Hôpitaux d’Alep : la sale guerre… par Leslie Varenne
Source : Iveris, Leslie Varenne, 17-03-201 24 mars 2017
Pendant la durée du conflit à Alep, les hôpitaux de cette ville ont été au cœur de « l’information de guerre ». Les médias occidentaux et les ONG ont déploré tant de bombardements sur les structures de santé situées dans les quartiers Est, que cette partie de la ville aurait pu passer pour la zone la plus médicalisée au monde. Tant de nouvelles, fausses ou approximatives, ont été relayées qu’il a été difficile de démêler l’écheveau. Cependant, après la libération d’Alep, grâce à l’aide de médecins Aleppins rencontrés lors de la mission humanitaire à laquelle l’IVERIS a pu participer, il est désormais possible de dénouer les fils [1].
Dans la partie nommée « Alep Ouest », restée sous contrôle gouvernemental, les deux hôpitaux publics et les nombreuses cliniques privées ont gardé leurs bâtiments en état fonctionnel tout au long de cette période, même si toutes sortes d’engins explosifs sont tombés dans leurs enceintes. Les problèmes majeurs auxquels ces établissements ont été, et sont toujours confrontés, sont liés à la pénurie de médicaments due aux sanctions imposées par l’Union européenne et les Etats-Unis, à l’afflux de patients, au manque d’eau et d’électricité.
L’hôpital al-Kindi a un statut particulier puisqu’il se trouvait au Nord-Est d’Alep, dans une zone temporairement occupée par les djihadistes. C’était le plus grand établissement public de cette ville, il disposait de 800 lits et du plateau technique le plus performant du Moyen-Orient. Il a été entièrement détruit en janvier en 2013 lors d’une attaque au camion suicide, revendiquée par trois groupes djihadistes : Jabha al- Islamiya, al-Nosra et Fair al-Sham Islamiya. Cet attentat a été filmé et posté sur la plateforme Youtube [2].
Dans la partie, appelée « Alep Est », contrôlée pendant tout le conflit, de juillet 2012 à décembre 2016, par les divers groupes armés comme : l’ASL, l’Organisation de l’Etat Islamique (EI) et al-Nosra, la situation a été des plus confuses.
Avant-guerre, dans ces quartiers de la ville, il y avait trois hôpitaux publics et sept cliniques privées, nommées également « hôpital ». Les trois établissements publics : ophtalmologique, pédiatrique et Watani ont été occupés par les djihadistes dès le début des combats [3]. Dès lors, ces trois hôpitaux ont cessé de fonctionner. Le premier a été transformé en quartier général d’al-Nosra, le second en prison et le troisième en siège du tribunal islamique. Ces trois établissements étaient situés sur un même campus. Ils ont été détruits partiellement ou totalement par des raids aériens durant le conflit.
Quant aux cliniques privées, leur situation a été rendue inextricable car les ONG, qui les soutenaient, les ont parfois rebaptisées en leur attribuant des noms de code. – Le gouvernement syrien n’a pas accordé aux ONG le droit de travailler sur son territoire. Seule la Croix Rouge internationale (CICR) a obtenu cette autorisation. Les autres organisations humanitaires, comme Médecins sans Frontières (MSF), Médecins du Monde (MDM) ou la Syrian American Medical Society (SAMS) œuvrent donc en territoire occupés par les divers groupes armés. Elles soutiennent les structures de santé en leur prodiguant des médicaments, du matériel, des fonds pour les salaires et du cash. – Ainsi l’hôpital Sakhour a été appelé M10 pendant toute la guerre. Les Syriens, eux-mêmes, ne savaient pas à quelle structure M10 faisait référence et pourtant son histoire a été la plus médiatisée et la plus extravagante. Le 3 octobre 2016, une dépêche AFP annonce sa destruction par des bombardements des armées syrienne et/ou russe [4]. Ce communiqué crée un tsunami médiatique et diplomatique. Dès le lendemain, Washington dénonce les raids contre « le plus grand hôpital d’Alep », et rompt les pourparlers de paix en cours avec Moscou [5]. De son côté, l’ONU évoque « la plus grave catastrophe humanitaire jamais vue en Syrie » [6]. La France condamne les « crimes de guerre » [7]. En réalité, l’hôpital est toujours là ! L’établissement, n’est certes pas en bon état, mais il n’a pas subi de raids aériens. En outre, cette clinique, spécialisée en traumatologie disposait de 31 lits, ce n’était donc pas « le plus grand hôpital d’Alep Est ». Enfin, sans entrer dans un décompte macabre, un mort est toujours un mort de trop, pendant les six années de guerre, les Syriens ont vu des « catastrophes humanitaires plus graves ». La source qui a donné l’information à l’AFP selon laquelle « l’hôpital a été visé directement par des raids aériens » est l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), une organisation connue pour ses liens avec l’opposition. Ces faits ont ensuite été validés par la Syrian American Medical Society (SAMS), qui soutenait l’Hôpital Sakhour/M10. En décembre 2016, Adham Sahloul, un membre de cette organisation humanitaire levait le secret en déclarant dans un article « M10 était le nom de guerre de l’hôpital Sakhour » [8]. Pierre Le Corf, un Français, installé à Alep depuis plus d’un an, a visité les lieux très récemment. Il a découvert qu’al-Nosra avait établi un de ses sièges dans la ville à quelques mètres de cet établissement, un fait que SAMS ne pouvait pas ignorer. Le jeune homme a tourné une vidéo de cet étrange « campus » où se cotoient, le groupe terroriste, les célèbres Casques Blancs et cette organisation humanitaire basée aux Etats-Unis [9]. Par ailleurs, ce film confirme l’impressionnant stocks de médicaments dont bénéficiaient ces structures, ce qui laisserait à penser que contrairement à « Alep Ouest », « Alep Est » n’a pas été soumise à l’embargo.
