’enquête » passé sur France 2 dans lequel on voyait, notamment, un gamin camerounais bosser dans une exploitation Bolloré. Suite à ce reportage, Bolloré a déposé trois plaintes contre France 2 (deux en France et une au Cameroun) entre juillet et décembre 2016. Pourtant ce n’est pas la première fois que des journalistes s’intéressent aux affaires africaines de Bolloré. Ceux qui s’y frottent sont presque toujours traînés en justice. L’affaire la plus emblématique concerne un article du site Bastamag.
Plus de Bolloré, moins de bols de riz…
Le 10 octobre 2012, le site indépendant d’information Bastamag publie un article sur l’accaparement des terres agricoles en Afrique et en Asie. Le groupe Bolloré (via l’entreprise SocFin et ses filiales) y est cité comme le deuxième plus gros investisseur avec 150 000 hectares de plantations d’huile de palme et d’hévéas (pour le caoutchouc), soit l’équivalent de 2 700 exploitations agricoles françaises. Selon l’association Survie, ces chiffres seraient même très en deçà de la réalité.
L’article décrit également les expropriations et les intimidations subies par les populations qui veulent garder leurs terres, ainsi que les conditions catastrophiques des droits humains sur ce type de plantations : travail d’enfants de moins de 14 ans, utilisation de produits cancérigènes, interdiction des syndicats, licenciements arbitraires, maintien de l’ordre par des milices privées, expulsion de 75 villages rien qu’au Libéria…
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces acquisitions sont autant de terres agricoles qui sont remplacées par des plantations à usage industriel, au seul profit des multinationales qui les exploitent. Ce qui a des conséquences dramatiques : augmentation de la sous-alimentation, effet sur le réchauffement climatique, mouvements migratoires.
Bolloré n’est certes pas le seul groupe français mis en cause dans l’article, mais il est décrit comme le plus impitoyable. Symbole du néocolonialisme que subit, surtout, l’Afrique.
A la suite de cet article, le groupe Bolloré avait poursuivi Bastamag en justice (pour diffamation). Débouté de sa plainte en première instance (avril 2016), Bolloré a de nouveau perdu en appel il y a un mois (le 9 février 2017). Il prépare cependant une nouvelle plainte…
Mais si Bolloré est prompt à dégainer devant les tribunaux, il y est aussi parfois attaqué. En 2015, des paysans cambodgiens ont assigné en justice le groupe Bolloré et sa filiale SocFin pour « perte de leurs ressources économiques, destruction de leurs lieux de culte et dégradation de leur environnement ». Et depuis 2014, de nombreux mouvements de protestation contre les pratiques du groupe Bolloré ont vu le jour au Cameroun, au Libéria, en Sierra-Leone ou encore en Côte-d’Ivoire…
De l’info à la propagande ?
Quand on a du mal à contrôler l’information, autant la fabriquer soi-même… C’est peut-être ce que s’est dit Vincent Bolloré en entrant discrètement dans nos téléviseurs en 2005 avec le lancement de la chaîne Direct 8. En 2006, le groupe Bolloré prend 40% du capital de l’institut de sondages CSA (il le possède aujourd’hui à 100%). En 2007, il lance le quotidien Direct Matin, devenu récemment CNews Matin. Depuis, son empire médiatique a pris un essor colossal avec l’acquisition du groupe Canal+ (dont la chaîne d’infos I-Télé, rebaptisée CNews). I-Télé, vous n’avez pas déjà oublié ? La polémique suite à l’embauche de Jean-Marc Morandini qui a provoqué la plus longue grève de l’audiovisuel français depuis 1968. C’était il y a moins de 5 mois… Bilan : I-Télé comptait 120 journalistes dont 100 ont démissionné. Quelques mois auparavant, c’est Canal+ qui avait changé de visage. Exit Yann Barthès, les auteurs des Guignols ou le Zapping. Plus symbolique encore : l’arrêt de « Spécial investigation », seul véritable programme de Canal+ qui proposait des enquêtes sérieuses. A l’origine, Vincent Bolloré avait personnellement interdit la diffusion d’un reportage intitulé « Evasion fiscale, une affaire française » qui traitait de pratiques encourageant la fraude fiscale organisées par le Crédit Mutuel. Or, il existe des liens d’affaires entre le groupe Bolloré et le Crédit Mutuel ainsi que des liens d’amitié entre Vincent Bolloré et Michel Lucas qui dirigeait alors le Crédit Mutuel. C’est en tout cas ce qu’ont révélé trois journalistes de « Spécial investigation » lorsqu’ils ont porté plainte contre Vincent Bolloré pour « entrave à la liberté d’expression », « abus de biens sociaux » et « abus de pouvoir ».