L’hôpital privé Omar bin Abdel Aziz, soutenu par Médecins du Monde, a, lui, été détruit par les forces syrienne et/ou russe [10]. Il a été endommagé une première fois en juin 2016 par une frappe aérienne visant un immeuble voisin, mais a néanmoins continué à soigner des patients jusqu’en novembre 2016 [11]. A cette date, il a subi d’autres dommages, attaques à l’explosif, bombardements, sur ce point les dépêches divergent. Il a été signalé comme « le dernier » ou « l’un des derniers » hôpital d’Alep. Reste que cet établissement a bien été dévasté.
L’histoire de l’hôpital al-Quds, soutenu par Médecins sans Frontières (MSF), a également donné lieu à un véritable embrouillamini. Le 28 avril 2016, MSF publie une dépêche dans laquelle, il signale que « d’après le personnel soignant sur place, l’hôpital a été détruit par au moins un bombardement aérien qui a directement frappé le bâtiment, le réduisant en ruines.» [12] Comme pour M10, ce communiqué déclenche les foudres de l’ONU, de la France, des médias et des autres ONG [13]. Pourtant cet établissement est, lui aussi, encore debout. L’analyse de la photo montre que toutes les fenêtres ont été soufflées et que cette structure de santé, qui disposait de 34 lits, n’est pas en ruine ; par conséquent, elle n’a pas été visée directement par des bombardements mais a subi les dommages collatéraux de frappes aériennes dans la zone. Selon le témoignage d’un des médecins rencontrés pendant la mission, il y aurait eu un dépôt de munitions d’al-Nosra dans un immeuble contigu. Cette information ne paraît pas absurde, car en temps de guerre, il est fréquent que les groupes armés sécurisent leurs matériels stratégiques près des immeubles réputés « intouchables ». Quelques jours plus tard, le plateau technique d’al-Quds a déménagé 500 mètres plus loin et a pu continuer de fonctionner jusqu’à la fin des combats.
C’est ce que confirme MSF qui le 3 mai 2016, soit cinq jours après son premier communiqué, publiait une mise à jour : « Les frappes aériennes ont d’abord touché les bâtiments voisins, puis l’hôpital Al Quds, principale structure pédiatrique de référence de la ville d’Alep, où des blessés avaient commencé à être transférés. – Il faudra au moins deux semaines avant que l’hôpital ne soit en mesure de rouvrir ; les efforts sont portés sur la réparation et la remise en état de ce qui peut l’être.» [14] Avec ces précisions, l’organisation humanitaire admet, d’une certaine manière, qu’al-Quds n’a pas été totalement détruit. Mais, comme toujours en de telles circonstances, c’est la première dépêche qui est reprise en boucle dans les médias et les mises à jour sont passées sous silence. [14]
Les quatre autres cliniques privées, Zarzour, Machhsad, Daqqaq, Zahraa ont pu continuer à travailler pendant tout le conflit, malgré les conditions extrêmement difficiles comme partout dans Alep, que ce soit à l’Ouest ou à l’Est.
Il n’y a donc pas eu de « dernier hôpital à Alep Est » comme la presse l’a si souvent rapporté, et le « plus grand hôpital d’Alep Est » al-Kindi avait déjà été détruit bien avant de faire la Une des journaux. Un seul hôpital a été touché par un bombardement, tous les autres ont subi les dommages collatéraux liés au conflit. Aux horreurs de la guerre urbaine, où les civils payent toujours un lourd tribut, s’est ajoutée une sale guerre de l’information. En dénonçant dans l’urgence médiatique et en s’empressant de prendre des décisions politiques lourdes de conséquences sans avoir vérifié les faits, les Etats et les Nations Unies font preuve d’un aveuglement volontaire. Dès lors, ils font porter aux ONG et aux agences de presse qui diffusent ces informations une responsabilité immense, elles deviennent, de fait, des acteurs du conflit.
Leslie Varenne
Directrice de l’IVERIS
[1] L’auteur de ces lignes, s’est rendue à Alep pour accompagner une mission humanitaire composée de quatre chirurgiens en cardiologie : Victor Fallouh, Antoine Salloum, Daniel Roux et le député Gérard Bapt, qui était présent en tant que cardiologue et non en tant que parlementaire.Directrice de l’IVERIS
Voir également la note de voyage publiée au retour de cette mission https://www.iveris.eu/list/notes_de_voyage/249-alep_la_douleur_et_la_honte
Source : Iveris, Leslie Varenne, 17-03-2017
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J’en profite pour signaler que j’ai exercé mon Droit de Réponse – comme je le ferai désormais systématiquement – sur l’article des Décodeurs du Monde sur ce sujet :
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