Car pour Vincent Bolloré, la liberté d’expression s’appelle désormais… Cyril Hanouna ! Le célèbre et controversé animateur de « Touche pas à mon poste » (entre autres) est un ami fidèle de Yannick Bolloré. En 2010, ce dernier l’a aidé à financer la création de sa société de production H20 avant de le présenter à son père, Vincent. En 2015, Vincent Bolloré a ainsi acheté pour 250 millions d’euros de programme pour qu’il reste dans le giron de Canal+. De nos jours, les vannes de cour de récré se payent au prix fort, contrairement au journalisme d’investigation…
Et puisqu’on parle de Bolloré et des médias, on se doit de parler d’une information récente passée presque inaperçue. Il y a moins de 2 semaines (le 24 février 2017), le parquet financier de Milan a ouvert une enquête sur Vincent Bolloré. En tant que Président du conseil de surveillance de Vivendi, il est soupçonné de manipulation de marché lors du rachat de près de 30% du capital de Mediaset par Vivendi. En clair, Bolloré aurait provoqué la chute du cours de l’action Mediaset afin d’en racheter un grand nombre à bas prix. Ce type de pratique constitue une fraude qui, si elle est avérée, est sanctionnable de peines de prison ferme (jusqu’à 5 ans) et d’amendes proportionnelles au profit réalisé (elles peuvent aller jusqu’à 10 fois le bénéfice retiré).
Rappelons que Mediaset est l’empire médiatique fondé par Silvio Berlusconi. Omniprésent en Italie et en Espagne, Mediaset est l’un des leaders européens du secteur.
Encore une fois, on s’aperçoit que les soutiens les plus proches de Macron ne sont pas tous des anges. Ce qui en dit long sur Macron lui-même.
De 2017 à 1984…
Et, pour rester dans le thème des « amis » de Macron qui dérangent, petit mot sur Jean-Pierre Jouyet que j’évoquais dans mon article précédent mais dont je n’avais pas détaillé le parcours. Il semble pourtant que c’est nécessaire, car si son nom est connu, beaucoup oublient vite qui est réellement ce personnage pourtant incontournable de la politique française depuis une trentaine d’années.
J’avais déjà dit (cf. Mon article « Macron : le vrai (et vilain) visage du PS » qu’il était l’un des initiateurs des « Gracques », un groupe de pression proche du PS qui avait milité pour un rapprochement entre Ségolène Royal et François Bayrou et dont Macron était très proche. De fait, Jouyet a indéniablement été l’un des mentors de Macron (alors adhérent du PS). Se sont-ils connus à l’ENA ? Certains le prétendent. Est-ce Jouyet qui a présenté Macron à Attali ? Difficile de l’affirmer, c’est peut-être l’inverse. Mais peu importe, Jouyet et Attali ont le même cercle d’amis, à commencer par François Hollande qui a nommé Jouyet à la tête de la Caisse des dépôts et consignations puis président de la Banque publique d’investissement et enfin secrétaire général de la présidence de la République. Tout comme Macron, il fut d’abord proche du PS (notamment en tant que directeur adjoint du cabinet de Lionel Jospin, alors Premier ministre. A ce titre, il contribue à l’entrée de la France dans l’euro. Avant d’être nommé au poste de directeur du Trésor). Il a aussi été président du Club Témoin (club dans lequel ont trouve quelques « éminences » comme Ségolène Royal, François Hollande encore et… Jean-Pierre Mignard, l’avocat multicartes que je citais dans mon article précédent). Tout comme Macron et Attali, Jouyet rejoint Sarkozy suite à la victoire de ce dernier à la Présidentielle de 2007. Il est alors nommé secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes puis prend la tête de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Vous l’aurez compris, de 2007 à aujourd’hui, les trajectoires de Jouyet, Attali et Macron sont parallèles et intimement liées.
Ce qui est encore plus troublant, c’est la fameuse affaire Jouyet-Fillon. Jusqu’en 2014, les relations entre les deux hommes sont bonnes (Jouyet ayant donc fait partie du gouvernement Fillon). Mais l’affaire Bygmalion éclate (scandale autour des frais de campagne de Sarkozy) et, selon deux journalistes du Monde, Fillon aurait demandé à Jouyet d’accélérer les procédures judiciaires à l’encontre de Sarkozy, ce que Jouyet finit par confirmer. Fillon nie et va même jusqu’à porter plainte contre Jouyet. L’issue du procès, favorable à Jouyet, est décrite comme une mascarade par certains observateurs. Depuis, le torchon brûle entre les deux hommes. Ce qui fait dire à certains que l’affaire Fillon aurait été sortie pile au bon moment pour discréditer le candidat Fillon, sans laisser le temps aux Républicains de préparer un plan de secours qui tienne la route. Et s’il est clair que la cote de Macron a bénéficié de cette affaire par ailleurs surmédiatisée, je ne m’avancerai pas à dire qu’il s’agit d’une opération préméditée dans les coulisses de l’Etat.
Pour être franc, je pensais en avoir fini avec les hommes d’influence qui ont propulsé Macron et je voulais m’attacher à décrypter son programme. Mais, plus je trouve d’informations et plus j’ai l’impression de me retrouver dans une version gore du 1984 de George Orwell… Sauf que la dictature n’est pas ici idéologique mais purement financière, ce qui est bien pire car moins visible et plus difficile à combattre. A moins que nous arrêtions de regarder Hanouna et que nous nous mettions à penser par nous-mêmes avant le 23 avril…
Axel Bader




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